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LES TÉMOIGNAGES

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Histoire de notre association

- PARTIE 1 -
Origine, Organisation, Activités de la Résistance au Maquis de Plainville en Eure-et-Loir Ouest

C’est Jean Moulin, qui est à l’origine  de la Résistance en Eure-et-Loir.

Jean Moulin est né le 20 juin 1899 à Béziers.

Haut fonctionnaire et marchand d’Art, il fut: 

  • Sous-Préfet d’Albertville, Châteaulin, et Thonon-les-Bains,

  • Secrétaire général de la préfecture de la Somme, 

  • Préfet de l’Aveyron et d’Eure-et-Loir.

 

Il refuse l’occupation de la France par l’Allemagne pendant la seconde guerre mondiale.

En septembre 1941, il  rejoint la France libre à Londres. 

Reçu par le Général de Gaulle, il fait un compte rendu de la Résistance en France, de ses besoins en armes et en finances.

Il est envoyé à Lyon par le Général, pour unifier les mouvements résistants.

Il créé et préside le conseil national de la Résistance.

Au travers de ses activités professionnelles dans les diverses régions de France il avait noué des relations (maires, sous-préfets, médecins, vétérinaires) qui lui permirent de mettre en place les réseaux de la Résistance.

En 1944, Pierre Koenig est le Général en chef des Forces Françaises de l’Intérieur (FFI).

C’est ainsi que peu à peu les réseaux s’organisèrent avec un commandant par département. 

En Eure-et-Loir, Maurice Clavel alias Sinclair est nommé commandant, avec son adjointe Simonne Favre-Bertin alias Silvia Monfort. Ensemble  ils supervisaient la Résistance.

 

Qui mieux que ces Résistants devenus Maquisards, nos libérateurs, qui ont vécu et subi « en direct », pour nous parler des événements que nous allons découvrir dans cette première série de témoignages.

Ils parlent avec leur cœur, leurs tripes, leur angoisse, leur joie, leurs mots… Aujourd’hui, certains mots ou forme de langage utilisés peuvent choquer mais souvenons-nous que cela a été écrit au lendemain de « La Libération » par les vrais acteurs de La Libération!

Ces témoignages de la Résistance en Eure-et-Loir Ouest se sont retrouvés dans un petit fascicule imprimé en octobre 1945 et vendu au profit des œuvres sociales. 

En dehors des familles et amis proches, personne n’avait repris ces témoignages. Aujourd’hui, nous les enfants et petits-enfants, nous voulons rendre un témoignage de gratitude et d’amour en remettant en plein jour les témoignages des « nôtres »  qui ont tout donné afin de nous permettre une certaine forme de liberté.

Car qu'est-ce que la liberté, dont on parle tant ?

Mais laissons la parole à nos Maquisards dans tous ces témoignages.

Télécharger les tableaux des Maquisards en cliquant dessus : 

Origines

L'atmosphère de Notre Résistance
Par Jean Renauldon alias Rhône

  • Maurice Clavel alias Sinclair, Commandant Sinclair

  • Simonne Favre-Bertin alias Silvia Monfort

  • Gabriel Herbelin alias Duroc, Capitaine Duroc

  • Jean Renauldon alias Rhône, Lieutenant Rhône

  • Jean Stiesz alias Sixte, Aspirant Sixte, Chef du Groupe Corps Franc

  • André Duclot alias Belleau, Aspirant Duclot, Groupe Corps Franc

  • Albert Richard alias Bertaut, Doyen du Maquis

  • Edgard Eugène Cahour alias Létang, Sous-Lieutenant Létang, Chef du Groupe I

  • Gilbert Vallet, responsable du service ravitaillement

 

FFI = Forces Françaises de l’Intérieur

SR = Service de Renseignement

SS = SchutzStaffel -Organisation paramilitaire et policière nazie fondée en 1925

FM = Fusil-Mitrailleur

 

Dans ce paysage du Perche, non loin de Saint-Denis-d’Authou se trouve un vallon retiré au fond duquel s’écoule rapide une rivière argentée: La Vinette. 

A l’une des extrémités se dresse une croupe boisée: Plainville.

A l’autre extrémité un groupe de maisons rustiques: Le hameau de Saint-Hilaire-des-Noyers.

Plainville situé sur le hameau de Saint-Hilaire proche de  la commune de Marolles-les-Buis, entre Nogent-le-Rotrou et la Loupe.

Quelques centaines de mètres séparent l’une de l’autre, et voici que de Juin 1944 à la Libération, un petit coin de France libre, fut le témoin de joies comme d’angoisses d’une poignée de patriotes.

Saint-Hilaire!… petit hameau dont le nom sonne clair la vieille France.

Un cœur généreux, André Guyot mit sa ferme à la disposition des Maquisards, sa vie aussi, celle des siens et tout son patrimoine. 

Pas très loin, à quelques pas, s’élève la Chapelle Saint-Hilaire-des-Noyers au milieu d’un minuscule pré bien vert bordé d’une haie correctement taillée.

 Combien émouvant ce petit sanctuaire des champs, vétuste, surmonté d’une cloche minuscule et attendrissante, au-dessus d’un porche avancé recouvert de tuiles moussues. 

Le lierre grimpe le long des murs, l’ensemble respire le calme, calme indispensable au repos moral des FFI.

Il y a, dit Maurice Barrès: « des endroits où souffle l’esprit. »

 

La Chapelle Saint-Hilaire constitue le symbole des Résistants, groupés à ses côtés, non par pure idéologie religieuse, mais parce qu’elle représente un idéal et c’est pour un idéal que vécut là un groupe de Français.  (Voir galerie photos)

 

Je tiens à parler de ce lieu pour évoquer ces matins de Juillet, où quelques Maquisards se trouvaient agenouillés au pied de l’autel, croyant et non croyant, dans leur accoutrement de misère, armés jusqu’aux dents, pour entendre la messe, pour écouter aussi les causeries d’une haute tenue chrétienne et patriotique de Monsieur le Curé-Doyen de Thiron-Gardais.

 

Pendant ce temps on s’affaire à la ferme pour préparer « le jus » éternel de tous les soldats, que deux prisonniers SS monteront dans des bidons à lait à la Carrière de Plainville.

Plainville, des grottes qui débouchent sur d’anciennes carrières blanches souterraines qui renferment  « un champ de tir improvisé » d’une cinquantaine de mètres de long pour l’entraînement au tir. (Voir galerie photos)

A mi-pente sous les bois, sont installées des cahutes en bois et branchages qui abritent près de deux cents hommes prêts à mourir pour la France dans une ambiance de sacrifice et de discipline. 

 

Tous volontaires, jeunes pleins d’ardeur, les autres plus âgés abandonnant tout: femmes, enfants et situation civile. 

Hélas, de ce dernier côté, les mois suivants devaient apporter à certains de cruelles désillusions.  (Voir galerie photos)

Eloigné de toutes les voies de passages, ce lieu fut retenu par les Maquisards qui bénéficiaient  de solides complicités dans la région.

Le  Maquis de Plainville a été constitué en pleine activité entre le 15 Juin 1944 et le 11 Août 1944 avec des hommes et des femmes du secteur ouest d’Eure-et-Loir: Nogent-le-Rotrou et la Loupe.

 

Ce Maquis est l’un des quatre en Eure-et-Loir.

Il était constitué de 172 Maquisards, dont 23 étaient déjà dans la Résistance depuis 1942. 

Le Maquis était organisé par groupe de huit à dix hommes.

 

Au Maquis de Plainville, Duroc et Rhône, sont responsables de l’organisation militaire et du ravitaillement.

L’un et l’autre possédaient des permis de circuler en voiture, ce qui facilitaient les déplacements entre autre pour le ravitaillement en nourriture.

La viande et les légumes étaient fournis par les fermes aux alentours, le pain par le boulanger de Chassant. 

Il fallait utiliser des tickets d’alimentation, au détriment des mairies,  pour l’épicerie, les boissons les cigarettes, mais il fallait aussi dévaliser (cf L’Opération sur la Mairie de la Loupe) …

Londres parachutait de l’argent français pour payer le ravitaillement, parfois il y avait des cigarettes, des chaussures, des vêtements …

La discipline était stricte, en dehors des interventions, il était interdit de sortir du Maquis. 

Pour tout besoin en vêtements ou objets divers, il fallait passer par les agents de liaison (le plus souvent des femmes) qui étaient en liaison avec Londres grâce à des émetteurs/récepteurs dissimulés dans la campagne. 

Au milieu d’un monde disparate à une seule âme (instituteurs, secrétaires de Mairie, ouvriers, cultivateurs, étudiants, commerçants, médecins, vétérinaires, prêtres, hommes, femmes, jeunes et moins jeunes) dominant de sa haute taille dans son lamentable costume de résistant, qu’il ne cherche d’ailleurs  qu’à modifier vers l’imperfection, hanté par le souvenir des volontaires de 1893, un jeune homme de 23 ans, frais émoulu de l’école normale supérieure, s’imposa commandant du bataillon FFI d’Eure-et-Loir: Sinclair. 

       

Sinclair qui le matin, se trouvait à l’autre extrémité du département, qui sera ce soir à Paris et demain dans le Maquis, avalant à bicyclette ses cent-vingt kilomètres par jour. 

Sinclair dans cette ambiance vibrante, parmi la fumée de ce tabac blond qui quelques heures avant était encore Outre-Manche, se mit à élever la voix et déclamant avec un accent de sincérité les vers émouvants d’Aragon, poète de la Résistance: « Ballade de celui qui chanta dans les supplices. » 

Sinclair, Silvia Monfort … et tandis qu’après l’action, la torpeur nous envahit dans le charme et l’émotion de la poésie, je pense qu’avec ces deux noms notre rôle ne peut se concevoir que dans l’honneur et la pureté. A l’occasion de cette évocation, je me plais à rendre hommage à notre chef:

        

              " Celui qui fut Notre Chef au Sens Elevé du Terme"

 

Je viens de m’efforcer de faire ressortir l’aspect moral de la question. 

A vrai dire ce n’est pas un des moindres facteurs, le moral d’une unité forme un des éléments du succès. L’incidence de notre action sur le moral de l’adversaire constitue une des armes les plus redoutables.

 

Examinons maintenant le problème sous son aspect technique et tactique. 

 

Comme ailleurs, dans notre secteur deux phases se partagent «notre Résistance».

Avant le débarquement, le champ était vaste: il s’agissait de créer un centre de lutte contre la déportation. Tous les faux papiers purent être établis jusqu’à des permissions factices destinées aux requis, et ce, grâce à une collaboration étroite avec des organismes parisiens. 

Le corollaire de cette action entraîna les cambriolages de mairies. Il y aurait beaucoup à dire, beaucoup à remercier!

 

Parallèlement, il fallait avoir les armes, les entretenir, constituer des dépôts, instruire, pratiquer des exercices de tir en forêt de Senonches par exemple, à la barbe du boche c’était plus sûr. Que de détails, que d’incidents, nous pourrions raconter… A tout cela ajoutons les nécessités  de recrutement, la prise en charge des radios émettant avec l’Angleterre, le camouflage des aviateurs alliés où excellaient les Thironnais.

Il est juste de rappeler que cette vaste organisation clandestine (qui nécessitait des ramifications dans les chemins de fer, la police, la gendarmerie, la préfecture, les PTT) était ouverte, en ce qui nous concerne, par le mouvement  « Libération » dirigé par nos amis 

Bichat et Duvivier.

 

Tout cela représente des soucis considérables, des angoisses terribles sous la menace de la Gestapo. 

Dans la phase qui suivit le débarquement, la position tactique du secteur était de première importance en raison des grandes artères routières, la plupart jalonnées par l’ennemi (N° IV et T1 cf carte) par où la circulation provenant de l’ouest pouvait s’écouler, routes attaquées au pétard, puis à la mine, puis à l’embuscade, sans parler de la destruction de la signalisation.  (Voir galerie photos)

 

Une grande voie de chemin de fer: Paris-Brest côtoyait le nord de notre champ d’action avec des embranchements vers Gneisenau, le champ de munitions allemand de Senonches.

Le câble souterrain Paris-Le Mans se trouvait à notre portée immédiate.

Voici, il me semble, pour une pauvre compagnie FFI, un ensemble stratégique formidable! …

 

Oui, c’était bien une besogne gigantesque, et si nous considérons que le moindre transport, le moindre ravitaillement, prenait le caractère d’une opération (rappelons les coups de feu essuyés par notre ami Raymond Vinette, amenant le pain au Maquis). Ainsi, on se rendra (peut être!) compte de l’étendue de la tâche, de la fatigue, et des risques accumulés.

 

Pour ce qui est du terrain et de nos cantonnements, voici quelques éclaircissements.

 

La région est un enchevêtrement de petites vallées, de champs entourés de haies, de fermes aux accès difficiles, le tout assez favorable aux embuscades, aux décrochages éventuels, au secret de nos mouvements, mais aussi aux guets-apens.

Tout d’abord, un petit groupe se constitue aux deux maisons proches de Frétigny. 

  • L’une à « Les Crottes » (tel est le nom du cadastre),

  • L’autre à « La Bellaudière » du pseudonyme de son chef,

  • Par ailleurs, un groupe s’installe à Saint-Denis-d’Authou, près de la Croix-des-Brûlons.

Les événements traînent, des indiscrétions se commettent, il faut décrocher!

C’est alors que Duroc, Belleau, Sixte, Létang, Gilbert et d’autres établissent le magnifique Maquis de Plainville. Il fallait tout prévoir, même un deuxième bureau: qui pouvait se payer le luxe d’envoyer des enquêteurs habillés en SS en uniforme des blindés allemands.

Enfin, un autre Maquis se forme à Beaumont-les-Autels, avec des éléments venus de Denonville et Auneau.

Maintenant jetons un coup d’œil par-dessus  la barrière et examinons la situation du côté ennemi.

 

D’où provient cette chance inouïe, qui ne cesse de nous accompagner jusqu’à la prise de Chartres que d’autres décriront ?

