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LES TÉMOIGNAGES

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Histoire de notre association

- PARTIE 1 -
Origine, Organisation, Activités de la Résistance au Maquis de Plainville en Eure-et-Loir Ouest

C’est Jean Moulin, qui est à l’origine  de la Résistance en Eure-et-Loir.

Jean Moulin est né le 20 juin 1899 à Béziers.

Haut fonctionnaire et marchand d’Art, il fut: 

  • Sous-Préfet d’Albertville, Châteaulin, et Thonon-les-Bains,

  • Secrétaire général de la préfecture de la Somme, 

  • Préfet de l’Aveyron et d’Eure-et-Loir.

 

Il refuse l’occupation de la France par l’Allemagne pendant la seconde guerre mondiale.

En septembre 1941, il  rejoint la France libre à Londres. 

Reçu par le Général de Gaulle, il fait un compte rendu de la Résistance en France, de ses besoins en armes et en finances.

Il est envoyé à Lyon par le Général, pour unifier les mouvements résistants.

Il créé et préside le conseil national de la Résistance.

Au travers de ses activités professionnelles dans les diverses régions de France il avait noué des relations (maires, sous-préfets, médecins, vétérinaires) qui lui permirent de mettre en place les réseaux de la Résistance.

En 1944, Pierre Koenig est le Général en chef des Forces Françaises de l’Intérieur (FFI).

C’est ainsi que peu à peu les réseaux s’organisèrent avec un commandant par département. 

En Eure-et-Loir, Maurice Clavel alias Sinclair est nommé commandant, avec son adjointe Simonne Favre-Bertin alias Silvia Monfort. Ensemble  ils supervisaient la Résistance.

 

Qui mieux que ces Résistants devenus Maquisards, nos libérateurs, qui ont vécu et subi « en direct », pour nous parler des événements que nous allons découvrir dans cette première série de témoignages.

Ils parlent avec leur cœur, leurs tripes, leur angoisse, leur joie, leurs mots… Aujourd’hui, certains mots ou forme de langage utilisés peuvent choquer mais souvenons-nous que cela a été écrit au lendemain de « La Libération » par les vrais acteurs de La Libération!

Ces témoignages de la Résistance en Eure-et-Loir Ouest se sont retrouvés dans un petit fascicule imprimé en octobre 1945 et vendu au profit des œuvres sociales. 

En dehors des familles et amis proches, personne n’avait repris ces témoignages. Aujourd’hui, nous les enfants et petits-enfants, nous voulons rendre un témoignage de gratitude et d’amour en remettant en plein jour les témoignages des « nôtres »  qui ont tout donné afin de nous permettre une certaine forme de liberté.

Car qu'est-ce que la liberté, dont on parle tant ?

Mais laissons la parole à nos Maquisards dans tous ces témoignages.

Télécharger les tableaux des Maquisards en cliquant dessus : 

Origines

L'atmosphère de Notre Résistance
Par Jean Renauldon alias Rhône

  • Maurice Clavel alias Sinclair, Commandant Sinclair

  • Simonne Favre-Bertin alias Silvia Monfort

  • Gabriel Herbelin alias Duroc, Capitaine Duroc

  • Jean Renauldon alias Rhône, Lieutenant Rhône

  • Jean Stiesz alias Sixte, Aspirant Sixte, Chef du Groupe Corps Franc

  • André Duclot alias Belleau, Aspirant Duclot, Groupe Corps Franc

  • Albert Richard alias Bertaut, Doyen du Maquis

  • Edgard Eugène Cahour alias Létang, Sous-Lieutenant Létang, Chef du Groupe I

  • Gilbert Vallet, responsable du service ravitaillement

 

FFI = Forces Françaises de l’Intérieur

SR = Service de Renseignement

SS = SchutzStaffel -Organisation paramilitaire et policière nazie fondée en 1925

FM = Fusil-Mitrailleur

 

Dans ce paysage du Perche, non loin de Saint-Denis-d’Authou se trouve un vallon retiré au fond duquel s’écoule rapide une rivière argentée: La Vinette. 

A l’une des extrémités se dresse une croupe boisée: Plainville.

A l’autre extrémité un groupe de maisons rustiques: Le hameau de Saint-Hilaire-des-Noyers.

Plainville situé sur le hameau de Saint-Hilaire proche de  la commune de Marolles-les-Buis, entre Nogent-le-Rotrou et la Loupe.

Quelques centaines de mètres séparent l’une de l’autre, et voici que de Juin 1944 à la Libération, un petit coin de France libre, fut le témoin de joies comme d’angoisses d’une poignée de patriotes.

Saint-Hilaire!… petit hameau dont le nom sonne clair la vieille France.

Un cœur généreux, André Guyot mit sa ferme à la disposition des Maquisards, sa vie aussi, celle des siens et tout son patrimoine. 

Pas très loin, à quelques pas, s’élève la Chapelle Saint-Hilaire-des-Noyers au milieu d’un minuscule pré bien vert bordé d’une haie correctement taillée.

 Combien émouvant ce petit sanctuaire des champs, vétuste, surmonté d’une cloche minuscule et attendrissante, au-dessus d’un porche avancé recouvert de tuiles moussues. 

Le lierre grimpe le long des murs, l’ensemble respire le calme, calme indispensable au repos moral des FFI.

Il y a, dit Maurice Barrès: « des endroits où souffle l’esprit. »

 

La Chapelle Saint-Hilaire constitue le symbole des Résistants, groupés à ses côtés, non par pure idéologie religieuse, mais parce qu’elle représente un idéal et c’est pour un idéal que vécut là un groupe de Français.  (Voir galerie photos)

 

Je tiens à parler de ce lieu pour évoquer ces matins de Juillet, où quelques Maquisards se trouvaient agenouillés au pied de l’autel, croyant et non croyant, dans leur accoutrement de misère, armés jusqu’aux dents, pour entendre la messe, pour écouter aussi les causeries d’une haute tenue chrétienne et patriotique de Monsieur le Curé-Doyen de Thiron-Gardais.

 

Pendant ce temps on s’affaire à la ferme pour préparer « le jus » éternel de tous les soldats, que deux prisonniers SS monteront dans des bidons à lait à la Carrière de Plainville.

Plainville, des grottes qui débouchent sur d’anciennes carrières blanches souterraines qui renferment  « un champ de tir improvisé » d’une cinquantaine de mètres de long pour l’entraînement au tir. (Voir galerie photos)

A mi-pente sous les bois, sont installées des cahutes en bois et branchages qui abritent près de deux cents hommes prêts à mourir pour la France dans une ambiance de sacrifice et de discipline. 

 

Tous volontaires, jeunes pleins d’ardeur, les autres plus âgés abandonnant tout: femmes, enfants et situation civile. 

Hélas, de ce dernier côté, les mois suivants devaient apporter à certains de cruelles désillusions.  (Voir galerie photos)

Eloigné de toutes les voies de passages, ce lieu fut retenu par les Maquisards qui bénéficiaient  de solides complicités dans la région.

Le  Maquis de Plainville a été constitué en pleine activité entre le 15 Juin 1944 et le 11 Août 1944 avec des hommes et des femmes du secteur ouest d’Eure-et-Loir: Nogent-le-Rotrou et la Loupe.

 

Ce Maquis est l’un des quatre en Eure-et-Loir.

Il était constitué de 172 Maquisards, dont 23 étaient déjà dans la Résistance depuis 1942. 

Le Maquis était organisé par groupe de huit à dix hommes.

 

Au Maquis de Plainville, Duroc et Rhône, sont responsables de l’organisation militaire et du ravitaillement.