Trois centres névralgiques existaient pour l’ennemi dans le secteur:

  • A Nogent-le-Rotrou, la Gestapo ne réussit pas à atteindre la tête.  Parmi les animateurs, Duroc passe à travers les mailles du filet tendu autour de lui. Des arrestations se multiplient. Belleau et Bertaut ne sont pas soupçonnés !

  • A Thiron, un parachutage malheureux tombe aux mains des Allemands, d’autres indices leur sont fournis, les aviateurs parachutés disparaissent, personne n’est inquiété !

  • A La Loupe, les centaines de dossiers pour réfractaires, l’activité des parachutistes de la radio délient les langues. Les tentatives de sabotage et les cambriolages de mairie auraient pu orienter les recherches. C’est l’A B C d’un travail de SR.

 

En Mars 1944, j’effectue avec ma voiture un long déplacement avec armes et hommes. Durant trois cents mètres, je suis seul dans mon auto. C’est pendant ce petit trajet  que je suis arrêté et contrôlé!

Au retour d’une mission, c’est la sentinelle dont nous avions à dessein cultivé de la sympathie, qui s’excuse de ne pas m’avoir reconnu!

Le 6 Juin 1944, nous traversons le département d’un bout à l’autre avec  l’arrière de mon véhicule bourré de fusils-mitrailleurs et d’explosifs. 

Sixte à mes côtés, la main crispée sur la poignée de son révolver!

Sinclair débordant à l’extérieur, une grenade dissimulée dans la main!

C’est le Maquis repéré et connu du boche grâce à la bande du traître Héritier de Nogent-le-Rotrou! Maquis jamais attaqué, jamais inquiété!

Ce sont nos opérations couronnées de succès, sans perte, les allées et venues à mon domicile …. Et j’en passe! 

 

Alors? Que penser? Les réflexions peuvent sans fin gagner le domaine de la philosophie!

Je crois qu’en réalité, l’Allemand fut complètement désorienté par un genre de guerre non prévu dans son Règlement.

« Est-ce possible? » dira un Capitaine SS à notre ami l’instituteur de Manou, à la suite de la prise du Camion de Manou (cf plus loin).

Dans l’ensemble, notre ennemi fut de qualité. 

Je me rappelle cette attaque éclair d’un camion allemand, où le seul survivant, qui pouvait échapper à la mort dans les fourrés, fait face à son adversaire, douze fois supérieur pour être abattu par l’un de nous!

 

Mais pourquoi cet abandon de Nogent-le-Rotrou, alors que la supériorité numérique, un char, un canon, la connaissance la technique et de la pratique du combat d’infanterie, tout cela surpassait, sauf en bravoure, une pauvre compagnie FFI ? 

Pourquoi les pertes considérables pour eux et minimes pour nous? 

Une autre défaillance réjouissante: 

Près de Coudreceau, deux camions se rencontrent inopinément, l’un est français, l’autre rempli de soldats de la Werhmarcht.

Plein de mordant, nos hommes bondissent et passent à l’attaque, les autres amorcent un demi-tour puis abandonnent leur véhicule entre nos mains et s’enfuient éperdument.

Jamais nous n’avons pu les rattraper.

Oui! Du fond du cœur « Vive la France! »

Chaque matin, en se levant Pétain disait à son valet de chambre:

« Nous sommes vaincus! »

Des vaincus, nous les fidèles de de Gaulle? …

 

Ainsi donc voici « Notre Résistance ». 

Celle des autres est certes plus belle.

La nôtre ne possède qu’une ambition: La Satisfaction du Devoir Accompli.

 

C’est bien l’atmosphère que nous voulons faire revivre ici au cours des témoignages laconiques qui vont suivre. Ne vous attendez pas à y trouver de la littérature. Ils sont écrits par de simples combattants, qui vécurent tout au long le drame de la Résistance. 

Beaucoup décrivent les faits comme un compte rendu militaire.

Comme eux, j’espère que le lecteur en appréciera quand même la simplicité.

Opération sur la Mairie de La Loupe
Par André Duclot alias Belleau et Albert Richard alias Bertaut

  • Jean Renauldon alias Rhône, Lieutenant Rhône

  • Jean Stiesz alias Sixte, Aspirant Sixte, Chef du Groupe Corps Franc

  • André Duclot alias Belleau, Aspirant Duclot, Groupe Corps Franc

  • Albert Richard alias Bertaut, Doyen du Maquis

  • Edouard Coutard, Maire-adjoint à La Loupe

  • Casimir Petit-Jouvet, Directeur Défense Passive, membre du conseil municipal de La Loupe

  • Annette Petit-Jouvet, Croix Rouge de La Loupe

  • Alfred Hardy

 

Cette opération fut montée et conduite par Rhône et Sixte (son bras droit). Elle eut lieu le 28 Mars 1944.

Neuf hommes étaient prévus pour la mener à bien. 

Sept seulement furent exacts au rendez-vous. Y ont pris part:

  • de La Loupe: Rhône, Sixte, Claude 

  • de Frétigny: Hardy

  • de Nogent-le-Rotrou: Belleau et Bertaut

Belleau et Bertaut sont arrivés directement par le train vers dix-huit heures chez Rhône qui leur expliqua en détail le plan d’attaque de la Mairie.

Après quoi, ils allèrent chez Monsieur et Madame Petit-Jouvet où le plus cordial accueil leur fut réservé en attendant le rendez-vous général fixé à 23 heures.

Le lieu de rassemblement avait été fixé dans un sentier en face de la porte d’entrée du stade.

Pour s’y rendre, Belleau et Bertaut prirent au plus court à travers champ. La nuit était très noire, aussi durent-ils errer et patauger assez longtemps avant de parvenir sur la route.

A peine arrivés, un inconnu les croisa, les éclaira avec sa lampe et passa sans mot dire. Peu après, revenant sur leurs pas, ils furent à nouveau éclairés mais reconnus par un des leurs. C’était Claude qui les conduisit à l’endroit choisi où se trouvaient déjà réunis cinq de leurs camarades occupés au montage des  mitraillettes.

Rhône à voix basse distribue les rôles et explique à chacun ce qu’il doit faire.

L’opération présentait toutes les chances de succès. 

Le seul point noir était la rencontre possible: 

  • soit avec des gendarmes français (la brigade de La Loupe était commandée par intérim par le gendarme Drot, dont la Résistance avait tout lieu de se méfier),

  • soit avec des patrouilles allemandes.

 

Rhône avait donné des instructions très précises pour ces deux cas:

  • Surpris par les gendarmes: « Aller franchement à eux et leur dire (ce qui était exact) qu’ils étaient des soldats de l’armée de de Gaulle, leur faire comprendre ce dont il s’agissait. L’attitude des gendarmes devrait conditionner la leur. » 

  • Surpris par la patrouille allemande: « Tout faire pour ne pas être découverts! » La chose était possible, les boches n’ayant pas à l’ordinaire une marche silencieuse. Si par malheur nous étions repérés, la parole était immédiatement donnée aux mitraillettes cela avec le minimum de danger, puisque nous aurions l’avantage de la surprise et provisoirement celui du nombre, car il faut ajouter que les Allemands se trouvaient cantonnés face à la mairie. Dans le cas de l’accrochage, ils se seraient rués à nos trousses. Il est vrai que dans la nuit sombre, nous pouvions aisément leur échapper, mais le danger des représailles était grand pour la population. Donc à tout prix éviter la bagarre!»  

 

Un peu après minuit l’ordre du départ est donné par Rhône qui partit en tête avec Sixte, les autres suivaient en file indienne, Belleau et Bertaut venant les derniers.

La marche eut lieu dans le plus grand silence jusqu’à la rue de Chartres, où tous redoublant de précautions et rasant les murs, arrivèrent sans encombres aux portes de la mairie.

Rhône s’aidant des épaules de Sixte, se hissa à la hauteur d’une fenêtre placée à droite de la porte d’entrée qui s’ouvrit sans peine, Edouard Coutard  l’ayant laissée entrouverte.

Aussitôt dans la place, Rhône coupa les fils électriques, puis ouvrit la porte à ses hommes. Sixte et Claude, mitraillette ou revolver au poing, restèrent sur le perron pour assurer la protection. Tous les autres pénétrèrent à l’intérieur.

Belleau et Bertaut furent immédiatement conduits par Rhône dans une petite cour intérieure. 

 

Du doigt il leur indiqua la fenêtre du garde champêtre, détenteur des fameux tickets, objet de leur convoitise.     

Puis Rhône rentra à l’intérieur de la mairie, où il devait placer bien en vue sur un bureau deux enveloppes préparées à l’avance, contenant l’une 500 francs destinés aux prisonniers et l’autre 100 francs à l’adresse du brave garde champêtre en compensation des émotions que nous allions lui causer.

Pendant ce temps, Belleau et Bertaut le bas du visage dissimulé derrière un mouchoir de couleur sombre (Bertaut armé d’une mitraillette et Belleau comme « arme apparente » une simple lampe de poche!) se dirigent vers la fenêtre désignée. 

Belleau donna un petit coup de lumière pour repérer l’endroit de l’espagnolette et d’un coup d’épaule droite essaya de briser la vitre, qui résista au premier choc, le second, plus puissant, la fit voler en éclats.

La suite fut une scène de cinéma très rapide pour les yeux de Bertaut resté près de la fenêtre…

La vitre à peine brisée, l’espagnolette est actionnée, le contreplaqué de camouflage projeté à l’intérieur et la fenêtre ouverte avec fracas. 

Dans le même temps Belleau prenant appui des mains sur le bord de la fenêtre, sauta d’un seul bond dans la chambre du garde champêtre.

Catastrophe! Un meuble (table ou machine à coudre) se trouvait près de la fenêtre. Ne l’ayant pas vu, il l’accrocha de la pointe des pieds et tomba sur le ventre. Allongé de tout son long, le nez près du vase de nuit … aussi vite relevé que tombé, il se retrouvait alors proche du lit de Monsieur et Madame Silly. 

Sa silhouette, se découpant dans le clair-obscur de la fenêtre, devait le faire apparaître comme un immense fantôme.

Par bonheur, dans sa chute brutale, Belleau avait pu préserver sa lampe électrique. Il éclaira le lit, qui vu de la fenêtre, se trouvait en travers au fond de la pièce très étroite.

 

Madame Silly, couchée sur le bord immédiat du lit, Monsieur Silly sur le bord côté mur. Toujours vu de la fenêtre, la tête du lit se trouvait à gauche et la caissette de tickets était posée au sol, entre le mur et la tête de lit. 

 

A la demande de Belleau, Madame Silly se pencha un peu hors de son séant en disant:

« Elle est là, prenez là »

Monsieur Silly n’ayant pas encore bien réalisé, dit très doucement sans bouger:

« Non! Non! Non! Non! »

Puis très vivement en amplifiant sa voix jusqu’à crier, d’abord en se dressant sur son coude droit:

« Non! Non! Non! Non! »

Et voyant que l’assaillant n’avait pour toute arme qu’une lampe électrique, il leva les bras en l’air en se mettant sur les genoux et cria très fort:

« Ah Non! Non! Non! Non! »

Il était urgent de mettre un frein aux cris du garde champêtre qui défendait courageusement ce qui lui avait été confié. 

Belleau se retourna et éclaira Bertaut qui jusque-là, n’avait pas été aperçu par le couple Silly. Bertaut manœuvra la culasse de sa mitraillette en disant à Belleau:

« Rangez-vous! Je tire! »

Le garde champêtre entendant et apercevant ce nouvel assaillant, comprit que toute résistance était inutile! 

Alors dans un plongeon remarquable, il piqua du nez sous son traversin.

La caissette de tickets, rapidement enlevée et provisoirement confiée à Bertaut, nos compères abandonnèrent le couple Silly à ses réflexions, après lui avoir bien recommandé de n’aviser la police qu’une heure après leur départ.

L’opération avait été si vite faite que Sixte, les voyant revenir, pensa qu’elle était manquée!

Toujours dans le plus grand silence et tout aussi rapidement, toute la troupe s’éloigna, Rhône en arrière-garde, après avoir pris la précaution de couper les fils téléphoniques et de refermer la porte d’entrée. 

Reprenant la route de Chartres, la dislocation se fit à l’entrée de la première rue à gauche, chacun rentrant directement chez lui ou allant achever dans une maison amie. 

Les armes furent rendues à Rhône et à Sixte, qui les reportèrent à leur cachette habituelle.

Belleau et Bertaut, portant toujours la précieuse caissette, s’en allèrent à grands pas, trop grands au gré du premier, qui avait peine à suivre son athlétique camarade. Ils empruntèrent le chemin de l’étang et la route de Belhomert pour rejoindre la maison des Petit-Jouvet, où ils devaient entreposer le butin et passer la nuit. Avant d’y arriver, ils eurent une alerte. Tout à coup la route se trouva violemment éclairée par une auto venant sur eux et se dirigeant vers La Loupe. Il fallait se dissimuler aux yeux des arrivants.

Belleau se jeta dans le fossé vers la gauche, Bertaut croyant voir à droite l’entrée d’un champ ou d’un chemin, s’y lança à toutes jambes… Hélas! Il n’y avait rien d’autre qu’un profond fossé, où il disparut presque en entier, barbotant dans une eau boueuse. Si l’endroit manquait d’agrément, il n’était pas sans avantage pour s’y cacher. 

L’auto passa... Les deux amis purent enfin gagner leur destination sans autre incident. Ils y arriveront plus ou moins « crottés » et par surcroit, le fond de la culotte de Belleau n’avait pu résister aux prises des ronces artificielles.

 

Le reste de la nuit s’acheva dans le repos.

Le matin vers huit heures, les vêtements de « cambrioleurs » furent reprisés par Madame Petit-Jouvet. 

Belleau et Bertaut prirent congé de leurs hôtes pour rejoindre Nogent-le-Rotrou par le train qui avait plus de deux heures de retard. 

Ils durent l’attendre après être passés sous les yeux scrutateurs de deux gendarmes.