L’un et l’autre possédaient des permis de circuler en voiture, ce qui facilitaient les déplacements entre autre pour le ravitaillement en nourriture.

La viande et les légumes étaient fournis par les fermes aux alentours, le pain par le boulanger de Chassant. 

Il fallait utiliser des tickets d’alimentation, au détriment des mairies,  pour l’épicerie, les boissons les cigarettes, mais il fallait aussi dévaliser (cf L’Opération sur la Mairie de la Loupe) …

Londres parachutait de l’argent français pour payer le ravitaillement, parfois il y avait des cigarettes, des chaussures, des vêtements …

La discipline était stricte, en dehors des interventions, il était interdit de sortir du Maquis. 

Pour tout besoin en vêtements ou objets divers, il fallait passer par les agents de liaison (le plus souvent des femmes) qui étaient en liaison avec Londres grâce à des émetteurs/récepteurs dissimulés dans la campagne. 

Au milieu d’un monde disparate à une seule âme (instituteurs, secrétaires de Mairie, ouvriers, cultivateurs, étudiants, commerçants, médecins, vétérinaires, prêtres, hommes, femmes, jeunes et moins jeunes) dominant de sa haute taille dans son lamentable costume de résistant, qu’il ne cherche d’ailleurs  qu’à modifier vers l’imperfection, hanté par le souvenir des volontaires de 1893, un jeune homme de 23 ans, frais émoulu de l’école normale supérieure, s’imposa commandant du bataillon FFI d’Eure-et-Loir: Sinclair. 

       

Sinclair qui le matin, se trouvait à l’autre extrémité du département, qui sera ce soir à Paris et demain dans le Maquis, avalant à bicyclette ses cent-vingt kilomètres par jour. 

Sinclair dans cette ambiance vibrante, parmi la fumée de ce tabac blond qui quelques heures avant était encore Outre-Manche, se mit à élever la voix et déclamant avec un accent de sincérité les vers émouvants d’Aragon, poète de la Résistance: « Ballade de celui qui chanta dans les supplices. » 

Sinclair, Silvia Monfort … et tandis qu’après l’action, la torpeur nous envahit dans le charme et l’émotion de la poésie, je pense qu’avec ces deux noms notre rôle ne peut se concevoir que dans l’honneur et la pureté. A l’occasion de cette évocation, je me plais à rendre hommage à notre chef:

        

              " Celui qui fut Notre Chef au Sens Elevé du Terme"

 

Je viens de m’efforcer de faire ressortir l’aspect moral de la question. 

A vrai dire ce n’est pas un des moindres facteurs, le moral d’une unité forme un des éléments du succès. L’incidence de notre action sur le moral de l’adversaire constitue une des armes les plus redoutables.

 

Examinons maintenant le problème sous son aspect technique et tactique. 

 

Comme ailleurs, dans notre secteur deux phases se partagent «notre Résistance».

Avant le débarquement, le champ était vaste: il s’agissait de créer un centre de lutte contre la déportation. Tous les faux papiers purent être établis jusqu’à des permissions factices destinées aux requis, et ce, grâce à une collaboration étroite avec des organismes parisiens. 

Le corollaire de cette action entraîna les cambriolages de mairies. Il y aurait beaucoup à dire, beaucoup à remercier!

 

Parallèlement, il fallait avoir les armes, les entretenir, constituer des dépôts, instruire, pratiquer des exercices de tir en forêt de Senonches par exemple, à la barbe du boche c’était plus sûr. Que de détails, que d’incidents, nous pourrions raconter… A tout cela ajoutons les nécessités  de recrutement, la prise en charge des radios émettant avec l’Angleterre, le camouflage des aviateurs alliés où excellaient les Thironnais.

Il est juste de rappeler que cette vaste organisation clandestine (qui nécessitait des ramifications dans les chemins de fer, la police, la gendarmerie, la préfecture, les PTT) était ouverte, en ce qui nous concerne, par le mouvement  « Libération » dirigé par nos amis 

Bichat et Duvivier.

 

Tout cela représente des soucis considérables, des angoisses terribles sous la menace de la Gestapo. 

Dans la phase qui suivit le débarquement, la position tactique du secteur était de première importance en raison des grandes artères routières, la plupart jalonnées par l’ennemi (N° IV et T1 cf carte) par où la circulation provenant de l’ouest pouvait s’écouler, routes attaquées au pétard, puis à la mine, puis à l’embuscade, sans parler de la destruction de la signalisation.  (Voir galerie photos)

 

Une grande voie de chemin de fer: Paris-Brest côtoyait le nord de notre champ d’action avec des embranchements vers Gneisenau, le champ de munitions allemand de Senonches.

Le câble souterrain Paris-Le Mans se trouvait à notre portée immédiate.

Voici, il me semble, pour une pauvre compagnie FFI, un ensemble stratégique formidable! …

 

Oui, c’était bien une besogne gigantesque, et si nous considérons que le moindre transport, le moindre ravitaillement, prenait le caractère d’une opération (rappelons les coups de feu essuyés par notre ami Raymond Vinette, amenant le pain au Maquis). Ainsi, on se rendra (peut être!) compte de l’étendue de la tâche, de la fatigue, et des risques accumulés.

 

Pour ce qui est du terrain et de nos cantonnements, voici quelques éclaircissements.

 

La région est un enchevêtrement de petites vallées, de champs entourés de haies, de fermes aux accès difficiles, le tout assez favorable aux embuscades, aux décrochages éventuels, au secret de nos mouvements, mais aussi aux guets-apens.

Tout d’abord, un petit groupe se constitue aux deux maisons proches de Frétigny. 

  • L’une à « Les Crottes » (tel est le nom du cadastre),

  • L’autre à « La Bellaudière » du pseudonyme de son chef,

  • Par ailleurs, un groupe s’installe à Saint-Denis-d’Authou, près de la Croix-des-Brûlons.

Les événements traînent, des indiscrétions se commettent, il faut décrocher!

C’est alors que Duroc, Belleau, Sixte, Létang, Gilbert et d’autres établissent le magnifique Maquis de Plainville. Il fallait tout prévoir, même un deuxième bureau: qui pouvait se payer le luxe d’envoyer des enquêteurs habillés en SS en uniforme des blindés allemands.

Enfin, un autre Maquis se forme à Beaumont-les-Autels, avec des éléments venus de Denonville et Auneau.

Maintenant jetons un coup d’œil par-dessus  la barrière et examinons la situation du côté ennemi.

 

D’où provient cette chance inouïe, qui ne cesse de nous accompagner jusqu’à la prise de Chartres que d’autres décriront ?

Trois centres névralgiques existaient pour l’ennemi dans le secteur:

  • A Nogent-le-Rotrou, la Gestapo ne réussit pas à atteindre la tête.  Parmi les animateurs, Duroc passe à travers les mailles du filet tendu autour de lui. Des arrestations se multiplient. Belleau et Bertaut ne sont pas soupçonnés !

  • A Thiron, un parachutage malheureux tombe aux mains des Allemands, d’autres indices leur sont fournis, les aviateurs parachutés disparaissent, personne n’est inquiété !

  • A La Loupe, les centaines de dossiers pour réfractaires, l’activité des parachutistes de la radio délient les langues. Les tentatives de sabotage et les cambriolages de mairie auraient pu orienter les recherches. C’est l’A B C d’un travail de SR.

 

En Mars 1944, j’effectue avec ma voiture un long déplacement avec armes et hommes. Durant trois cents mètres, je suis seul dans mon auto. C’est pendant ce petit trajet  que je suis arrêté et contrôlé!

Au retour d’une mission, c’est la sentinelle dont nous avions à dessein cultivé de la sympathie, qui s’excuse de ne pas m’avoir reconnu!