Il est bon de faire remarquer que tous ces hommes, de haute moralité et d’honnêteté scrupuleuse en d’autres temps, n’auraient jamais eu l’idée de commettre une action répréhensible et sévèrement punie par les lois en vigueur.

Cependant l’ordre une fois donné, aucun d’eux n’hésita, bravant tous les risques et la conscience tranquille, afin de donner les cartes d’alimentation pour subsister à tous ceux qui se « planquaient ».

L’excédent des tickets permit de constituer, avec l’aide des commerçants sympathisants, un stock de vivres, grâce auquel les Maquisards purent tenir du 6 juin 1944 jusqu’au jour de la Libération.

Pylônes
Par Gabriel Herbelin alias Duroc et Jean Renauldon alias Rhône

  • Maurice Clavel alias Sinclair, Commandant FFI d’Eure-et-Loir

  • Simonne Favre-Bertin alias Silvia Monfort

  • Gabriel Herbelin alias Duroc, Capitaine Duroc

  • Jean Renauldon alias Rhône, Lieutenant Rhône

  • André Duclot alias Belleau, Aspirant Duclot, Groupe Corps Franc

  • Guislain Roche alias William, Aspirant William, Chef de Groupe II

  • alias Horace

 

FFI = Forces Françaises de l’Intérieur

SS = SchutzStaffel = Organisation paramilitaire et policière nazie fondée en 1925

Gestapo = Police politique de l'Allemagne nazie entre 1933-1945

Feldgendarme = Police militaire allemande (de la fin des guerres napoléoniennes jusqu'à la fin de la Seconde guerre mondiale)

 

 

Fin Mai 1944: Depuis quelques semaines, la France entière attend.   

Le débarquement allié semble imminent. 

La Résistance le prépare et multiplie les destructions.

A Nogent-le-Rotrou, quelques hommes, une poignée, sont impatients mais résolus. Ils savent qu’après des mois de travail, obscur mais dangereux, la vraie bataille va commencer.

Le samedi 27 Mai, dans l’après-midi, Sinclair est en ville, apportant un ordre: couper dans le délai le plus court la ligne de haute tension à proximité de La Ferté-Bernard. Cette mission devait incomber au groupe de la Sarthe, mais le Haut Commandement a des doutes sur certains chefs. Il est impossible de se mettre en contact avec les équipes locales. Nous devons donc effectuer ce travail.

Une autre coupure sera effectuée avec un plein succès à La Loupe.

Il s’agit d’isoler les stations et obliger la SNCF à épuiser ses réserves de charbon.

La décision est vite prise, dès le lendemain les pylônes sauteront.

Beau dimanche de Pentecôte !

En vingt-quatre heures:

  • Il faut aller reconnaître le point choisi par le Commandement, à proximité de La Ferté-Bernard.

  • Alerter l’équipe voisine de Thiron qui viendra en renfort.

  • Et préparer l’explosif.

En ce jour de fête, deux cyclistes quittent Nogent-le-Rotrou vers 7 heures et pédalent allègrement sur la route du Mans.

Il fait chaud déjà quand ils arrivent sur ce terrain.

La reconnaissance s’effectue rapide pour ne pas attirer l’attention de tous ceux qui sont dans les champs. Puis c’est le retour.

William sur un vélo d’emprunt, à court d’entraînement et Horace sur des pneus expirant, ont déjà mouillé la chemise à l’heure de l’apéritif.

Le soir même, à vingt heures, grand branle-bas chez Belleau.

Tous sont là et c’est torse nu qu’ils pétrissent le Plastic et mesurent le Cordtex. 

A 21h30 tout est prêt, les charges sont réparties par équipe, les armes nécessaires à la défense démontées et empaquetées.

C’est le départ par groupe de deux ou trois.

Je file en éclaireur précédant le premier groupe d’une centaine de mètres. Je n’ai qu’une gaule sur mon vélo; on peut arrêter ce pêcheur inoffensif, il ne fera rien d’autre qu’allumer un mégot qu’il conserve à la bouche. 

Ce signal donné, toute la troupe disparaîtra derrières les haies. 

Mais heureusement aucune mauvaise rencontre, par contre de multiples crevaisons réparées à la hâte.

A 23 heures, nous sommes à La Ferté-Bernard et le travail commence: répartition des sacs, montage des armes.

Je reste à proximité de la route pour garder les bicyclettes, tandis que les camarades s’enfoncent dans la nuit.

Ils sont signalés par des aboiements lointains.

Minuit … Une heure …Ils ne sont pas encore de retour ! C’est long …

Ils m’apprennent en rentrant, vers deux heures, que la mise en place a été très dure et très longue … l’écartement des pieds des pylônes n’est pas le même que celui de La Loupe, où il a été mesuré. Ils ont démonté, remonté leurs dispositifs, puis les ont placés à un mètre du sol et n’ont préparé que deux pylônes sur trois. 

Enfin les crayons à retardement placés, nous pouvons rentrer.

Au petit jour, la ligne sera coupée.

Nous arrivons à l’abattoir de Nogent-le-Rotrou vers trois heures trente.

Pour ne pas traverser la ville, nous empruntons la petite ligne d’Authon.

La sentinelle de Saint-Jean s’est sans doute demandée ce qui pouvait bien faire un tel bruit sur la voie. 

Il fallait entendre les pieds fatigués butant dans les traverses, le vélo heurtant les rails, tout un tintamarre que la joie de la mission remplie nous empêchait d’écouter.

Une partie de l’équipe vint se rafraîchir chez Belleau. Il fallait voir avec quelle joie nous nous précipitâmes sur le robinet. Nous étions sales, suants, assoiffés, après sept heures de travail et de route poussiéreuse, mais heureux quand même. 

A 6 heures les pylônes sectionnés, mais restant en équilibre sur leurs moignons, ne réussissaient pas à entraîner les fils.

Zéro, à refaire! 

 

La coupure réussie à La Loupe ne suffit qu’imparfaitement à assurer le succès de l’opération.                                                   

Oui, tout alla très bien dans ce secteur, sous le commandement du chef départemental du FFI.

Dans le garage d’un ami, l’affaire débute cependant très mal, jugez plutôt.

Des cellules de containers on extrait comme chez Belleau, tout le matériel nécessaire indispensable. 

Un engin nouveau tombe entre les mains de Rhône, qui cherche aussitôt à s’instruire.

Qu’à cela ne tienne Sinclair se fait démonstrateur, sûr de son érudition.

Hélas! Le fonctionnement n’est pas conforme au règlement: explosion sans conséquence matérielle, mais quel bruit!

Nous nous voilons la face! Que vont dire les voisins qui prennent le frais à leur fenêtre ? Et le personnel de la maison? 

Madame Rhône a tout de suite senti le danger et ne perdant pas son sang-froid d’un air consterné, apprend à qui veut l’entendre, qu’un pneu vient d’éclater.

En pleine nuit trois équipes se partagent trois pylônes, l’un d’eux confié aux mains expertes de Silvia Monfort. 

A leurs pieds tout est prêt, on attend… un agent de liaison arrive:

  • « Etes-vous paré? »

  • « Oui »

Réglage des montres.

  • « A 1 heure 25, mise à feu générale. »

Les minutes s’écoulent, mon cœur bat: 1heure 24, 1 heure 25 … 

La première ampoule du détonateur à retardement crisse sous les doigts, La deuxième ! 

Si là-bas, en Angleterre, l’ouvrier qui l’a conçue a commis une faute, s’en est fait de notre vie,

La troisième !

La quatrième ! ….

Filons! Dans 22 minutes le ciel s’embrasera trois fois (par souci du travail bien fait, quatre détonateurs par dispositif).

22 minutes après, j’ouvre la porte de ma maison de refuge (il y a longtemps que j’ai déserté, à cause de la Gestapo, le toit conjugal).

Le ciel s’embrase… quelques secondes, les portes vibrent, les Loupéens se réveillent en sursaut… 

Une explosion, puis deux, puis trois, puis une quatrième me laisse perplexe! … Je sus plus  tard que des difficultés imprévues avaient obligé Sinclair à réaliser deux circuits indépendants.

Je m’endors tranquillement. Mission accomplie !

Je saurai le lendemain, qu’une charge n’a pas explosé, tant pis, car les trois pylônes sont bien à terre, buissons et herbes calcinés.

Un Feldgendarme relèvera cette charge et d’un air désabusé l’enverra dans un fossé.

« Matériel anglais » dira-t-il.

A sa place j’aurai relevé les empreintes digitales sur le Plastic (explosif anglais, ressemblant au Mastic, deux fois plus puissant que la Mélinite).

Ah! Que l’on nous envoie faire de l’occupation! Les boches n’auront pas affaire à des bleus! …  

Pylônes.jpg

Parachutage
Par Jean Renauldon alias Rhône

  • Maurice Clavel alias Sinclair, Commandant FFI d’Eure-et-Loir

  • Gabriel Herbelin alias Duroc, Capitaine Duroc

  • Jean Renauldon alias Rhône, Lieutenant Rhône

  • Capitaine Pierre du WarOffice

  • Capitaine M.

  • Maurice Bichon 

FFI = Forces Françaises de l’Intérieur

BOA = Bureau des Opération Aériennes

SS =  SchutzStaffel = Organisation paramilitaire et policière nazie fondée en 1925 

WarOffice = Ministère de la guerre

Container = Cylindre métallique renfermant des armes, des explosifs…

FM = Fusil-Mitrailleur

Euréka = Radiophare portatif - Transmetteur terrestre

S-phone (ancêtre du talkie-walkie) = Liaisons radio entre les avions et les comités de réception

PIAT (Projector Infantry Anti Tank) = Arme portative anti-tank britannique 

 

Un fil d’argent s’incurve dans le firmament et le cœur des FFI, celui des Résistants, avant que n’existe « notre phalange », se met à battre d’émotion. Evénement bien banal pour la majorité des êtres humains, la nouvelle lune tend nos esprits vers le projet de parachutage toujours possible, toujours incertain. 

L’attention se concentre vers le poste de radio, celui du foyer familial, ou celui du Maquis, muni de ses écouteurs. 

Au Maquis tout le monde est averti. 

Chez soi, les amis, les non-initiés, s’étonnent de l’attention soudaine portée à l’audition des messages personnels. 

Malgré l’énervement du brouillage: 13h30, 14h30, 19h, 21h45, rien ne doit échapper, l’attention se concentre au maximum. 

Légère émotion si une phrase ressemble à celle que nous attendons. 

Pendant des mois, déceptions sur déceptions.

Le 6 Juin 1944: Le débarquement et rien!

Rien que nos stocks d’armes réduits, dont il faudra se contenter.

Le 7 Juin, réunis autour de ma table à l’heure du déjeuner (un peu soucieux à cause des événements) par habitude nous écoutons le poste qui déverse son flot d’énigmes.

Soudain, les phrases convenues pleuvent littéralement:

« Pour être un soldat de marine » (St Lubin), nous bondissons mais ce n’est pas tout:

« Tiens voilà du boudin » (Crucey), pour nous encore:

« Le sacristain perd ses dents » (Mizeray) … 

Magnifique! Trois parachutages pour le secteur.

Aussitôt, nous décidons:

 - qu’une équipe ira renforcer nos amis de Crucey et réceptionnera un envoi du WarOffice,

 - tandis qu’une autre rejoindra Mizeray et réceptionnera l’envoi du BOA.

J’emmène celle de Crucey. Inutile d’écouter 14h30 et 19h39 mais 21h45 peut tout annuler!

Ce sera pour ce soir et nous pourrons ainsi intensifier, par la suite, la lutte contre le boche.

Ma voiture à gazogène nous emmène, à la tombée de la nuit, vers le terrain de la Pommeray, à côté de Crucey. Nous la camouflons à proximité, dans une haie, puis nous gagnons l’endroit convenu, repéré depuis longtemps, et dont les coordonnées avaient été indiquées en Angleterre.

Sur la route, nous rencontrons une sentinelle un peu émue de son rôle important et pleine de zèle, nous lui donnons le mot de passe et nous voici au champ où nous passons la nuit.

Un champ de trèfle légèrement en pente, dans le mauvais sens pour la remontée des containers. Au bout du champ, il y a un bois.

Duroc, prend la direction des opérations.  

 

Balisage classique ( Voir galerie photos ):

Trois lampes de poche tenues par un homme à quatre-vingt mètres de distance, une quatrième à dix mètres à droite de la première, le tout formant une flèche conventionnelle dans les sens de la direction du vent.

A chaque avion, elle s’allume.

« Balisez! Balisez! » 

Cet appel de Sinclair, retentira constamment aux parachutages suivants dirigés par lui.

 

Et l’on balise tout, surtout des boches, je crois, et comment se fait-il que le coup dur ne surgisse pas!

La nuit est magnifique et l’activité aérienne considérable. Les lueurs, à l’horizon, se multiplient par un bombardement quelconque. 

Les fusées illuminent le ciel au lointain, le canon tonne très sourd et très étouffé par la distance. 

Un avion se met à briller, flamboie, se casse en deux et s’abîme dans un incendie gigantesque. 

Nuit terrifiante, c’est le début de l’offensive alliée. 

La lune est presque dans son plein au-dessus d’un nuage.

Le froid devient piquant et chacun somnole, car le calme s’établit en même temps que les heures s’écoulent. 

L’attente sera-t-elle vaine? Le cas est si fréquent.

Une heure: après des balisages sans résultat, je doute.

Avec une précision magnifique, entre la lune et la cime des bois, surgit un quadrimoteur « Halifax » qui nous affirme une compétence. 

Impression de puissance, de force, d’exactitude. 

C’est lui: « Balisez! Balisez! »

La lampe de droite, en tête de flèche, répète sans cesse en morse la lettre « C » convenue comme indicatif. 

L’avion répond. Je suis ému.

L’appareil traverse le terrain, s’en va et revient.

Le ronronnement de ses moteurs nous apparaît infiniment sympathique et nous nous sentons moralement unis à cet équipage, qui seul, a bravé le ciel, pour le même idéal que nous, qui, « rampants » ne parlons pas la même  langue.