Le 6 Juin 1944, nous traversons le département d’un bout à l’autre avec  l’arrière de mon véhicule bourré de fusils-mitrailleurs et d’explosifs. 

Sixte à mes côtés, la main crispée sur la poignée de son révolver!

Sinclair débordant à l’extérieur, une grenade dissimulée dans la main!

C’est le Maquis repéré et connu du boche grâce à la bande du traître Héritier de Nogent-le-Rotrou! Maquis jamais attaqué, jamais inquiété!

Ce sont nos opérations couronnées de succès, sans perte, les allées et venues à mon domicile …. Et j’en passe! 

 

Alors? Que penser? Les réflexions peuvent sans fin gagner le domaine de la philosophie!

Je crois qu’en réalité, l’Allemand fut complètement désorienté par un genre de guerre non prévu dans son Règlement.

« Est-ce possible? » dira un Capitaine SS à notre ami l’instituteur de Manou, à la suite de la prise du Camion de Manou (cf plus loin).

Dans l’ensemble, notre ennemi fut de qualité. 

Je me rappelle cette attaque éclair d’un camion allemand, où le seul survivant, qui pouvait échapper à la mort dans les fourrés, fait face à son adversaire, douze fois supérieur pour être abattu par l’un de nous!

 

Mais pourquoi cet abandon de Nogent-le-Rotrou, alors que la supériorité numérique, un char, un canon, la connaissance la technique et de la pratique du combat d’infanterie, tout cela surpassait, sauf en bravoure, une pauvre compagnie FFI ? 

Pourquoi les pertes considérables pour eux et minimes pour nous? 

Une autre défaillance réjouissante: 

Près de Coudreceau, deux camions se rencontrent inopinément, l’un est français, l’autre rempli de soldats de la Werhmarcht.

Plein de mordant, nos hommes bondissent et passent à l’attaque, les autres amorcent un demi-tour puis abandonnent leur véhicule entre nos mains et s’enfuient éperdument.

Jamais nous n’avons pu les rattraper.

Oui! Du fond du cœur « Vive la France! »

Chaque matin, en se levant Pétain disait à son valet de chambre:

« Nous sommes vaincus! »

Des vaincus, nous les fidèles de de Gaulle? …

 

Ainsi donc voici « Notre Résistance ». 

Celle des autres est certes plus belle.

La nôtre ne possède qu’une ambition: La Satisfaction du Devoir Accompli.

 

C’est bien l’atmosphère que nous voulons faire revivre ici au cours des témoignages laconiques qui vont suivre. Ne vous attendez pas à y trouver de la littérature. Ils sont écrits par de simples combattants, qui vécurent tout au long le drame de la Résistance. 

Beaucoup décrivent les faits comme un compte rendu militaire.

Comme eux, j’espère que le lecteur en appréciera quand même la simplicité.

Opération sur la Mairie de La Loupe
Par André Duclot alias Belleau et Albert Richard alias Bertaut

  • Jean Renauldon alias Rhône, Lieutenant Rhône

  • Jean Stiesz alias Sixte, Aspirant Sixte, Chef du Groupe Corps Franc

  • André Duclot alias Belleau, Aspirant Duclot, Groupe Corps Franc

  • Albert Richard alias Bertaut, Doyen du Maquis

  • Edouard Coutard, Maire-adjoint à La Loupe

  • Casimir Petit-Jouvet, Directeur Défense Passive, membre du conseil municipal de La Loupe

  • Annette Petit-Jouvet, Croix Rouge de La Loupe

  • Alfred Hardy

 

Cette opération fut montée et conduite par Rhône et Sixte (son bras droit). Elle eut lieu le 28 Mars 1944.

Neuf hommes étaient prévus pour la mener à bien. 

Sept seulement furent exacts au rendez-vous. Y ont pris part:

  • de La Loupe: Rhône, Sixte, Claude 

  • de Frétigny: Hardy

  • de Nogent-le-Rotrou: Belleau et Bertaut

Belleau et Bertaut sont arrivés directement par le train vers dix-huit heures chez Rhône qui leur expliqua en détail le plan d’attaque de la Mairie.

Après quoi, ils allèrent chez Monsieur et Madame Petit-Jouvet où le plus cordial accueil leur fut réservé en attendant le rendez-vous général fixé à 23 heures.

Le lieu de rassemblement avait été fixé dans un sentier en face de la porte d’entrée du stade.

Pour s’y rendre, Belleau et Bertaut prirent au plus court à travers champ. La nuit était très noire, aussi durent-ils errer et patauger assez longtemps avant de parvenir sur la route.

A peine arrivés, un inconnu les croisa, les éclaira avec sa lampe et passa sans mot dire. Peu après, revenant sur leurs pas, ils furent à nouveau éclairés mais reconnus par un des leurs. C’était Claude qui les conduisit à l’endroit choisi où se trouvaient déjà réunis cinq de leurs camarades occupés au montage des  mitraillettes.

Rhône à voix basse distribue les rôles et explique à chacun ce qu’il doit faire.

L’opération présentait toutes les chances de succès. 

Le seul point noir était la rencontre possible: 

  • soit avec des gendarmes français (la brigade de La Loupe était commandée par intérim par le gendarme Drot, dont la Résistance avait tout lieu de se méfier),

  • soit avec des patrouilles allemandes.

 

Rhône avait donné des instructions très précises pour ces deux cas:

  • Surpris par les gendarmes: « Aller franchement à eux et leur dire (ce qui était exact) qu’ils étaient des soldats de l’armée de de Gaulle, leur faire comprendre ce dont il s’agissait. L’attitude des gendarmes devrait conditionner la leur. » 

  • Surpris par la patrouille allemande: « Tout faire pour ne pas être découverts! » La chose était possible, les boches n’ayant pas à l’ordinaire une marche silencieuse. Si par malheur nous étions repérés, la parole était immédiatement donnée aux mitraillettes cela avec le minimum de danger, puisque nous aurions l’avantage de la surprise et provisoirement celui du nombre, car il faut ajouter que les Allemands se trouvaient cantonnés face à la mairie. Dans le cas de l’accrochage, ils se seraient rués à nos trousses. Il est vrai que dans la nuit sombre, nous pouvions aisément leur échapper, mais le danger des représailles était grand pour la population. Donc à tout prix éviter la bagarre!»  

 

Un peu après minuit l’ordre du départ est donné par Rhône qui partit en tête avec Sixte, les autres suivaient en file indienne, Belleau et Bertaut venant les derniers.

La marche eut lieu dans le plus grand silence jusqu’à la rue de Chartres, où tous redoublant de précautions et rasant les murs, arrivèrent sans encombres aux portes de la mairie.

Rhône s’aidant des épaules de Sixte, se hissa à la hauteur d’une fenêtre placée à droite de la porte d’entrée qui s’ouvrit sans peine, Edouard Coutard  l’ayant laissée entrouverte.

Aussitôt dans la place, Rhône coupa les fils électriques, puis ouvrit la porte à ses hommes. Sixte et Claude, mitraillette ou revolver au poing, restèrent sur le perron pour assurer la protection. Tous les autres pénétrèrent à l’intérieur.

Belleau et Bertaut furent immédiatement conduits par Rhône dans une petite cour intérieure. 

 

Du doigt il leur indiqua la fenêtre du garde champêtre, détenteur des fameux tickets, objet de leur convoitise.     

Puis Rhône rentra à l’intérieur de la mairie, où il devait placer bien en vue sur un bureau deux enveloppes préparées à l’avance, contenant l’une 500 francs destinés aux prisonniers et l’autre 100 francs à l’adresse du brave garde champêtre en compensation des émotions que nous allions lui causer.

Pendant ce temps, Belleau et Bertaut le bas du visage dissimulé derrière un mouchoir de couleur sombre (Bertaut armé d’une mitraillette et Belleau comme « arme apparente » une simple lampe de poche!) se dirigent vers la fenêtre désignée. 

Belleau donna un petit coup de lumière pour repérer l’endroit de l’espagnolette et d’un coup d’épaule droite essaya de briser la vitre, qui résista au premier choc, le second, plus puissant, la fit voler en éclats.

La suite fut une scène de cinéma très rapide pour les yeux de Bertaut resté près de la fenêtre…

La vitre à peine brisée, l’espagnolette est actionnée, le contreplaqué de camouflage projeté à l’intérieur et la fenêtre ouverte avec fracas. 

Dans le même temps Belleau prenant appui des mains sur le bord de la fenêtre, sauta d’un seul bond dans la chambre du garde champêtre.

Catastrophe! Un meuble (table ou machine à coudre) se trouvait près de la fenêtre. Ne l’ayant pas vu, il l’accrocha de la pointe des pieds et tomba sur le ventre. Allongé de tout son long, le nez près du vase de nuit … aussi vite relevé que tombé, il se retrouvait alors proche du lit de Monsieur et Madame Silly. 

Sa silhouette, se découpant dans le clair-obscur de la fenêtre, devait le faire apparaître comme un immense fantôme.

Par bonheur, dans sa chute brutale, Belleau avait pu préserver sa lampe électrique. Il éclaira le lit, qui vu de la fenêtre, se trouvait en travers au fond de la pièce très étroite.

 

Madame Silly, couchée sur le bord immédiat du lit, Monsieur Silly sur le bord côté mur. Toujours vu de la fenêtre, la tête du lit se trouvait à gauche et la caissette de tickets était posée au sol, entre le mur et la tête de lit. 

 

A la demande de Belleau, Madame Silly se pencha un peu hors de son séant en disant:

« Elle est là, prenez là »

Monsieur Silly n’ayant pas encore bien réalisé, dit très doucement sans bouger:

« Non! Non! Non! Non! »

Puis très vivement en amplifiant sa voix jusqu’à crier, d’abord en se dressant sur son coude droit:

« Non! Non! Non! Non! »

Et voyant que l’assaillant n’avait pour toute arme qu’une lampe électrique, il leva les bras en l’air en se mettant sur les genoux et cria très fort:

« Ah Non! Non! Non! Non! »

Il était urgent de mettre un frein aux cris du garde champêtre qui défendait courageusement ce qui lui avait été confié. 

Belleau se retourna et éclaira Bertaut qui jusque-là, n’avait pas été aperçu par le couple Silly. Bertaut manœuvra la culasse de sa mitraillette en disant à Belleau:

« Rangez-vous! Je tire! »

Le garde champêtre entendant et apercevant ce nouvel assaillant, comprit que toute résistance était inutile! 

Alors dans un plongeon remarquable, il piqua du nez sous son traversin.

La caissette de tickets, rapidement enlevée et provisoirement confiée à Bertaut, nos compères abandonnèrent le couple Silly à ses réflexions, après lui avoir bien recommandé de n’aviser la police qu’une heure après leur départ.

L’opération avait été si vite faite que Sixte, les voyant revenir, pensa qu’elle était manquée!

Toujours dans le plus grand silence et tout aussi rapidement, toute la troupe s’éloigna, Rhône en arrière-garde, après avoir pris la précaution de couper les fils téléphoniques et de refermer la porte d’entrée. 

Reprenant la route de Chartres, la dislocation se fit à l’entrée de la première rue à gauche, chacun rentrant directement chez lui ou allant achever dans une maison amie. 

Les armes furent rendues à Rhône et à Sixte, qui les reportèrent à leur cachette habituelle.

Belleau et Bertaut, portant toujours la précieuse caissette, s’en allèrent à grands pas, trop grands au gré du premier, qui avait peine à suivre son athlétique camarade. Ils empruntèrent le chemin de l’étang et la route de Belhomert pour rejoindre la maison des Petit-Jouvet, où ils devaient entreposer le butin et passer la nuit. Avant d’y arriver, ils eurent une alerte. Tout à coup la route se trouva violemment éclairée par une auto venant sur eux et se dirigeant vers La Loupe. Il fallait se dissimuler aux yeux des arrivants.

Belleau se jeta dans le fossé vers la gauche, Bertaut croyant voir à droite l’entrée d’un champ ou d’un chemin, s’y lança à toutes jambes… Hélas! Il n’y avait rien d’autre qu’un profond fossé, où il disparut presque en entier, barbotant dans une eau boueuse. Si l’endroit manquait d’agrément, il n’était pas sans avantage pour s’y cacher. 

L’auto passa... Les deux amis purent enfin gagner leur destination sans autre incident. Ils y arriveront plus ou moins « crottés » et par surcroit, le fond de la culotte de Belleau n’avait pu résister aux prises des ronces artificielles.

 

Le reste de la nuit s’acheva dans le repos.

Le matin vers huit heures, les vêtements de « cambrioleurs » furent reprisés par Madame Petit-Jouvet. 

Belleau et Bertaut prirent congé de leurs hôtes pour rejoindre Nogent-le-Rotrou par le train qui avait plus de deux heures de retard. 

Ils durent l’attendre après être passés sous les yeux scrutateurs de deux gendarmes.

Il est bon de faire remarquer que tous ces hommes, de haute moralité et d’honnêteté scrupuleuse en d’autres temps, n’auraient jamais eu l’idée de commettre une action répréhensible et sévèrement punie par les lois en vigueur.

Cependant l’ordre une fois donné, aucun d’eux n’hésita, bravant tous les risques et la conscience tranquille, afin de donner les cartes d’alimentation pour subsister à tous ceux qui se « planquaient ».

L’excédent des tickets permit de constituer, avec l’aide des commerçants sympathisants, un stock de vivres, grâce auquel les Maquisards purent tenir du 6 juin 1944 jusqu’au jour de la Libération.

Pylônes
Par Gabriel Herbelin alias Duroc et Jean Renauldon alias Rhône

  • Maurice Clavel alias Sinclair, Commandant FFI d’Eure-et-Loir

  • Simonne Favre-Bertin alias Silvia Monfort

  • Gabriel Herbelin alias Duroc, Capitaine Duroc

  • Jean Renauldon alias Rhône, Lieutenant Rhône

  • André Duclot alias Belleau, Aspirant Duclot, Groupe Corps Franc

  • Guislain Roche alias William, Aspirant William, Chef de Groupe II

  • alias Horace

 

FFI = Forces Françaises de l’Intérieur

SS = SchutzStaffel = Organisation paramilitaire et policière nazie fondée en 1925

Gestapo = Police politique de l'Allemagne nazie entre 1933-1945

Feldgendarme = Police militaire allemande (de la fin des guerres napoléoniennes jusqu'à la fin de la Seconde guerre mondiale)

 

 

Fin Mai 1944: Depuis quelques semaines, la France entière attend.   

Le débarquement allié semble imminent. 

La Résistance le prépare et multiplie les destructions.

A Nogent-le-Rotrou, quelques hommes, une poignée, sont impatients mais résolus. Ils savent qu’après des mois de travail, obscur mais dangereux, la vraie bataille va commencer.

Le samedi 27 Mai, dans l’après-midi, Sinclair est en ville, apportant un ordre: couper dans le délai le plus court la ligne de haute tension à proximité de La Ferté-Bernard. Cette mission devait incomber au groupe de la Sarthe, mais le Haut Commandement a des doutes sur certains chefs. Il est impossible de se mettre en contact avec les équipes locales. Nous devons donc effectuer ce travail.