Face à la flèche, l’appareil ne se trouve pas sur une ligne impeccable, il s’éloigne, nous ne l’entendons plus. A soixante mètres des arbres Il émerge à nouveau: une petite lueur, je ne sais pourquoi, derrière chaque hélice.

Face au vent, lorsque le terrain est franchi: « Ça y est! » surgit de toutes les poitrines. De nombreux flocons se détachent, s’épanouissent et s’abîment dans l’herbe humide.

Quelques secondes palpitantes et rapides, les containers lourds prennent contact avec un bruit sourd et métallique. Plus lents, les paquets tombent en silence, les parachutes s’étalent en d’immenses taches claires. 

Avec un léger flottement dans la discipline, toujours constaté à chaque parachutage et dont il faut chercher la cause dans l’émotion ambiante, chacun se précipite vers un parachute, le déboucle et le plie.

Les équipes s’emparent des paquets, d’autres sur une civière emmènent les containers à la route.

Travail pénible, le cylindre n’est pas commode à saisir et sa masse peut égaler deux-cent-vingt kilos. 

Première précaution, afin de connaître le nombre total des parachutes et de ne rien oublier dans le champ, regarder l’étiquette de chacun des envois: 

                  15-7P (15+7 disons-nous) = 15 containers + 7 paquets. 

Ainsi sommes-nous renseignés.

Jamais nous n’avons admiré l’avion opérer un looping joyeux comme le décrit le rédacteur de  « La France au Combat » (N° 1/3/1945)

Sur le bord de la route, inventaire sommaire, la moitié du chargement prend dans le camion de notre ami Maurice, le chemin d’un hangar, auprès duquel tout est caché sous un tas de paille.

L’autre moitié est embarquée dans le même camion avec les parachutes, et nous nous rendons avec l’équipe de Digny à la ferme du Château, chez nos amis dévoués. La femme de Maurice collabore au service de sécurité.

Le lendemain, nous faisons un inventaire plus détaillé: « Le Piat », objet nouveau émerge à notre grand étonnement, FM, mitraillettes, munitions, récepteur de radio, un peu d’équipement et à notre grande surprise, une caisse d’affiches et d’objets de propagande pour « Le Populaire ». L’ensemble de ce paquet va s’abimer dans les douves qui entourent la ferme, non par idéologie mais parce qu’en ce début de Juin 1944, la politique nous apparaît comme une vaste fumisterie.

Le jour même, le chargement prend le chemin de nos caches, il entrera sous peu en action.

 

Mais tous les parachutages ne ressemblent pas à celui-ci.

En voici un autre exemple: 

« Ne pas s’éterniser dans ses bras, quatre fois. Plus un colis précieux. » (à La Hurie)  

Cela signifie: 

                        Quatre fois! = Quatre avions! = Quatre-vingt-douze parachutes en perspective…

Mauvais terrain à quinze cents mètres de l’itinéraire IV, des Allemands sur la route de Paris-Nantes, pentes bordées de bois et coupées de haies, la déclivité empêche les avions d’embrasser l’ensemble du balisage et ils doivent prendre de la hauteur. 

La dispersion est considérable, les lâchers se font en plusieurs fois, déroutant les équipes, si bien que le quatrième avion n’est pas balisé et repartira avec son chargement.

Seulement soixante-douze parachutes, dans toutes les directions. 

A vingt-cinq mètres du sol, il faut décapiter la tête d’un chêne coiffé par l’un des parachutes. Je démêle, branche par branche, les cordes dans un pommier transformé en une immense boule blanche. 

A l’aurore, le travail n’est pas terminé, et au loin, des points blancs s’étalent encore. 

Des containers brisés ont éparpillé leur contenu qu’il faut rechercher avec minutie.

Transports pénibles, courbatures pour les jours suivants… 

Quant au colis précieux, c’est une énigme! 

Depuis, nous sûmes que c’était l’«Euréka ».

 

L’«Euréka» à Denonville fonctionna à merveille, au cours d’une opération sans lune dans l’immense plaine de Beauce.

Dans un rayon de quatre-vingts kilomètres, les avions l’entendent, tel un phare radio sur le terrain, l’appareil tend vers le ciel son trépied renversé, absolument énigmatique pour moi. 

Le manipulateur répète sans cesse la lettre conventionnelle. 

Le lâcher est précis et ramassé.

A la pointe du jour, je ramène le Capitaine Pierre du WarOffice, sur ma moto, avec du matériel radio.                                                         Nous traversons Boisville-la-Saint-Père, quelques minutes avant qu’une rafle allemande s’abatte sur ce village. Toutefois nos amis sauveront le matériel. 

La maison de notre ami Collin sera mise à sac.

Ajoutons qu’un autre engin, le « S.phone » permet aussi le parachutage en période inter-lune. Avec celui-ci, l’avion se trouve guidé par conversation directe entre l’avion et l’équipe de réception. 

 

Jamais un incident marquant ne vient troubler la fête. 

A Digny: « Justine n’est plus dans son box » toutefois, un parc à moutons en bordure du terrain offrait un obstacle imprévu à notre tranquillité.

Les ovins restaient bien insensibles à la situation, mais les chiens (ennemis n°3) menèrent un grand vacarme. 

Le Capitaine M. s’en fut trouver le berger, émergeant péniblement de sa roulotte. On fit appel à son sens patriotique et on lui expliqua le but que nous poursuivions. Je doute qu’il ait compris, car le brave homme répliqua: 

« Vous pouvez bien prendre les moutons, car ils ne sont pas à moi ! »

Il emmena ses chiens, c’est tout ce que nous demandions.  

Quant à sa discrétion, n’en parlons pas. Tout le pays fut au courant le lendemain. On alla même jusqu’à raconter que les Anglais avaient parachuté un cheval blanc s’appelant « Coco »!

Confusion, sans doute, avec celui du fermier Monsieur Chiffra, qui assurait le transport. 

D’ailleurs, pourquoi pas? En Bretagne, des jeeps furent lancées munies de huit parachutes.

Notons enfin que les premières opérations aériennes de ce genre eurent lieu en Eure-et-Loir, à Thiron-Gardais, par l’entremise du BOA et, détail savoureux, le premier dépôt d’armes fut constitué sous les aménagements d’une baignade très fréquentée des Allemands!

Ces derniers piétinaient littéralement les mitraillettes et explosifs anglais!

 

Voici racontées succinctement, ces importantes actions, la sève de la Résistance, où l’Angleterre engloutit des millions! Grâce à elle, la campagne de France fut d’une rapidité inouïe, épargnant le patrimoine et la vie de beaucoup de Français. 

Travail au Dépôt
Par Jean Stiesz alias Sixte

  • Jean Stiesz alias Sixte, Aspirant Sixte, Chef du Groupe Corps Franc

  • Emile Hiegel, déserteur Lorrain, Equipe 1 dans le Groupe III

  • Gérard Dusse, déserteur Prussien de Brandebourg, Equipe 3 dans le Groupe III

 

FFI = Forces Françaises de l’Intérieur

WerHmatch (WH) = Nom officiel des armées du IIIe Reich

SS = SchutzStaffel = Organisation paramilitaire et policière nazie fondée en 1925

 

Ce soir, je suis venu dîner chez Monsieur Hardy à La Touche. 

Nous buvons le café arrosé de calva, en attendant le moment de partir au dépôt. Il fait véritablement bon dans cette simple cuisine, qui respire la bonté, et dont la chaude atmosphère familiale nous était d’un si précieux réconfort après nos randonnées éreintantes. 

Peu à peu, la conversation baisse de ton et se ralentit. Je me laisse captiver par la belle symphonie que l’horloge et la grosse bouilloire de la cuisinière se sont mises à jouer. Le rythme en est varié, les nuances fines, il me semble entendre la Marche des Marionnettes (Ch.Gounod). 

Brutalement, tout s’arrête, non pas sur une chute de marionnettes, mais sur un: 

« On va pouvoir y aller » dit Monsieur Hardy.

Etonné, je regarde la pendule: Onze heures!

« Oui, on va y aller ».

Je m’arrête une seconde sur le seuil de la cuisine surpris par l’obscurité de la nuit. Je rejoins Monsieur Hardy dans son étable, où il extirpe d’un tas de fourrage, huit mitraillettes arrivées cet après-midi, provenant directement de l’Yonne, par colis agricole et camion laitier, voire même par la poste, grâce à de sérieuses complicités. Elles s’en vont rejoindre notre dépôt au « Vieux Landon ». Les vaches nous regardent d’un air béat, elles ne s’arrêtent même pas de ruminer pour autant, elles en ont déjà tant vu! Heureusement qu’elles ne peuvent parler! 

Courbés sous les petits sacs, nous nous mettons en route en amortissant nos pas. Nous sortons de la cour, nous longeons des haies, traversons des herbages, passons des clôtures avec d’infinies précautions, car depuis longtemps nous avons appris à nous méfier de ces fils de fer barbelés qui se mettent brusquement à vibrer parce que le bas d’un pantalon s’y est accroché incidemment. Alors c’est la catastrophe: une sonnerie qui nous semble sans fin rompt le silence  de la nuit … Pourvu qu’un chien ou un braco ne rôde pas dans le voisinage! 

Juste dans l’herbage qui s’étend derrière la ferme, dont le grenier nous sert d’arsenal, nous faisons lever une troupe de bœufs, ils s’éparpillent, reviennent nous renifler à distance, le cou tendu et nous suivent un moment.

Tels de vrais cambrioleurs, nous pénétrons dans la grange en enjambant la porte coupée dont le vantail inférieur, seul, subsiste.

Ça y est, nous sommes de l’autre côté avec nos sacs, mais un chien se met à aboyer dans la ferme voisine, à vingt mètres à peine. 

Nous restons tapis sur le foin, une lumière s’est allumée, puis le chien se 

tait sur l’ordre de son maître. 

Et nous qui pensions avoir été discrets et ne pas pouvoir être remarqués! Nous restons une minute encore l’écoute. Tout à coup, j’ai l’impression que quelqu’un marche en bordure de notre ferme, ça s’approche, je sors mon Colt. 

Aucun doute maintenant, quelqu’un longe la grange, il va doucement, mais ses précautions sont insuffisantes et il écrase l’herbe trop bruyamment. 

J’arme mon revolver et je me place dans le coin le plus obscur de la grange, à deux mètres de la porte, les pas se sont arrêtés à ce niveau, je lève le canon de mon arme … 

Alors « deux choses » pointues et recourbées s’élèvent lentement au-dessus de la demi-porte, « deux choses » velues les accompagnent et bientôt une splendide tête de bœuf s’appuie sur le bord du vantail et nous fixe bêtement …

Rassuré mais vexé, je rentre mon pétard et nous montons au grenier avec notre matériel.

Je bouche avec du foin les interstices laissés entre les planches vermoulues placées devant la lucarne et Monsieur Hardy allume la lampe électrique.

Qui oserait soupçonner la présence de fusils, mitraillettes, grenades, explosifs et autres engins sous cette uniforme couche de foin? 

Quel beau tapage quand tout cela entrera en action.

Pour le moment, il nous faut découvrir l’endroit réservé aux mitraillettes. 

Nous nous agitons dans un nuage de poussière (c’est du vieux foin) jusqu’à ce que nous sentions les petits sacs, où les Sten démontées, reposent dans un bain de graisse.

Tandis que Monsieur Hardy m’éclaire, je place les nouvelles venues à côté des anciennes et nous les recouvrons de la couverture de foin indispensable à leur sécurité.

Mais ce n’était pas toujours simple ni rapide.

Je pense à ces nuits passées tout entières à inventorier notre matériel. 

Nous succombions sous le flot des paquets de pansement ou des crayons à retardement bleus, verts, jaunes, noirs, rouges (la couleur indique la durée du retardement).

Nous cherchions à déceler le mécanisme d’une mise à feu énigmatique, et les heures passaient très vite, très agréables, car nous rêvions du moment où nous aurions à nous servir de ces richesses. 

Je me souviens de ces multiples transports, nécessités par le nettoyage des grenades et la mise en état des mitraillettes.

Je pense à la discrétion, à la discipline et aux précautions qu’il a fallu s’imposer, pour que notre dépôt reste insoupçonné jusqu’à ce que sonne l’heure du combat.

Oui! Les voisins immédiats ignorèrent tout jusqu’à l’heure de la Libération.

 

A cette époque, se place un petit fait piquant, aux abords de ce dépôt du « Vieux-Landon ». 

Un authentique camion allemand s’arrête, sur le siège un soldat de la Werhmatch. 

Ses affinités alsaciennes l’avaient rendu FFI, bien que ne causant pas le français, Gérard, c’est son nom, était un authentique Prussien de Brandebourg. 

A côté de lui un SS (un SS qui aujourd’hui conduit des autocars quelque part en Beauce et ne parlant pas un mot de boche)!

Le SS interpelle un habitant du lieu: 

« Pardon Monsieur y a-t-il des boches chez Monsieur Hardy? » 

Chez Monsieur Hardy, où une mission les appelait.

Le passant n’en est pas encore revenu.

Le lecteur comprendra mieux au cours des pages qui suivent…

Transport à Dos d'Homme
Par Jean Stiesz alias Sixte

  • Gabriel Herbelin alias Duroc Capitaine Duroc

  • Jean Renauldon alias Rhône, Lieutenant Rhône

  • Jean Stiesz alias Sixte, Aspirant Sixte, Chef du Groupe Corps Franc

  • André Duclot alias Belleau, Aspirant Duclot, Groupe Corps Franc

  • Guislain Roche alias William, Aspirant William, Chef du Groupe II

  • Georges Duchateau alias Ducastel, Adjudant Ducastel, Chef du Groupe III

  • Maurice Bichon

SS = SchutzStaffel = Organisation paramilitaire et policière nazie fondée en 1925

Feldwebel = Grade de l'armée allemande correspondant à celui d'adjudant

Nachtausweiss = Laissez-passer pour circuler la nuit 

 

 

Depuis quelques instants, nous étions au Maquis, Belleau et moi, de retour d’une fatigante mission de sabotage sur le câble téléphonique. Nous comptions bien nous reposer ferme, lorsque Duroc  nous demande de repartir le soir même… ce sera un dur travail, mais d’une importance vitale pour nous et dont l’exécution ne peut être retardée!

Il faut aller chercher à Digny une partie des armes qui ont été parachutées la nuit dernière. Le transport se fera à dos d’homme. 

Nous couvrirons, aller et retour, une distance de soixante-dix kilomètres. 

Dans les quarante-huit heures nous devons être rentrés. 

Nous remisons nos beaux projets de repos et nous préparons notre expédition.

Tout d’abord nous repérons nos voies de cheminement, on nous signale à ce propos qu’à Saint-Maurice se trouve un important cantonnement SS qui ne s’étendrait pas d’ailleurs à Saint-Germain, petite agglomération voisine de la première, mais les renseignements ne sont pas absolument certains, il nous faudra voir sur place.

Puis nous constituons notre équipe. Nous serons quinze: quinze gars solides et bons marcheurs, en même temps des types sûrs et de sang-froid. 

Nous réglons également les questions d’armement et de vivres, puis le départ étant fixé pour 23 heures, je vais essayer de dormir un peu pendant les deux heures qu’il me reste.

A 22 heures 45, je suis réveillée par le départ d’une équipe pour Mizeray, semblable à la nôtre. Elle va effectuer le même travail que nous. 

Poignée de mains et à voix basse nous leur souhaitons bonne chance!

A 23 heures, nous sommes tous là et bien décidés, malgré nos mines fatiguées. En colonne par un et en grand silence, nous quittons notre cher Maquis. Nous zigzaguons sous les branchages, puis c’est la descente sur le sol glissant jusqu’à la prairie qui borde notre bois.

Arrivés sur le chemin, nous nous regroupons, marche en colonne par un, sur le bas-côté herbeux, surtout:

  • ne pas faire rouler de pierre, 

  • ne pas casser de branche morte, 

  • ne pas s’accrocher aux ronces de la haie!

Les deux premiers regardent devant eux, le troisième à gauche, le quatrième à droite, et ainsi de suite.

Nous devons progresser sans nous faire voir, ni entendre. 

Malgré la familiarité de ces chemins et de ces campagnes, qui sont nôtres, n’oublions pas que nous sommes en territoire ennemi.

En dépit de toutes ces précautions, le chien de la ferme des Giraumont aboie, je bouillonne! 

Combien de fois avons-nous failli être pris par la faute d’un chien.

Vraiment, j’ai bien raison lorsque je dis que le chien est l’ennemi N°3 du Maquisard!

 

L’ennemi N°1 c’est le boche

L’ennemi N°2 c’est la femme (prétexte du pantouflard) 

L’ennemi N°3 c’est le chien

L’ennemi N°4 c’et le fil de fer barbelé

 

Nous pénétrons ensuite dans notre petit chemin de sable, encaissé à souhait et si gentil, si idyllique, qu’il me semble être fait davantage pour une promenade avec ma fiancée que pour une marche d’approche.

Enfin c’est la guerre. Nous traversons la route de Marolles après nous être assurés que rien de suspect ne s’y trouve, et nous abordons la ligne de Brou, que nous suivons jusqu’à la maison des Crottes, notre premier Maquis, où nous nous donnons une demi-heure de récréation autour d’un container de dix kilos de confiture!

Quelle est votre méthode de déguster la confiture? 

Ecoutez celle-ci, préconisée par Belleau, nous l’avons tous adoptée:

« Prenez une biscotte entre le pouce et l’index, trempez-la dans les confitures sans trop y plonger vos doigts, surtout s’ils sont sales, égouttez-la légèrement et engloutissez à grosses bouchées, de façon à ne pas trop salir vos affaires! »

Un gobelet d’eau de source, et la marche reprend sans histoires, mais non sans péril.

Nous traversons Saint-Eliph encore endormi, cinq cent  mètres de grande route à travers un village!

 

 A chaque instant nous redoutons une mauvaise rencontre. Heureusement tout se passe bien. 

A 6 heures nous camouflons nos  mitraillettes dans nos sacs à dos et nos musettes. Au carrefour de la Cour Lozon, nous croisons un tas de ferraille fumante, d’où l’on distingue cependant un volant et des jantes: ce sont les restes d’un camion allemand mitraillé la veille au soir par les chasseurs américains.

Redoublons de prudence maintenant, les SS ne sont pas loin. 

 

 

Avant d’entrer à Bellhomert, nous prenons à main droite la route de Saint-Maurice, de façon à nous raccourcir et à emprunter le moins possible la grande route du Gneiseneau. 

Brusquement, dans un tournant, nos regards tombent sur des camions boches remisés dans un hangar. Un peu plus loin voici des soldats, à quelque distance un autre groupe…

Nous sommes en plein dans le guêpier, rebrousser chemin serait donner l’éveil, nous ne pouvons que continuer et essayer de trouver un petit chemin qui nous sortira de ce coin toxique.

Un officier est en train de faire un cours à des Feldwebels.

Plusieurs casquettes sortent d’une fenêtre et regardent, étonnés, cette troupe de quinze jeunes hommes.

Nous poursuivons et nous nous engageons dans un sentier, qui me semble devoir nous tirer d’affaire … A peine avons-nous parcouru une cinquantaine de mètres, que nous entendons un side-car déboucher derrière nous. Durant quelques secondes, il suit et longe au ralenti notre petite troupe … Tout à fait l’impression du chat qui joue avec la souris! Nous sommes en bordure d’un boqueteau, qui abrite des véhicules allemands et un nid de mitrailleuses, autour desquels évoluent des soldats. De l’autre côté, un herbage, à l’extrémité duquel commence la forêt de Saint-Maurice, autre repaire des SS.

Quoi qu’il arrive nous sommes cernés, si la bagarre éclate nous lutterons jusqu’à l’épuisement de nos forces et de nos munitions, après ce sera la torture et la mort pour les blessés. 

Je me représente l’horreur d’une telle exécution, un grand frisson glacé me traverse le dos. Pourtant, je me ressaisis, nous sommes Belleau et moi, responsables de la mission et de la vie des copains. Il faut garder notre calme, pour l’explication qui va avoir lieu. 

Je pense aussi que je suis en état de grâce profond avec Dieu, ce fait dépasse en importance les plus mauvais aspects de notre situation présente.

Le side-car s’arrête juste à notre niveau.

« Was machen sie da? », nous claque un jeune lieutenant à l’œil bleu et inquisiteur.

Mélangeant à du mauvais français, quelques mots d’un non moins mauvais allemand, nous lui faisons comprendre que nous avons été requis pour aller dans le Gneiseneau combler les entonnoirs du dernier bombardement.

« D’où venez-vous?  Avez-vous des cartes?  Par quelle route passez-vous? » etc, etc, etc …

Après un certain nombre de questions de ce genre, plus indiscrètes les unes que les autres, le lieutenant nous explique que nous sommes sur un chemin militaire, inutilisable par nous, qu’il nous faut retourner sur nos pas. Nous ne demandons pas mieux. Changement de direction  sans perte de temps mais sans hâte excessive.

Ouf! Nous sommes sortis de là, le chat a été roulé par la souris. 

Les langues commencent à se délier:

« Heureusement qu’il n’y avait pas de vent pour soulever ma pèlerine, autrement il aurait pu voir mon pétard. »

« Et moi! Regardez! » Ajoute William, en nous montrant son sac à dos nettement déformé par la crosse de sa gun. 

Des sourires de satisfaction s’épanouissent sur nos visages fatigués. Nous nous réjouissons trop tôt! 

Cinq cents mètres plus loin, à la sortie de Bellhomert, nous nous retrouvons nez à nez avec notre officier, mais cette fois la position est meilleure, nous n’avons pas un aussi mauvais entourage.

« Vos papiers? » sur un ton furieux, comme si c’était de notre faute  s’il ne nous les avait pas demandés la première fois. 

Belleau lui montre sa carte d’identité, tandis que je m’efforce de sortir mon étui-carte sans trop malmener mon revolver. Je me retourne pour ne rien faire voir de la manœuvre au chleuh.

Des copains sourient en voyant mon embarras.

Enfin, ça y est, je lui exhibe mon « Nachtausweiss » orné du « coucou d’Outre-Rhin », mon certificat professionnel visé du syndic et tout et tout. Je redoute un moment qu’il ne puisse encaisser qu’un assureur et un vétérinaire soient requis pour des travaux de terrassement, mais non, il a bon estomac, il digère tout. Pendant ces palabres, insensiblement, un cercle menaçant s’est formé autour du side-car. 

Il y a Belleau, Ducastel (qui, sans en avoir l’air, a la main sur son poignard), William et quelques autres. 

Ducastel me regarde fixement, par-dessus la casquette hitlérienne. J’esquisse un sourire et lui fait « non » de la tête, je ne veux rien brusquer et éviter par tous les moyens une explication sanglante, car notre mission ne fait que commencer et le retour ne sera guère facile si nous signalons notre présence, dès l’aller, d’une façon bruyante.

« Où allez-vous exactement, par quelle route passez-vous? »

Il veut à toute force nous faire défiler devant leur poste de garde.

Finalement nous disons comme lui et sur un « Gut! » de circonstance, il remet son side-car en marche.

Décidément il n’est pas très rusé le compère, son piège est un peu trop grossier. S’il croit que nous allons nous faire harponner à son poste de garde. Nous continuons un peu pour l’apparence et puis hop! 

Nous fonçons dans le boqueteau derrière Belleau qui dirige le repli.

Rapidement, je dénombre notre troupe. 

Nous ne sommes plus que quatorze… Où est le quinzième? 

J’apprends qu’il s’est caché dès qu’il a entendu demander les papiers. 

Où est-il maintenant? Nous ne pouvons le laisser seul, mais il risque de nous faire tous prendre. Heureusement après quelques appels, le voilà retrouvé. Nous continuons notre progression et nous débouchons dans une prairie.

« Ça y est, cette fois nous sommes bien foutus! » s’écrie-t-on devant moi, et l’on me designer le château d’eau de Belhomert, qu’un pommier m’empêchait d’apercevoir.

« Il y a une sentinelle boche sur le château d’eau! »

Effectivement, il y a bien sur le réservoir quelque chose de la taille d’un homme, mais est-ce un Allemand, une girouette? 

La distance interdit de pencher pour l’une ou l’autre hypothèse. De toute façon, il faut faire vite. Nous reprenons en main les éléments les moins décidés et nous traversons Belhomert au pas de gymnastique et au grand étonnement des cultivateurs du pays, lorsqu’ils reconnaissent Belleau:

«  Bonjour Monsieur Belleau! »

Ce dernier ne leur laisse pas le temps de lui demander ce qu’il fait par ici. Nous gagnons les fonds de Belhomert, nous y soufflons un peu, surtout que, maintenant nous en avons la certitude, c’est une girouette et non une sentinelle.

Après quelques minutes de discussion nous sommes d’accord, Belleau et moi: il faut gagner La Loupe. 

Nous nous camouflerons au Grand Jardin, propriété d’un ami et j’irai voir à Digny, à bicyclette.

Pour ne pas emprunter les ponts qui peuvent toujours être gardés, nous traversons l’Eure à gué, puis nous zigzaguons à travers les roseaux d’une prairie marécageuse, et en longeant les haies, nous cheminons à travers les chaumes, les labours, les luzernes. Ce fut un excellent exercice.

Au bout de deux heures de manœuvre (il y a quatre kilomètres de Belhomert à La Loupe) nous sommes à proximité de cette dernière ville. La grande route de Chartres est libre, nous la traversons. 

Nous arrivons au Grand Jardin, un à un nous gagnons le grenier du petit kiosque (il fait 5 m2 environ) mais nous y logeons tous avec notre barda.

Les derniers s’installent sur les premiers qui ronflent déjà. Belleau va demander un peu de ravitaillement chez Madame Petit-Jouvet: œufs durs, beurre, fromage, c’est merveilleux!

Ensuite, je file à Digny par Pontgouin. 

J’explique la situation à Maurice, qui est très surpris de me voir arriver. 

Il accepte spontanément d’apporter les armes à proximité du Grand Jardin, dans sa carriole. 

Par des chemins détournés, nous sortons de Digny. 

A Pontgouin, rien!

Nous traversons la forêt de Montécot, propriété d’Ernest, le terrible garde champêtre chleuh!

Derrière une haie nous descendons nos encombrants colis et je regagne le  gros de la troupe.

Mes camarades ont apaisé leur faim mais leur repos a été troublé à plusieurs reprises par des bruits de motocyclettes allemandes sur les routes voisines. 

Les SS du matin nous auraient-ils recherchés?

Si oui, ils en sont pour leur frais. Un peu avant la nuit je retourne à notre  dépôt, où une sentinelle avait été envoyée. 

Tous les deux, nous préparons la charge de chacun:

  • 12 grenades par musette et une paire de chaussures,

  • 200 balles et 2 fusils ou un sac d’explosifs dans une autre, c’est le tarif.

De quart d’heure en quart d’heure, nos gars arrivent par équipe de trois et s’équipent. 

A 23 heures, nous nous remettons en route, le dos courbé et le pas un peu traînant. Il fait une nuit splendide, très claire, la lune brille dans un ciel pur. Nous suivons le même itinéraire qu’à l’aller, mais nous allons moins vite, car les premiers kilomètres une fois parcourus, toute la fatigue accumulée depuis vingt-quatre heures tombe dans nos jambes. Par moment nous dormons presque, tout en marchant, et c’est le heurt d’une pierre qui nous tire de ce demi-sommeil. Alors nous fléchissons et nous faisons plusieurs foulées ainsi penchés en avant, sans pouvoir nous relever. Parfois, c’est la chute brutale, toutes forces épuisées, entrechoquement des grenades, cartouchières qui tombent, fusils qui sautent de l’épaule, toute la colonne s’arrête:

« Allons, courage les gars, plus que cinq kilomètres! » 

Péniblement la colonne s’ébranle à nouveau.