Une autre coupure sera effectuée avec un plein succès à La Loupe.

Il s’agit d’isoler les stations et obliger la SNCF à épuiser ses réserves de charbon.

La décision est vite prise, dès le lendemain les pylônes sauteront.

Beau dimanche de Pentecôte !

En vingt-quatre heures:

  • Il faut aller reconnaître le point choisi par le Commandement, à proximité de La Ferté-Bernard.

  • Alerter l’équipe voisine de Thiron qui viendra en renfort.

  • Et préparer l’explosif.

En ce jour de fête, deux cyclistes quittent Nogent-le-Rotrou vers 7 heures et pédalent allègrement sur la route du Mans.

Il fait chaud déjà quand ils arrivent sur ce terrain.

La reconnaissance s’effectue rapide pour ne pas attirer l’attention de tous ceux qui sont dans les champs. Puis c’est le retour.

William sur un vélo d’emprunt, à court d’entraînement et Horace sur des pneus expirant, ont déjà mouillé la chemise à l’heure de l’apéritif.

Le soir même, à vingt heures, grand branle-bas chez Belleau.

Tous sont là et c’est torse nu qu’ils pétrissent le Plastic et mesurent le Cordtex. 

A 21h30 tout est prêt, les charges sont réparties par équipe, les armes nécessaires à la défense démontées et empaquetées.

C’est le départ par groupe de deux ou trois.

Je file en éclaireur précédant le premier groupe d’une centaine de mètres. Je n’ai qu’une gaule sur mon vélo; on peut arrêter ce pêcheur inoffensif, il ne fera rien d’autre qu’allumer un mégot qu’il conserve à la bouche. 

Ce signal donné, toute la troupe disparaîtra derrières les haies. 

Mais heureusement aucune mauvaise rencontre, par contre de multiples crevaisons réparées à la hâte.

A 23 heures, nous sommes à La Ferté-Bernard et le travail commence: répartition des sacs, montage des armes.

Je reste à proximité de la route pour garder les bicyclettes, tandis que les camarades s’enfoncent dans la nuit.

Ils sont signalés par des aboiements lointains.

Minuit … Une heure …Ils ne sont pas encore de retour ! C’est long …

Ils m’apprennent en rentrant, vers deux heures, que la mise en place a été très dure et très longue … l’écartement des pieds des pylônes n’est pas le même que celui de La Loupe, où il a été mesuré. Ils ont démonté, remonté leurs dispositifs, puis les ont placés à un mètre du sol et n’ont préparé que deux pylônes sur trois. 

Enfin les crayons à retardement placés, nous pouvons rentrer.

Au petit jour, la ligne sera coupée.

Nous arrivons à l’abattoir de Nogent-le-Rotrou vers trois heures trente.

Pour ne pas traverser la ville, nous empruntons la petite ligne d’Authon.

La sentinelle de Saint-Jean s’est sans doute demandée ce qui pouvait bien faire un tel bruit sur la voie. 

Il fallait entendre les pieds fatigués butant dans les traverses, le vélo heurtant les rails, tout un tintamarre que la joie de la mission remplie nous empêchait d’écouter.

Une partie de l’équipe vint se rafraîchir chez Belleau. Il fallait voir avec quelle joie nous nous précipitâmes sur le robinet. Nous étions sales, suants, assoiffés, après sept heures de travail et de route poussiéreuse, mais heureux quand même. 

A 6 heures les pylônes sectionnés, mais restant en équilibre sur leurs moignons, ne réussissaient pas à entraîner les fils.

Zéro, à refaire! 

 

La coupure réussie à La Loupe ne suffit qu’imparfaitement à assurer le succès de l’opération.                                                   

Oui, tout alla très bien dans ce secteur, sous le commandement du chef départemental du FFI.

Dans le garage d’un ami, l’affaire débute cependant très mal, jugez plutôt.

Des cellules de containers on extrait comme chez Belleau, tout le matériel nécessaire indispensable. 

Un engin nouveau tombe entre les mains de Rhône, qui cherche aussitôt à s’instruire.

Qu’à cela ne tienne Sinclair se fait démonstrateur, sûr de son érudition.

Hélas! Le fonctionnement n’est pas conforme au règlement: explosion sans conséquence matérielle, mais quel bruit!

Nous nous voilons la face! Que vont dire les voisins qui prennent le frais à leur fenêtre ? Et le personnel de la maison? 

Madame Rhône a tout de suite senti le danger et ne perdant pas son sang-froid d’un air consterné, apprend à qui veut l’entendre, qu’un pneu vient d’éclater.

En pleine nuit trois équipes se partagent trois pylônes, l’un d’eux confié aux mains expertes de Silvia Monfort. 

A leurs pieds tout est prêt, on attend… un agent de liaison arrive:

  • « Etes-vous paré? »

  • « Oui »

Réglage des montres.

  • « A 1 heure 25, mise à feu générale. »

Les minutes s’écoulent, mon cœur bat: 1heure 24, 1 heure 25 … 

La première ampoule du détonateur à retardement crisse sous les doigts, La deuxième ! 

Si là-bas, en Angleterre, l’ouvrier qui l’a conçue a commis une faute, s’en est fait de notre vie,

La troisième !

La quatrième ! ….

Filons! Dans 22 minutes le ciel s’embrasera trois fois (par souci du travail bien fait, quatre détonateurs par dispositif).

22 minutes après, j’ouvre la porte de ma maison de refuge (il y a longtemps que j’ai déserté, à cause de la Gestapo, le toit conjugal).

Le ciel s’embrase… quelques secondes, les portes vibrent, les Loupéens se réveillent en sursaut… 

Une explosion, puis deux, puis trois, puis une quatrième me laisse perplexe! … Je sus plus  tard que des difficultés imprévues avaient obligé Sinclair à réaliser deux circuits indépendants.

Je m’endors tranquillement. Mission accomplie !

Je saurai le lendemain, qu’une charge n’a pas explosé, tant pis, car les trois pylônes sont bien à terre, buissons et herbes calcinés.

Un Feldgendarme relèvera cette charge et d’un air désabusé l’enverra dans un fossé.

« Matériel anglais » dira-t-il.

A sa place j’aurai relevé les empreintes digitales sur le Plastic (explosif anglais, ressemblant au Mastic, deux fois plus puissant que la Mélinite).

Ah! Que l’on nous envoie faire de l’occupation! Les boches n’auront pas affaire à des bleus! …  

Pylônes.jpg

Parachutage
Par Jean Renauldon alias Rhône

  • Maurice Clavel alias Sinclair, Commandant FFI d’Eure-et-Loir

  • Gabriel Herbelin alias Duroc, Capitaine Duroc

  • Jean Renauldon alias Rhône, Lieutenant Rhône

  • Capitaine Pierre du WarOffice

  • Capitaine M.

  • Maurice Bichon 

FFI = Forces Françaises de l’Intérieur

BOA = Bureau des Opération Aériennes

SS =  SchutzStaffel = Organisation paramilitaire et policière nazie fondée en 1925 

WarOffice = Ministère de la guerre

Container = Cylindre métallique renfermant des armes, des explosifs…

FM = Fusil-Mitrailleur

Euréka = Radiophare portatif - Transmetteur terrestre

S-phone (ancêtre du talkie-walkie) = Liaisons radio entre les avions et les comités de réception

PIAT (Projector Infantry Anti Tank) = Arme portative anti-tank britannique 

 

Un fil d’argent s’incurve dans le firmament et le cœur des FFI, celui des Résistants, avant que n’existe « notre phalange », se met à battre d’émotion. Evénement bien banal pour la majorité des êtres humains, la nouvelle lune tend nos esprits vers le projet de parachutage toujours possible, toujours incertain. 

L’attention se concentre vers le poste de radio, celui du foyer familial, ou celui du Maquis, muni de ses écouteurs. 

Au Maquis tout le monde est averti. 

Chez soi, les amis, les non-initiés, s’étonnent de l’attention soudaine portée à l’audition des messages personnels. 

Malgré l’énervement du brouillage: 13h30, 14h30, 19h, 21h45, rien ne doit échapper, l’attention se concentre au maximum. 

Légère émotion si une phrase ressemble à celle que nous attendons. 

Pendant des mois, déceptions sur déceptions.

Le 6 Juin 1944: Le débarquement et rien!

Rien que nos stocks d’armes réduits, dont il faudra se contenter.

Le 7 Juin, réunis autour de ma table à l’heure du déjeuner (un peu soucieux à cause des événements) par habitude nous écoutons le poste qui déverse son flot d’énigmes.

Soudain, les phrases convenues pleuvent littéralement:

« Pour être un soldat de marine » (St Lubin), nous bondissons mais ce n’est pas tout:

« Tiens voilà du boudin » (Crucey), pour nous encore:

« Le sacristain perd ses dents » (Mizeray) … 

Magnifique! Trois parachutages pour le secteur.

Aussitôt, nous décidons:

 - qu’une équipe ira renforcer nos amis de Crucey et réceptionnera un envoi du WarOffice,

 - tandis qu’une autre rejoindra Mizeray et réceptionnera l’envoi du BOA.

J’emmène celle de Crucey. Inutile d’écouter 14h30 et 19h39 mais 21h45 peut tout annuler!

Ce sera pour ce soir et nous pourrons ainsi intensifier, par la suite, la lutte contre le boche.

Ma voiture à gazogène nous emmène, à la tombée de la nuit, vers le terrain de la Pommeray, à côté de Crucey. Nous la camouflons à proximité, dans une haie, puis nous gagnons l’endroit convenu, repéré depuis longtemps, et dont les coordonnées avaient été indiquées en Angleterre.

Sur la route, nous rencontrons une sentinelle un peu émue de son rôle important et pleine de zèle, nous lui donnons le mot de passe et nous voici au champ où nous passons la nuit.

Un champ de trèfle légèrement en pente, dans le mauvais sens pour la remontée des containers. Au bout du champ, il y a un bois.

Duroc, prend la direction des opérations.  

 

Balisage classique ( Voir galerie photos ):

Trois lampes de poche tenues par un homme à quatre-vingt mètres de distance, une quatrième à dix mètres à droite de la première, le tout formant une flèche conventionnelle dans les sens de la direction du vent.

A chaque avion, elle s’allume.

« Balisez! Balisez! » 

Cet appel de Sinclair, retentira constamment aux parachutages suivants dirigés par lui.

 

Et l’on balise tout, surtout des boches, je crois, et comment se fait-il que le coup dur ne surgisse pas!

La nuit est magnifique et l’activité aérienne considérable. Les lueurs, à l’horizon, se multiplient par un bombardement quelconque. 

Les fusées illuminent le ciel au lointain, le canon tonne très sourd et très étouffé par la distance. 

Un avion se met à briller, flamboie, se casse en deux et s’abîme dans un incendie gigantesque. 

Nuit terrifiante, c’est le début de l’offensive alliée. 

La lune est presque dans son plein au-dessus d’un nuage.

Le froid devient piquant et chacun somnole, car le calme s’établit en même temps que les heures s’écoulent. 

L’attente sera-t-elle vaine? Le cas est si fréquent.

Une heure: après des balisages sans résultat, je doute.

Avec une précision magnifique, entre la lune et la cime des bois, surgit un quadrimoteur « Halifax » qui nous affirme une compétence. 

Impression de puissance, de force, d’exactitude. 

C’est lui: « Balisez! Balisez! »

La lampe de droite, en tête de flèche, répète sans cesse en morse la lettre « C » convenue comme indicatif. 

L’avion répond. Je suis ému.

L’appareil traverse le terrain, s’en va et revient.

Le ronronnement de ses moteurs nous apparaît infiniment sympathique et nous nous sentons moralement unis à cet équipage, qui seul, a bravé le ciel, pour le même idéal que nous, qui, « rampants » ne parlons pas la même  langue.

Face à la flèche, l’appareil ne se trouve pas sur une ligne impeccable, il s’éloigne, nous ne l’entendons plus. A soixante mètres des arbres Il émerge à nouveau: une petite lueur, je ne sais pourquoi, derrière chaque hélice.

Face au vent, lorsque le terrain est franchi: « Ça y est! » surgit de toutes les poitrines. De nombreux flocons se détachent, s’épanouissent et s’abîment dans l’herbe humide.

Quelques secondes palpitantes et rapides, les containers lourds prennent contact avec un bruit sourd et métallique. Plus lents, les paquets tombent en silence, les parachutes s’étalent en d’immenses taches claires. 

Avec un léger flottement dans la discipline, toujours constaté à chaque parachutage et dont il faut chercher la cause dans l’émotion ambiante, chacun se précipite vers un parachute, le déboucle et le plie.

Les équipes s’emparent des paquets, d’autres sur une civière emmènent les containers à la route.

Travail pénible, le cylindre n’est pas commode à saisir et sa masse peut égaler deux-cent-vingt kilos. 

Première précaution, afin de connaître le nombre total des parachutes et de ne rien oublier dans le champ, regarder l’étiquette de chacun des envois: 

                  15-7P (15+7 disons-nous) = 15 containers + 7 paquets. 

Ainsi sommes-nous renseignés.

Jamais nous n’avons admiré l’avion opérer un looping joyeux comme le décrit le rédacteur de  « La France au Combat » (N° 1/3/1945)

Sur le bord de la route, inventaire sommaire, la moitié du chargement prend dans le camion de notre ami Maurice, le chemin d’un hangar, auprès duquel tout est caché sous un tas de paille.

L’autre moitié est embarquée dans le même camion avec les parachutes, et nous nous rendons avec l’équipe de Digny à la ferme du Château, chez nos amis dévoués. La femme de Maurice collabore au service de sécurité.

Le lendemain, nous faisons un inventaire plus détaillé: « Le Piat », objet nouveau émerge à notre grand étonnement, FM, mitraillettes, munitions, récepteur de radio, un peu d’équipement et à notre grande surprise, une caisse d’affiches et d’objets de propagande pour « Le Populaire ». L’ensemble de ce paquet va s’abimer dans les douves qui entourent la ferme, non par idéologie mais parce qu’en ce début de Juin 1944, la politique nous apparaît comme une vaste fumisterie.

Le jour même, le chargement prend le chemin de nos caches, il entrera sous peu en action.

 

Mais tous les parachutages ne ressemblent pas à celui-ci.

En voici un autre exemple: 

« Ne pas s’éterniser dans ses bras, quatre fois. Plus un colis précieux. » (à La Hurie)  

Cela signifie: 

                        Quatre fois! = Quatre avions! = Quatre-vingt-douze parachutes en perspective…

Mauvais terrain à quinze cents mètres de l’itinéraire IV, des Allemands sur la route de Paris-Nantes, pentes bordées de bois et coupées de haies, la déclivité empêche les avions d’embrasser l’ensemble du balisage et ils doivent prendre de la hauteur. 

La dispersion est considérable, les lâchers se font en plusieurs fois, déroutant les équipes, si bien que le quatrième avion n’est pas balisé et repartira avec son chargement.

Seulement soixante-douze parachutes, dans toutes les directions. 