Et c’est ainsi jusqu’à la maison des Crottes, où nous retrouvons Rhône et quelques autres. On décide d’y prendre vingt-quatre heures de repos. Demain soir, en meilleure forme, nous gagnerons le Maquis de Plainville, que Ducastel va aller renseigner et tranquilliser.

Autour d’une bonne soupe, préparée par nos amis, nous leur racontons nos exploits. La joie règne, nous sommes heureux d’avoir accompli notre mission à la barbe des boches, qui ont perdu une belle de fusiller quinze patriotes.

Objectifs prinipaux du FFI du Maquis de Plainville

Une Nuit entre tant d'Autres
Par E.Gascoin, Correspondant de la Dépêche d'Eure-et-Loir

  • André Duclot alias Belleau, Aspirant Duclot, Groupe Corps Franc

  • Guislain Roche alias William, Aspirant William, Chef du Groupe II

  • Roger Lefèvre, Equipe de réserve de La Loupe 

  • alias Horace 

 

SS = SchutzStaffel = Organisation paramilitaire et policière nazie fondée en 1925

FFI = Forces Françaises de l’Intérieur

 

C’est une belle nuit de France, calme et douce, où la clarté étire encore l’ombre longue des peupliers. Une nuit du Perche aussi, où l’on entend par moments, l’égouttement chuchoteur des ruisseaux, l’appel voilé d’un oiseau aux ailes muettes et toujours, toujours, venant de toutes les routes, emplissant l’horizon, le grondement des voitures dont la chaîne incessante court sans arrêt pour approvisionner la machine à tuer, l’usine  à détruire qui, dans la proche Normandie, recule à pied devant devant l’autre usine de mort.

Napoléon à Roederer disait:

            « L’Art Militaire est le plus bête de tous. Il s’agit seulement d’être plus nombreux que son adversaire en un point donné. »

Ce n’est plus seulement d’hommes qu’il s’agit aujourd’hui mais de matériel et de munitions. Que les uns ou les autres viennent à manquer un moment « sur un point donné » et c’est le recul plus accentué, quelques vies alliées échappées au massacre, peut-être quelques minutes gagnées sur cette guerre qui semble ne pas vouloir finir.

Et c’est pourquoi, dans ce chemin creux du Perche, comme sur tant d’autres en France, vingt jeunes gens s’en vont, à pied ou à bicyclette, avec des armes dérisoires, tâcher de faire sauter un maillon de la chaîne.

L’arrêter peu de temps, mais en un endroit bien choisi, pour que tout grince et s’affole. Besogne ingrate, plus qu’obscure, anonyme puisqu’elle n’aura même pas les honneurs d’un mot sur le communiqué, mais besogne dangereuse car le chleuh ne pardonne pas.

Un froissement de feuilles, une chute dans le repli après le coupon, un  mot trop haut prononcé et c’est peut-être la mort.

Ils sont là vingt, en trois équipes. Ils arrivent de loin, car si l’on opérait dans le voisinage même du Maquis, celui-ci serait vite repéré.

Les trois équipes, en effet, viennent de Thiron et l’une devra enlever des poteaux de signalisation du côté de la Fourche, croisement particulièrement difficile. Ainsi, les conducteurs devront s’arrêter, perdre du temps à consulter leurs cartes. Ils pataugent avec cette maladresse, cette absence d’initiative des Allemands, incapables de parer rapidement ce coup imprévu. En vain, essaieront-ils de demander des ordres, le câble téléphonique ne fonctionnera pas, ayant été coupé dans la région d’Ozée par la seconde équipe.

Chaque nuit il saute, chaque jour il est réparé! Travail de Pénélope, sur quoi nous reviendrons plus à loisir.

La troisième équipe n’est pas seulement chargée de retarder la chaîne, elle a pour mission d’en faire sauter les mailles (au moins temporairement) en posant sur la route de ces pétards crève-pneus, que la gouaille française a déjà surnommée « crottin de cheval ». Parce que, au début, les Anglais les parachutaient dans une gangue imitant parfaitement cette matière.

Mais là, il s’agit plutôt de « boîtes à cirage ».

 

C’est cette jeune équipe que nous allons suivre, si vous le voulez bien.

Ils sont quatre jeunes gens aux noms de guerre (c’est le mot propre) car il faut toujours craindre la dénonciation, le bavardage:

  • Belleau, William, Robert et Horace.

Quand les vingt sont parvenus à la route d’Ozée, l’équipe du câble se détache du groupe qui continue sa route à travers bois, après avoir caché les bicyclettes en un coin soigneusement repéré et marqué d’une grosse branche.

On avance maintenant avec des précautions infinies sur une sente rurale étroite. On est presque sur les lieux  « du travail » et le moindre bruit peut donner l’alerte. Les hommes se faufilent comme des Chouans de 93 ou comme des Indiens sur le sentier de la guerre. A dix mètres de la grande artère où roulent des tanks, éternellement semblable à elle-même, la guerre a repris son aspect primitif, elle est redevenue cette lutte, où seuls comptent la ruse et la force individuelle.

Mais voici la grand voie et la séparation derrière: 

  • l’équipe des poteaux va vers la droite, c’est à dire vers le Fourche,

  • celle des « crottins de cheval » ou  « boites de cirage » comme on voudra, redescend vers Nogent-le-Rotrou.

Leur coup fait, toutes les deux devront se retrouver en un point situé à cinquante mètres dans le bois, en suivant le sentier, où les hommes viennent de défiler, l’un derrière l’autre, encore une fois, comme des Mohicans ou des Sioux.

L’équipe descend maintenant la longue montée, s’aplatissant dans le fossé  dès qu’apparaît un camion.

Un kilomètre est fait ainsi, puis soudain, Belleau bondit et place trois pétards sur la route, tandis que ses camarades, tendant l’oreille et scrutant la nuit, assurent sa protection. Le coup fait, tous remontent en courant vers la Fourche, non sans que Robert ne soit tombé deux fois en butant contre des tas de sable, que les autres ont évités par miracle.

Enfin on se retrouve au complet… dans un fossé. Quelques secondes! Une voiture passe, va-t-elle crever? Non! On l’entend qui continue sa route et l’un des quatre amis murmure: « C’est loupé! »

Si c’est loupé, on recommencera, et bondissant Belleau pose encore trois pétards. Après quoi, tous courent les classiques deux cents mètres sur le chemin. Pas d’auto! Belleau repose trois autres pétards et l’on repart, toujours courant.

Mais, sous la lune, brille un beau poteau de signalisation. Belle proie!

Comment résister à la tentation puisque par bonheur la route est toujours déserte. Belleau la traverse pour arracher le poteau, bientôt suivi par Robert qui passe en hâte la boîte aux pétards à William.

Le travail à peine terminé, on entend enfin dans le lointain, le ronflement des voitures allemandes. On n’a que le temps de traverser la route, de jeter la lourde masse dans le fossé et de s’engouffrer dans un champ, en traversant une haie. Malheur, une tranchée!

Belleau et Robert l’évitent de justesse, William y tombe, reçoit Horace sur les reins et lâche la boîte aux pétards. Un pas maladroit et c’est la mort.

Avec précaution, les deux hommes se hissent hors de la tranchée et rejoignent leurs camarades derrière la haie. 

Long silence. 

Soudain une, deux, trois explosions, les engins ont fait leur besogne. Le ronflement de la voiture s’arrête, des coups de feu troublent la nuit, la mitraillette crépite dans le vide. Voilà une voiture qui ne repartira pas tout de suite. 

Seconde explosion, c’est le troisième nid « de crottins » qui saute à son tour. Cette fois c’est l’embouteillage. L’opération a réussi.

Mais il reste encore trois pétards à placer. C’est de nouveau le bondissement silencieux, la course ardente, l’aplatissement dans le fossé, l’oreille à l’écoute. Victoire! Encore des explosions.

La tâche est finie. Il faut rentrer, retrouver les camarades et regagner les ombrages du Maquis, jusqu’à la prochaine expédition.

Car toutes les nuits, nos FFI partaient ainsi en campagne et ce que nous avons conté n’est qu’un tout petit épisode de la lutte héroïque et souterraine qu’ont mené les Maquisards dans toute la France.

Dans une de ses causeries ardentes et sobres à la fois, le Capitaine Schumann a demandé qu’un FFI inconnu mort pour la France vienne dormir son dernier sommeil auprès du grand inconnu de 1914.

Le symbole, ici, serait doublement vrai, doublement émouvant, car l’action même des soldats du Maquis s’inscrivait tout entière sous le signe de l’anonymat.

« Seul le silence est grand, tout le reste est faiblesse » a dit le poète Alfred de Vigny dans Grandeur et Servitude Militaires.

Quoi de plus grand que cette servitude quotidienne?

Quoi de plus grand que ces morts silencieuses, vouées volontairement à l’éternel oubli? 

Attaque d'un Convoi
Par Gabriel Herbelin alias Duroc

  • Gabriel Herbelin alias Duroc, Capitaine Duroc

  • Jean Renauldon alias Rhône, Lieutenant Rhône

  • André Duclot alias Belleau, Aspirant Duclot, Groupe Corps Franc

  • Guislain Roche alias William, Aspirant William, Chef du Groupe II

  • Jean Bouvier alias Boubou, Equipe 2 du Groupe II

  • Roger Lefèvre, Equipe de réserve de La Loupe 

SS = SchutzStaffel = Organisation paramilitaire et policière nazie fondée en 1925

 

16 Juin 1944 — Depuis le 8, les équipes de la Bellaudière et des Crottes (le premier de l’alias de son chef Belleau, le deuxième du nom peu élégant du lieu-dit) se sont constituées.

Belleau et Rhône sont au Maquis avec deux douzaines d’hommes qui peuvent compter les uns sur les autres. Mais deux douzaines seulement!

On comptait sur soixante, quatre-vingts même, c’est maigre! 

J’enrage devant ces chiffres en songeant aux matamores de cafés, qui voulaient tout pourfendre dès le signal du débarquement et qui, depuis d’ailleurs, critiquent ceux qu’ils n’ont pas eu le courage de suivre.

Mais c’est une autre histoire! 

Ces hommes doivent harceler l’ennemi qui circule intensément dès la fin du jour. Un convoi retardé, arrêté, c’est une batterie muette devant les poitrines alliées, c’est un char ou un bombardier immobilisé faute de carburant, c’est un pas vers la victoire. 

Les missions nocturnes se succèdent. 

On rentre pour aménager les cantonnements et instruire les plus jeunes.

Voici l’histoire de ces sorties. 

Nous attaquerons loin du Maquis, qu’il ne faut pas faire repérer.

C’est le départ habituel, les armes au cou, prêtes à être utilisées, dès la descente de bicyclette. Deux éclaireurs connaissent l’itinéraire et règlent l’allure du convoi qui suit silencieusement.

Nous sommes en tête tous deux, Belleau et moi. 

Il nous faut, des environs de Frétigny rejoindre sa bicoque, sise à la  Renaudière, près de Dancé. Longue route qui nous vaudra des incidents multiples.

Les voilà qui commencent:

En débouchant, sur la place de l’Eglise de Marolles-les-Buis, nous apercevons le feu d’une cigarette. Français ou boche ?? La silhouette d’une énorme voiture à chenille se dessine. Sans un geste, sans un mot, nous fonçons, car ensemble nous réalisons les dangers. Les douze camarades qui suivent accélèrent en nous voyant partir. La traversée de la place n’a pas duré plus de dix secondes et la sentinelle n’a pas même eu le temps de réaliser la présence insolite de ces douze cyclistes… encore moins de tirer!

Plus loin, nous avons le passage de l’Huisne en aval de Condé. La troupe s’est grossie de Duroc, qui amène quelques camarades. 

C’est une vingtaine d’hommes qui empruntent, par une nuit d’encre, des chemins impossibles, semés de branches coupées, défoncés de profondes ornières. Il faut passer les échaliers. Drôle de travail avec les vélos mais aussi un peu bruyant. Par quatre fois nous franchissons les haies, puis nous passons sur la ligne de chemin de fer. 

Un peu après Condeau, Boubou crève. Accident irréparable, puisqu’il faut démonter son vélo et  le prendre sur un porte-bagages.

Saint-Pierre-la-Bruyère, Dancé. La lune se lève, nous y voyons un peu plus clair. Enfin vers deux heures ou trois heures du matin (car mes souvenirs se brouillent), nous arrivons à la grange protectrice. Ouf! 

C’est le casse-croûte, le cidre, la paille où nous nous enfouissons grâce à l’accueil chaleureux que nous réserve le brave maître Boustière, qui ne craint pas cette troupe armée jusqu’aux dents.

Le lendemain dimanche, repos dans la grange. Nous sortons un par un pour ne pas attirer l’attention. Quelques belotes, la sieste… c’est long!

Dans la journée, une reconnaissance est faite par Duroc, Belleau et Boubou. Nous attaquerons dans les virages de la descente sur la Madeleine, entre Berd’huis et Bellême, mais pas trop bas. Un tank allemand est immobilisé cent mètres au-dessous de notre position. Les itinéraires d’arrivée, de mise en place, de repli ont été repérés. 

Nous devons retrouver Robert (qui crève au départ) avant l’attaque. Après un retour, il remontera la côte en touriste, pour observer si rien n’est survenu.

Un dernier coup d’œil aux armes, aux mitraillettes, aux munitions … 

En route.

Nous partons à vingt-trois heures. A minuit, nous sommes en place, mais sans avoir revu Robert. Nous apprendrons, le lendemain, qu’il a été retardé par sa bicyclette, surpris par la nuit il s’est perdu dans les chemins inconnus.

C’est ainsi que débuta la malchance. S’il avait pu nous rejoindre, il nous aurait signalé la présence d’un convoi, garé dans une petite allée perpendiculaire à la route et face à nos positions d’attaque. 

Nous devions le découvrir pendant notre attente.

Nous reprenons l’attaque.

Le virage entoure un immense champ de blé.

Duroc place les trois groupes: un en haut, un au centre, le dernier (Belleau, William, Roger et moi-même) plus bas.

Il nous faut attendre un convoi d’une importance moyenne (nous ne sommes pas en force) et mitrailler les dernières voitures qui culbuteront probablement dans le ravin à la sortie du virage.

Nous sommes à peine en place qu’une voiture démarre, manœuvre et s’immobilise à la hauteur du second groupe. Puis plus rien.

Duroc arrive, il va nous renseigner:

 « C’est sans doute un chleuh  qui va passer la nuit au repos. Rien n’a changé, nous attendons le convoi possible. »

Il fait bon, attendons une heure…Rien! 

Il faut aller voir ce fameux véhicule, nous ne rentrerons pas bredouille.

Belleau et Pierre partent en rampant. Ils traverseront un peu plus haut et redescendront de l’autre côté. 

Ils emportent des « aubergines » (grenades incendiaires) pour mettre le feu au camion. Je remonte avec Duroc le long de la courte haie qui nous sépare de la route. Nous nous arrêtons un peu au-dessous du second groupe, face à l’endroit des derniers bruits.

Une heure trente … Deux heures … Belleau et Pierre ne sont pas de retour. Duroc, impatient, me quitte pour remonter aux groupes. 

Je tirerai à son commandement.

L’attente continue.

Un coup de feu, suivi d’une rafale! 

Tiens, un accrochage?

La voix de Duroc s’élève: « Feu ».

Je lâche ma première rafale. Un peu haut peut-être, la « gun » a sauté entre mes doigts. Un écart à gauche avant la seconde… puis la troisième. Je vide mon chargeur et j’attends. 

Plus haut, les coups de feu crépitent  de part et d’autre. Puis tout se tait. 

Non! le blé remue derrière moi, les camarades sans doute isolés! Je me replie. 

En effet, je les retrouve réunis sous un pommier. J’ai l’explication des coups. Nous étions éventés. Une lampe s’est braquée sur la haie quand Duroc a rejoint le premier groupe. On a tiré. Riposte de Duroc dont la « Sten » s’est enrayée,  échange de rafales.

Belleau et Pierre qui revenaient, ont entendu des râles.

Tous deux l’ont échappé belle.

En rampant, ils sont arrivés à dix mètres d’un convoi important, rangé dans l’allée. Seuls, ils ne pouvaient que se replier et venir nous avertir.

Parfait. Ils sont alertés, rien à faire. Repli général, un peu bredouilles.

 

Après quelques heures de route, nous arrivons au jour à Condeau.

Nous démontons les armes et repartons par petits groupes. 

Ereintés, les traits tirés, nous prenions le « coup de pompe » chacun notre tour.

C’est au pas, presque, que nous rejoignons la « Belleaudière ».

Pauvre « Belleaudière ». De tragiques événements devaient nous en séparer le jour même. 

Tous ceux qui y ont vécu en garderont un éternel souvenir.

Si notre but n’a pas été atteint, du moins avons-nous agi sur le moral ennemi.

Nous avons dévié les recherches de notre Maquis à vingt kilomètres de son point réel, cela devait être de la plus grande utilité pour la suite des opérations.

Le Câble
Par André Duclot alias Belleau

  • Gabriel Herbelin alias Duroc, Capitaine Duroc

  • Jean Renauldon alias Rhône, Lieutenant Rhône

  • Jean Stiesz alias Sixte, Aspirant Sixte, Chef du Groupe Corps Franc

  • André Duclot alias Belleau, Aspirant Duclot, Groupe Corps Franc

  • Edgard Eugène Cahour alias Létang, Sous-Lieutenant Létang, Chef du Groupe I

  • Emile Maquaire, Caporal Maquaire, Chef de l’équipe 3 dans le Groupe III

 

Le câble de la ligne téléphonique Paris-Brest, qui passe à Nogent-le-Rotrou, et continue ensuite le long de la route du Mans, présente un intérêt stratégique de grande importance.

Il nous appartenait donc à nous les « Terroristes » de le rendre inutilisable. Mais ces diables de boches étaient coriaces, et ils avaient des équipes spécialisées capables de réparer les coupures en quarante-huit heures. Nous devions donc, tous les trois jours environ, envoyer une équipe chargée de couper ce maudit câble.

Fort heureusement, longtemps avant la période de sabotage, nous avions pris, de bonne source, tous les renseignements le concernant. 

Nous savions que, tout le long de son trajet, se trouvaient, de place en place, sur le bas-côté de la route, des bornes indicatrices (ces bornes marquaient l’emplacement des boîtes de Pupin, très peu vulnérables et que les Maquisards mirent de longues semaines avant de savoir attaquer). 

Rhône et Sixte avaient reconnu le parcours et avaient décidé que des endroits particulièrement propices se trouvaient entre la Hurie et Ozée (ceci est tellement vrai que cinq coupures ont été effectuées sur ce parcours, si je m’en souviens bien).

Mais ces coupures répétées, dans le même secteur, « ont indisposé ces messieurs » et le Capitaine Seebauer, digne chef de la Kommandatur de Nogent-le-Rotrou, avait décidé, paraît-il, que des otages seraient pris sur les communes de Coudreceau, Marolles-les-Buis et Margon, si un nouvel attentat se produisait.

Notre devoir était d’entraver l’action de nos ennemis, mais dans la mesure où notre mission n’en souffrirait pas, il nous fallait éviter les représailles sur les populations civiles. 

Nous décidâmes donc de changer le théâtre de nos opérations et fûmes obligés de nous écarter:

  • d’un côté, entre Montlandon et Champrond,

  • de l’autre, entre Nogent-le-Rotrou et Avézé.

Cette décision rendait notre travail plus pénible et plus périlleux, par suite du long chemin à parcourir avec la charge d’explosif et les armes de protection. Mais tant pis, c’est notre lot. Et puisqu’il s’agissait d’un danger librement accepté, il ne nous restait qu’à nous fier à notre belle étoile et à la protection de Dieu.

Il s’est d’ailleurs avéré que la Providence nous a largement protégés, puisqu’aucun de nous n’est jamais tombé dans une embûche lors de nos nombreuses actions (et ceci restera certainement le plus grand étonnement de ma vie!).

Mais je n’ai pas encore parlé des moyens utilisés pour couper le câble.

Je répare mon omission sans plus tarder.

Trois procédés ont été utilisés:

  • Creuser la banquette de la route à la pelle et à la pioche pour découvrir le câble et le scier avec une scie à métaux. Cette technique s’est avérée des plus pénibles et n’a été utilisée qu’une fois, je crois, par une équipe dirigée par Maquaire père.

  • Trouver le câble et le faire sauter au Plastic. Procédé excellent, mais trop long et surtout lorsqu’on ne le trouvait pas immédiatement…        « Te souviens-tu, Sixte, de cette coupure effectuée sous tes ordres auprès d’Ozée, alors que, ton travail inachevé, tu entendais sauter un à un les pétards, déposés par moi, sur la route de Paris, entre l’Ambulance et la Bahine? »

  • Enfin la troisième méthode, la seule d’ailleurs que j’ai personnellement employée à deux reprises, était plus rapide. Elle consistait à trouver un petit pont comme il en existe tant sur nos grandes routes. Dans ce souterrain réduit, permettant souvent le passage d’un homme, on déposait une assez grosse charge de Plastic, juste à l’endroit présumé du passage du câble. On y mettait le feu et tout sautait: câble et route.

 

Ceci se passait vers la mi-juillet. Duroc avait décidé que le câble devait sauter sur la route du Mans, au-delà de Nogent-le-Rotrou. A cette fin, l’ami Létang était allé faire la reconnaissance des lieux et avait découvert un ponceau situé à environ un kilomètre avant le Gibet, au milieu des bois. L’opération se présentait dans les meilleures conditions. 

Le vendredi vers quatorze heures, Létang choisit, pour les aguerrir, deux jeunes camarades de son groupe qui n’avaient pas encore un gros travail à leur actif. 

Nous prenons tout le matériel: Plastic, amorces, cordon détonnant, cordon Bickford, détonateurs, allumeurs et crayons à retardement. 

Chacun son revolver et nous sautons sur des vélos que nous trouvons à la ferme Guyot, engins en plus ou moins bon état … et en route pour Nogent-le-Rotrou, par la route de Thiron.

Trajet sans histoire et arrêt à Saint-Jean, but de notre première étape. La première fois que je revenais chez moi, depuis mon départ dans le  Maquis, et j’aurai mauvaise grâce à cacher la satisfaction éprouvée à retrouver mon home. Mais ceci est un détail en passant. Repos, soleil, bon dîner, bon lit, un sommeil de plomb…

Le lendemain matin, nous préparons tout notre système détonnant. Nous remplissons de Plastic deux bidons d’essence de cinq litres, bidons auxquels nous avions préalablement retiré le fond.

Nous placerons l’un d’eux sous le câble et l’autre vers le milieu de la route. Nous réunirons les deux charges du cordon détonnant et nous ferons sauter le tout au Bickford.

Pour ne pas être reconnu dans la traversée de Nogent-le-Rotrou, je mets une casquette, de grosses lunettes de soleil, et en route!

A nouveau, voyage sans histoire.

Mais en arrivant sur les « lieux du crime », nous constatons la présence de quatre ou cinq camions d’essence camouflés dans les bois, le long de la route, à environ cent cinquante mètres de notre ponceau. L’endroit étant particulièrement camouflé, nous décidons quand même d’opérer.

Nous nous arrêtons à deux cents mètres du point déterminé dans un chemin. Les deux jeunes camarades restent sur place avec le matériel, Létang va faire un examen des lieux pendant que je vais moi-même reconnaître l’itinéraire du repli. Létang revient très peu de temps après moi: tout va bien. Il ne nous reste plus qu’à opérer.

Nous nous enfonçons à travers bois, et nous arrivons vite à hauteur du petit pont. Un camarade reste dans une tranchée par laquelle nous dévalerons lorsque le feu sera mis. Un autre fumera tranquillement sa cigarette, assis sur le bas-côté de la route et fera le guet, pendant que  Létang et moi installerons les explosifs. Tout marche pour le mieux.

Il passe bien quelques cyclistes et voitures allemandes, mais ceci n’a aucune espèce importance car nous sommes dissimulés sous la route. Quant à notre sentinelle, les Allemands ne peuvent quand même pas empêcher un garçon fatigué de fumer une cigarette, tranquillement assis dans l’herbe.

Tout est prêt, il n’y a plus qu’à procéder à la mise à feu. Nous nous assurons que des civils ne risquent pas de passer au moment de l’explosion: rien en vue.

Le guetteur descend dans la tranchée retrouver son camarade et ils filent se mettre à l’abri un peu plus loin. Nous allumons le Bickford et nous vidons les lieux à notre tour.

L’explosion devait se produire une minute après la mise à feu. 

Au bout de deux minutes… RIEN! Mais il y a parfois de longs feux et nous attendons patiemment. 

Trois à quatre minutes… RIEN!  Nous commençons à douter du bon fonctionnement de notre installation.

Six minutes… RIEN! Nous nous regardons inquiets. 

Sept minutes… Toujours un silence de mort!

Létang et moi, nous nous levons pour nous diriger vers notre dispositif. Mais à ce moment précis, un bruit de tonnerre, une fumée noire, et une avalanche de terre et de pierre tombe sur le feuillage environnant.

OUF! Létang jette un coup d’œil sur la route pour constater les dégâts. Le câble coupé en deux se dresse lamentablement vers le ciel, et un trou béant prend tout le bas-côté et une bonne moitié de la route.

Excellent travail! 

Alors nous nous précipitons vers nos vélos, tandis que les boches affolés accourent, se demandant vraisemblablement quel avion silencieux pouvait ainsi lâcher ses bombes…

Nous nous retrouvons tous les quatre à l’endroit prévu et nous filons notre sentier vers la route de Masles et Nogent-le-Rotrou.

L’explosion se produisit exactement à midi.

Nous arrivons sans encombre à Nogent-le-Rotrou où un bon déjeuner nous attend. Une petite sieste au soleil, et nous reprenons la route du Maquis comme de braves Thironnais qui reviennent du marché (évidemment chacun a son revolver, mais c’est si peu de chose…)

Une fois de plus, ce pauvre câble téléphonique était inutilisable pour quarante-huit heures, en même temps que la route était encombrée pour une demi-journée.

Le Dernier Mot
Par Maurice Clavel alias Sinclair

  • Maurice Clavel alias Sinclair, Commandant FFI d’Eure-et-Loir

  • Capitaine Pierre du WarOffice

PC = Poste de Commandement

FFI = Forces Françaises de l’intérieur

WarOffice = Bureau de la Guerre 

RAF = Royal Air Force 

SS = SchutzStaffel = Organisation paramilitaire et policière nazi fondée en 1925

« Double queue » = Surnom donné aux avions bipoutres américains du type Lightning P-38 pendant la seconde guerre mondiale

 

« Entre La Loupe et Bretoncelles, au kilomètre 132, 

les FFI d’Eure-et-Loir ont fait sauter un pont, coupant ainsi la ligne Paris-Brest.»

 

C’est ainsi que la BBC annonçait en Juillet 1944, la rupture du Pont de Fonte effectuée suivant le protocole habituel.

Quatre-vingt-dix kilos de Plastic et de 808, il n’y avait plus de pont de fonte.

Le lendemain enquête.

Sur place, l’un de nous, couvert par son uniforme de gendarme, trouve ses confrères de Rémalard, que nous nous garderons de féliciter en l’occurrence, les autorités allemandes sont de leurs côtés et déclarent:

« Gros spéchialitchtes! Français très malins, mais Allemands encore plus malins! »

C’est ce que nous verrons.

Gros spécialistes?

Allons donc!, un marchand de graines, un gendarme, deux vétérinaires, avec leur protection.