A vingt-cinq mètres du sol, il faut décapiter la tête d’un chêne coiffé par l’un des parachutes. Je démêle, branche par branche, les cordes dans un pommier transformé en une immense boule blanche. 

A l’aurore, le travail n’est pas terminé, et au loin, des points blancs s’étalent encore. 

Des containers brisés ont éparpillé leur contenu qu’il faut rechercher avec minutie.

Transports pénibles, courbatures pour les jours suivants… 

Quant au colis précieux, c’est une énigme! 

Depuis, nous sûmes que c’était l’«Euréka ».

 

L’«Euréka» à Denonville fonctionna à merveille, au cours d’une opération sans lune dans l’immense plaine de Beauce.

Dans un rayon de quatre-vingts kilomètres, les avions l’entendent, tel un phare radio sur le terrain, l’appareil tend vers le ciel son trépied renversé, absolument énigmatique pour moi. 

Le manipulateur répète sans cesse la lettre conventionnelle. 

Le lâcher est précis et ramassé.

A la pointe du jour, je ramène le Capitaine Pierre du WarOffice, sur ma moto, avec du matériel radio.                                                         Nous traversons Boisville-la-Saint-Père, quelques minutes avant qu’une rafle allemande s’abatte sur ce village. Toutefois nos amis sauveront le matériel. 

La maison de notre ami Collin sera mise à sac.

Ajoutons qu’un autre engin, le « S.phone » permet aussi le parachutage en période inter-lune. Avec celui-ci, l’avion se trouve guidé par conversation directe entre l’avion et l’équipe de réception. 

 

Jamais un incident marquant ne vient troubler la fête. 

A Digny: « Justine n’est plus dans son box » toutefois, un parc à moutons en bordure du terrain offrait un obstacle imprévu à notre tranquillité.

Les ovins restaient bien insensibles à la situation, mais les chiens (ennemis n°3) menèrent un grand vacarme. 

Le Capitaine M. s’en fut trouver le berger, émergeant péniblement de sa roulotte. On fit appel à son sens patriotique et on lui expliqua le but que nous poursuivions. Je doute qu’il ait compris, car le brave homme répliqua: 

« Vous pouvez bien prendre les moutons, car ils ne sont pas à moi ! »

Il emmena ses chiens, c’est tout ce que nous demandions.  

Quant à sa discrétion, n’en parlons pas. Tout le pays fut au courant le lendemain. On alla même jusqu’à raconter que les Anglais avaient parachuté un cheval blanc s’appelant « Coco »!

Confusion, sans doute, avec celui du fermier Monsieur Chiffra, qui assurait le transport. 

D’ailleurs, pourquoi pas? En Bretagne, des jeeps furent lancées munies de huit parachutes.

Notons enfin que les premières opérations aériennes de ce genre eurent lieu en Eure-et-Loir, à Thiron-Gardais, par l’entremise du BOA et, détail savoureux, le premier dépôt d’armes fut constitué sous les aménagements d’une baignade très fréquentée des Allemands!

Ces derniers piétinaient littéralement les mitraillettes et explosifs anglais!

 

Voici racontées succinctement, ces importantes actions, la sève de la Résistance, où l’Angleterre engloutit des millions! Grâce à elle, la campagne de France fut d’une rapidité inouïe, épargnant le patrimoine et la vie de beaucoup de Français. 

Travail au Dépôt
Par Jean Stiesz alias Sixte

  • Jean Stiesz alias Sixte, Aspirant Sixte, Chef du Groupe Corps Franc

  • Emile Hiegel, déserteur Lorrain, Equipe 1 dans le Groupe III

  • Gérard Dusse, déserteur Prussien de Brandebourg, Equipe 3 dans le Groupe III

 

FFI = Forces Françaises de l’Intérieur

WerHmatch (WH) = Nom officiel des armées du IIIe Reich

SS = SchutzStaffel = Organisation paramilitaire et policière nazie fondée en 1925

 

Ce soir, je suis venu dîner chez Monsieur Hardy à La Touche. 

Nous buvons le café arrosé de calva, en attendant le moment de partir au dépôt. Il fait véritablement bon dans cette simple cuisine, qui respire la bonté, et dont la chaude atmosphère familiale nous était d’un si précieux réconfort après nos randonnées éreintantes. 

Peu à peu, la conversation baisse de ton et se ralentit. Je me laisse captiver par la belle symphonie que l’horloge et la grosse bouilloire de la cuisinière se sont mises à jouer. Le rythme en est varié, les nuances fines, il me semble entendre la Marche des Marionnettes (Ch.Gounod). 

Brutalement, tout s’arrête, non pas sur une chute de marionnettes, mais sur un: 

« On va pouvoir y aller » dit Monsieur Hardy.

Etonné, je regarde la pendule: Onze heures!

« Oui, on va y aller ».

Je m’arrête une seconde sur le seuil de la cuisine surpris par l’obscurité de la nuit. Je rejoins Monsieur Hardy dans son étable, où il extirpe d’un tas de fourrage, huit mitraillettes arrivées cet après-midi, provenant directement de l’Yonne, par colis agricole et camion laitier, voire même par la poste, grâce à de sérieuses complicités. Elles s’en vont rejoindre notre dépôt au « Vieux Landon ». Les vaches nous regardent d’un air béat, elles ne s’arrêtent même pas de ruminer pour autant, elles en ont déjà tant vu! Heureusement qu’elles ne peuvent parler! 

Courbés sous les petits sacs, nous nous mettons en route en amortissant nos pas. Nous sortons de la cour, nous longeons des haies, traversons des herbages, passons des clôtures avec d’infinies précautions, car depuis longtemps nous avons appris à nous méfier de ces fils de fer barbelés qui se mettent brusquement à vibrer parce que le bas d’un pantalon s’y est accroché incidemment. Alors c’est la catastrophe: une sonnerie qui nous semble sans fin rompt le silence  de la nuit … Pourvu qu’un chien ou un braco ne rôde pas dans le voisinage! 

Juste dans l’herbage qui s’étend derrière la ferme, dont le grenier nous sert d’arsenal, nous faisons lever une troupe de bœufs, ils s’éparpillent, reviennent nous renifler à distance, le cou tendu et nous suivent un moment.

Tels de vrais cambrioleurs, nous pénétrons dans la grange en enjambant la porte coupée dont le vantail inférieur, seul, subsiste.

Ça y est, nous sommes de l’autre côté avec nos sacs, mais un chien se met à aboyer dans la ferme voisine, à vingt mètres à peine. 

Nous restons tapis sur le foin, une lumière s’est allumée, puis le chien se 

tait sur l’ordre de son maître. 

Et nous qui pensions avoir été discrets et ne pas pouvoir être remarqués! Nous restons une minute encore l’écoute. Tout à coup, j’ai l’impression que quelqu’un marche en bordure de notre ferme, ça s’approche, je sors mon Colt. 

Aucun doute maintenant, quelqu’un longe la grange, il va doucement, mais ses précautions sont insuffisantes et il écrase l’herbe trop bruyamment. 

J’arme mon revolver et je me place dans le coin le plus obscur de la grange, à deux mètres de la porte, les pas se sont arrêtés à ce niveau, je lève le canon de mon arme … 

Alors « deux choses » pointues et recourbées s’élèvent lentement au-dessus de la demi-porte, « deux choses » velues les accompagnent et bientôt une splendide tête de bœuf s’appuie sur le bord du vantail et nous fixe bêtement …

Rassuré mais vexé, je rentre mon pétard et nous montons au grenier avec notre matériel.

Je bouche avec du foin les interstices laissés entre les planches vermoulues placées devant la lucarne et Monsieur Hardy allume la lampe électrique.

Qui oserait soupçonner la présence de fusils, mitraillettes, grenades, explosifs et autres engins sous cette uniforme couche de foin? 

Quel beau tapage quand tout cela entrera en action.

Pour le moment, il nous faut découvrir l’endroit réservé aux mitraillettes. 

Nous nous agitons dans un nuage de poussière (c’est du vieux foin) jusqu’à ce que nous sentions les petits sacs, où les Sten démontées, reposent dans un bain de graisse.

Tandis que Monsieur Hardy m’éclaire, je place les nouvelles venues à côté des anciennes et nous les recouvrons de la couverture de foin indispensable à leur sécurité.

Mais ce n’était pas toujours simple ni rapide.

Je pense à ces nuits passées tout entières à inventorier notre matériel. 

Nous succombions sous le flot des paquets de pansement ou des crayons à retardement bleus, verts, jaunes, noirs, rouges (la couleur indique la durée du retardement).

Nous cherchions à déceler le mécanisme d’une mise à feu énigmatique, et les heures passaient très vite, très agréables, car nous rêvions du moment où nous aurions à nous servir de ces richesses. 

Je me souviens de ces multiples transports, nécessités par le nettoyage des grenades et la mise en état des mitraillettes.

Je pense à la discrétion, à la discipline et aux précautions qu’il a fallu s’imposer, pour que notre dépôt reste insoupçonné jusqu’à ce que sonne l’heure du combat.

Oui! Les voisins immédiats ignorèrent tout jusqu’à l’heure de la Libération.

 

A cette époque, se place un petit fait piquant, aux abords de ce dépôt du « Vieux-Landon ». 

Un authentique camion allemand s’arrête, sur le siège un soldat de la Werhmatch. 

Ses affinités alsaciennes l’avaient rendu FFI, bien que ne causant pas le français, Gérard, c’est son nom, était un authentique Prussien de Brandebourg. 

A côté de lui un SS (un SS qui aujourd’hui conduit des autocars quelque part en Beauce et ne parlant pas un mot de boche)!

Le SS interpelle un habitant du lieu: 

« Pardon Monsieur y a-t-il des boches chez Monsieur Hardy? » 

Chez Monsieur Hardy, où une mission les appelait.

Le passant n’en est pas encore revenu.

Le lecteur comprendra mieux au cours des pages qui suivent…

Transport à Dos d'Homme
Par Jean Stiesz alias Sixte

  • Gabriel Herbelin alias Duroc Capitaine Duroc

  • Jean Renauldon alias Rhône, Lieutenant Rhône

  • Jean Stiesz alias Sixte, Aspirant Sixte, Chef du Groupe Corps Franc

  • André Duclot alias Belleau, Aspirant Duclot, Groupe Corps Franc

  • Guislain Roche alias William, Aspirant William, Chef du Groupe II

  • Georges Duchateau alias Ducastel, Adjudant Ducastel, Chef du Groupe III

  • Maurice Bichon

SS = SchutzStaffel = Organisation paramilitaire et policière nazie fondée en 1925

Feldwebel = Grade de l'armée allemande correspondant à celui d'adjudant

Nachtausweiss = Laissez-passer pour circuler la nuit 

 

 

Depuis quelques instants, nous étions au Maquis, Belleau et moi, de retour d’une fatigante mission de sabotage sur le câble téléphonique. Nous comptions bien nous reposer ferme, lorsque Duroc  nous demande de repartir le soir même… ce sera un dur travail, mais d’une importance vitale pour nous et dont l’exécution ne peut être retardée!

Il faut aller chercher à Digny une partie des armes qui ont été parachutées la nuit dernière. Le transport se fera à dos d’homme. 

Nous couvrirons, aller et retour, une distance de soixante-dix kilomètres. 

Dans les quarante-huit heures nous devons être rentrés. 

Nous remisons nos beaux projets de repos et nous préparons notre expédition.

Tout d’abord nous repérons nos voies de cheminement, on nous signale à ce propos qu’à Saint-Maurice se trouve un important cantonnement SS qui ne s’étendrait pas d’ailleurs à Saint-Germain, petite agglomération voisine de la première, mais les renseignements ne sont pas absolument certains, il nous faudra voir sur place.

Puis nous constituons notre équipe. Nous serons quinze: quinze gars solides et bons marcheurs, en même temps des types sûrs et de sang-froid. 

Nous réglons également les questions d’armement et de vivres, puis le départ étant fixé pour 23 heures, je vais essayer de dormir un peu pendant les deux heures qu’il me reste.

A 22 heures 45, je suis réveillée par le départ d’une équipe pour Mizeray, semblable à la nôtre. Elle va effectuer le même travail que nous. 

Poignée de mains et à voix basse nous leur souhaitons bonne chance!

A 23 heures, nous sommes tous là et bien décidés, malgré nos mines fatiguées. En colonne par un et en grand silence, nous quittons notre cher Maquis. Nous zigzaguons sous les branchages, puis c’est la descente sur le sol glissant jusqu’à la prairie qui borde notre bois.

Arrivés sur le chemin, nous nous regroupons, marche en colonne par un, sur le bas-côté herbeux, surtout:

  • ne pas faire rouler de pierre, 

  • ne pas casser de branche morte, 

  • ne pas s’accrocher aux ronces de la haie!

Les deux premiers regardent devant eux, le troisième à gauche, le quatrième à droite, et ainsi de suite.

Nous devons progresser sans nous faire voir, ni entendre. 

Malgré la familiarité de ces chemins et de ces campagnes, qui sont nôtres, n’oublions pas que nous sommes en territoire ennemi.

En dépit de toutes ces précautions, le chien de la ferme des Giraumont aboie, je bouillonne! 

Combien de fois avons-nous failli être pris par la faute d’un chien.

Vraiment, j’ai bien raison lorsque je dis que le chien est l’ennemi N°3 du Maquisard!

 

L’ennemi N°1 c’est le boche

L’ennemi N°2 c’est la femme (prétexte du pantouflard) 

L’ennemi N°3 c’est le chien

L’ennemi N°4 c’et le fil de fer barbelé

 

Nous pénétrons ensuite dans notre petit chemin de sable, encaissé à souhait et si gentil, si idyllique, qu’il me semble être fait davantage pour une promenade avec ma fiancée que pour une marche d’approche.

Enfin c’est la guerre. Nous traversons la route de Marolles après nous être assurés que rien de suspect ne s’y trouve, et nous abordons la ligne de Brou, que nous suivons jusqu’à la maison des Crottes, notre premier Maquis, où nous nous donnons une demi-heure de récréation autour d’un container de dix kilos de confiture!

Quelle est votre méthode de déguster la confiture? 

Ecoutez celle-ci, préconisée par Belleau, nous l’avons tous adoptée:

« Prenez une biscotte entre le pouce et l’index, trempez-la dans les confitures sans trop y plonger vos doigts, surtout s’ils sont sales, égouttez-la légèrement et engloutissez à grosses bouchées, de façon à ne pas trop salir vos affaires! »

Un gobelet d’eau de source, et la marche reprend sans histoires, mais non sans péril.

Nous traversons Saint-Eliph encore endormi, cinq cent  mètres de grande route à travers un village!

 

 A chaque instant nous redoutons une mauvaise rencontre. Heureusement tout se passe bien. 

A 6 heures nous camouflons nos  mitraillettes dans nos sacs à dos et nos musettes. Au carrefour de la Cour Lozon, nous croisons un tas de ferraille fumante, d’où l’on distingue cependant un volant et des jantes: ce sont les restes d’un camion allemand mitraillé la veille au soir par les chasseurs américains.

Redoublons de prudence maintenant, les SS ne sont pas loin.