A son retour, l’équipe a son grand complet passe la nuit dans la gendarmerie de La Loupe, au milieu d’un accueil sympathique et, soit dit aux enquêteurs de la Brigade voisine, la fameuse échelle qui les tracassait tant, provenait du toit de ce lieu même, alors en réparation, à la suite du bombardement.

Adjudant Picot, gendarmes Vannier et Picard: Ah les braves gendarmes!

 

Le lendemain matin, une moto rapide s’élance à travers la campagne, vers le PC FFI du Commandant Sinclair. 

L’agent de liaison trouve le Capitaine Pierre, du WarOffice et rend compte: Plusieurs trains militaires sont bloqués entre Chartres et La Loupe. 

Le soir seulement, hélas! (vingt-quatre heures après l’opération) un radio l’apprend en Angleterre et demande le concours de la RAF.

Trente-six heures se sont écoulées, une vingtaine de « Lightning », ces fameux « double queues » survolent La Loupe pendant une demi-heure et sur ce pays tellement visé, ne lancent rien, à la grande surprise des habitants. Il est visible que les aviateurs recherchent nos trains et ne les trouvent pas. En effet, entre temps, les boches ayant empilé des traverses à la place du pont puis avaient lentement écoulés leurs convois. La route était obstruée, mais qu’importe!

 

Un point pour nous, un point pour les boches? 

Non car la RAF quitte La Loupe et remonte vers Le Mans.

Vers Bretoncelles, elle rattrape un train, troupe et matériel prennent un sérieux coup. A nous leur dernier mot.

Et comme quelques nuits plus tard, les « pots à feu » (dispositif de mise à feu) embrasaient le nouveau pont (Dieu que c’était beau!) comme ensuite deux Maquisards remettaient çà en plein jour sur la nouvelle pile du boche obstiné, en définitif concluons malgré l’ingénieur Allemand: 

« Français malins, Allemands encore plus malins » mais en fin de compte « Français victorieux avec leurs alliés! »

Pont de Fonte Bretoncelles

Le Camion de Manou
Par Jean Stiesz alias Sixte

  • Jean Renauldon alias Rhône, Lieutenant Rhône

  • Jean Stiesz alias Sixte, Aspirant Sixte, Chef du Groupe Corps Franc

  • André Duclot alias Belleau, Groupe Corps Franc

  • Henri Léreau, Groupe Corps Franc

  • Jacques Coutard, Groupe Corps Franc

  • Maurice Chèvre, alias Ervech, Groupe Corps Franc

  • Robert Branchard, alias Bob, Groupe Corps Franc

  • Roger Lefèvre, Equipe de réserve de La Loupe

  • Yves Lefèvre, Maquis des Crottes puis engagement dans l’aviation à Chartres

SS = SchutzStaffel = Organisation paramilitaire et policière nazie fondée en 1925

FFI = Forces Françaises de l’intérieur

 

Roger Lefèvre (frère d’Yves) remarque des allées & venues d’un camion SS qui vient à Manou chercher de l’eau à la pompe.                       Roger alerte Rhône qui donne le commandement à Sixte avec Belleau.

Une fin de matinée ensoleillée du mois d’Août 1944, Roger, Jacques et Sixte sont allongés dans l’herbe, devant la maison de Roger, à la Hymonière.

Ils discutent à voix basse, mais on croit deviner que le sujet les passionne car l’allure de la conversation est vive.

Il s’agit d’un camion allemand venant tous les jours (matin et soir) chercher de l’eau à Manou pour une compagnie de SS cantonnée en forêt de Senonches.

Deux soldats parfois trois et quelques prisonniers Algériens sont dans le camion qui fonctionne bien. Tous ces renseignements ont été collectés par Roger qui a vu lui-même le camion à plusieurs reprises.

Evidemment la prise de cet engin nous sourit fort, déjà nous en apercevons les avantages:

  • finies ces longues marches avec des souliers démolis dans des chemins impossibles,

  • exécution plus rapide de nos missions,

  • agrandissement de notre rayon d’action…

Mais assez rêvé, voyons de plus près.

L’entretien prend un ton  sérieux, nous voulons faire des « coups de main », mais des coups de main qui paient, pas d’entreprises romanesques et hasardeuses, pas d’emballement surtout.

Nous mesurons toute l’efficacité de notre travail, par contre nous savons le prix de la vie. La nôtre et surtout celle de nos camarades du Maquis et des gens qui nous entourent. Nous voulons être courageux, mais pas téméraires.

Depuis bientôt une heure, nous échangeons et confrontons nos idées, mais nous sommes tous d’accord: le camion sera attaqué demain matin.

Dans l’après-midi Roger et Sixte examineront ses manœuvres et traceront le plan d’attaque. Jacques, lui, ira chercher du renfort au Maquis, car il faut être au moins quatre et ni Rhône ni Roger ne peuvent prendre part directement à l’entreprise puisqu’ils sont réfugiés dans la région avec toute leur famille.

Deux promeneurs traversent Manou sur leur bicyclette à toute petite allure et longent la place, ils ont l’air bien paisibles, mais Roger et Sixte (car ce sont eux) ont reconnu le terrain d’une façon très précise, l’emplacement de la pompe à laquelle se ravitaille le camion et tous les alentours immédiats sont gravés en leur esprit.

Ils prennent ensuite la direction de Senonches et nous les retrouvons en bordure de forêt faisant mine de se reposer.

Cinq heures et demie: RIEN !

Six heures: Toujours RIEN !

Ils ne comprennent plus … 

Normalement le camion passe entre cinq heures et demie et six heures l’après-midi et le matin entre neuf heures et neuf heures et demie, ne serait-il pas aussi régulier dans son service? 

Sixte retrouve Roger à vingt et une heure.

Le camion est bien venu, mais pas par la route où nous l’attendions (de l’utilité des reconnaissances bien faites).

Roger, toujours sans en avoir l’air a obtenu du bistrot du coin tous les renseignements nécessaires.

Avec Rhône, ils établissent le plan d’attaque, toutes les éventualités sont envisagées, le moindre détail est étudié, la minute même où ils s’élanceront est décidée: ce sera le moment précis où le camion venant de stopper, les prisonniers algériens commenceront à descendre les sacs à eau et les lessiveuses.

« Plus rien à voir, ça devrait marcher, à moins que… » Oui! « à moins que! »

En effet, ils n’oublient pas qu’un « coup de main » même méticuleusement préparé, peut échouer au dernier moment à cause d’un facteur extraordinaire et imprévisible qui fait son entrée en scène à l’heure H.

L’initiative personnelle et l’improvisation demeurent des qualités de premier ordre, tenter de s’en passer constituerait une faute presque aussi grave que de s’en remettre uniquement à eux.

Jacques, Belleau et Henri sont à Mauny, chez Monsieur Rousseau à qui nous sommes heureux de rendre hommage pour les risques qu’il a pris en hébergeant sans cesse des Résistants venus à coups de pédales de l’autre extrémité du secteur. Autour d’un dîner réconfortant préparé par Madame Rhône, l’ambiance des grands soirs se créée, intimité du groupe et confiance absolue, joie à l’idée de jouer un bon tour aux Allemands mais surtout de faire son devoir.

Ils savent que demain ils vont risquer leur vie ensemble et qu’ils peuvent compter l’un sur l’autre devant le boche, ils ont ce sens de la Mission avec un grand « M ». La Mission qui passe avant tout, une fois qu’elle est décidée et qui fait évanouir toute considération personnelle. 

Un sage conseil de Rhône nous fait regagner notre lit ou notre grange. 

Tout le monde dort du sommeil du juste, sauf Sixte qui réveille Jacques au milieu de la nuit par des  « Attention ! Attention ! Il faut faire comme çà … »: Insomnie de Terroriste !

A sept heures, réveil général et toilette sommaire.

Jacques, Belleau et Henri vont à nouveau se remémorer la topographie du lieu. Les vélos sont rassemblés au coin de Manouyeau sous la surveillance d’un jeune Résistant de l’endroit. 

Et en avant pour l’aventure.

Sixte, Jacques, Belleau et Henri s’acheminent vers Manou d’un pas paisible. Chacun possède un sac de toile qui masque complètement une « Sten » démontée. Ils sont calmes d’apparence malgré cet inconnu vers lequel ils cheminent. Ils réalisent combien leur coup de main est audacieux: en plein jour, en plein centre du village, ils bondiront vers un camion allemand!

L’effet de surprise doit les faire triompher aisément, par contre un rien peut transformer cette expédition en une lutte à mort, pratiquement infructueuse. Il faut qu’ils soient rapides, sinon c’est l’échec. De tout cela ils ont discuté hier mais chacun en lui-même y revient ce matin. C’est une sorte de grande récapitulation.

Ils s’arrêtent à l’entrée du village, à trente mètres de la pompe, en bordure de la route, derrière une haie. Ils montent leur mitraillette. 

Il est huit heures quarante-cinq.

Devant eux, beaucoup de gens passent. 

Des petites vieilles clopinent leur laitière à la main. 

Des paysannes montées sur des bicyclettes ferrailleuses vont faire à la hâte quelques courses avant d’aller travailler. 

Un cultivateur conduit un tombereau de fumier. 

Un gendarme s’arrête à leur niveau, il est sympathisant à la Résistance et les a reconnus: 

« Il va y avoir une petite opération dans les parages d’ici peu. » 

« Ah bon! Alors il vaudrait mieux que je ne sois pas là. »

« Tout à fait de votre avis. »

 

Décidément, il passe beaucoup de monde! 

Maurice et Bob surveillent les routes d’accès.

Sixte qui est en uniforme anglais se tapit le plus possible dans le fossé.

Neuf heures.

La cour de l’ancienne école, face à la place, devrait constituer un meilleur emplacement. Sur l’avis de Belleau, ils l’occupent. Une brave femme se trouve à l’intérieur, une explication s’impose donc… Même quand on est terroriste, on sait vivre!

Invitation au silence absolu « avant, pendant et après », appel à son patriotisme, menaces de représailles éventuellement… ça y est, la gamme est complète.

« L’hôtesse », réalisant enfin la situation, avertit charitablement que « ce n’est pas prudent, car il vient tous les jours des Allemands à la pompe.»

« Sans blague? Et bien tant pis pour eux! »

Une voisine arrive… au lieu de tailler une bavette, elle doit entendre les avertissements de Belleau.

Soudain, un bruit de moteur… c’est lui.

Un camion non bâché arrive, un SS au volant, un autre le fusil à la main avec six Algériens sur le plateau.

Le camion est sur la place, nous descendons dans la cour, il stoppe à côté de la pompe, le SS et les Algériens descendent, le conducteur regarde son moteur.  

Sixte compte:1, 2, 3, et il s’élance, Henri à sa droite, deux mètres derrière Belleau et Jacques s’élancent à leur tour, au pas de charge la mitraillette prête à partir en rafle ils traversent la rue et abordent la place, à cinq mètres du camion, Sixte crie « Haut les mains! » 

Le SS avec son fusil les a vu bondir de la cour, mais il comprend seulement qu’ils se dirigent sur lui, il enlève son fusil de son épaule, Sixte et Henri sont sur lui, il n’a pas le temps d’épauler, apeuré il recule vers son camarade. 

« Haut les mains! » le conducteur lève les bras, Sixte arrache le deuxième fusil. Il y a deux prisonniers allemands.

 

Henri s’installe au volant, repère les vitesses et les manettes. Il est prêt.

Belleau et Jacques arrêtent les Algériens dont le premier mouvement a été de fuir, ils les rassurent et leur expliquent qu’ils sont libres, ils les font partir par un petit chemin.

Belleau monte dans le camion, les deux SS le rejoignent et vont s’asseoir le dos contre la cabine.  Jacques fait un tour d’horizon et s’installe à côté de Belleau. Sixte prend place dans la cabine.

Ils quittent la place du village et passent à côté de Roger qui pendant toute l’opération surveillait le carrefour. A travers la portière Sixte, coiffé d’un casque boche, inspecte le ciel.

De nombreuses personnes du village ont assisté à l’opération, il y en a même une qui applaudit …

Après un laborieux passage en seconde, ils sortent de Manou.

Sixte et Henri se regardent et éclatent de rire, en quatre minutes, l’affaire fut réglée. 

Devant Manouyau, nous faisons un arrêt pour prendre les vélos et Rhône en moto se place en éclaireur.

A Meaucé, le camion prend une petite route droite, où Henri s’arrête quelques minutes pour s’habiller en chleuh.

Vaupillon, La Floudière, la route de Nogent-le-Rotrou, Saint-Eliph, l’étang de Perruchet, la route de Chartres, un tour d’honneur à la Touche dans la cour de Monsieur Hardy. A la Fauverdière nous garons le camion jusqu’à la nuit. Un ravitaillement est assuré par un Résistant Monsieur Bellesort, un voisin heureux de cette aventure. 

On apprend aux deux SS prisonniers à reconnaître un officier FFI et que face à lui, ils doivent se mettre au garde à vous et le saluer.

A dix heures, une équipe vient chercher les prisonniers à pied.

A partir de ce jour, un autre camion vient faire la corvée d’eau à Manou. Les SS sont armés de mitraillettes et lâchent une rafale en l’air pour prévenir de leur présence.

Pendant longtemps, on parla de l’exploit des « parachutistes »

Quant au Capitaine Allemand de la Compagnie, il en a attrapé la jaunisse!

L'Essence
Par Jean Renauldon alias Rhône

  • Jean Renauldon alias Rhône, Lieutenant Rhône

  • André Duclot alias Belleau, Groupe Corps Franc

  • Jacques Coutard, Groupe Corps Franc

  • René Grignon alias Loupiot, Sergent Loupiot, Chef de l’Equipe 1 dans le Groupe II

  • Roger Pelletier, Chef de l’Equipe 1 dans le Groupe III

  • Albert Richard alias Bertaut, Doyen du Maquis

  • Emile Hiegel, déserteur Lorrain

  • Edouard Coutard, Maire-Adjoint de La Loupe

 

GV = Garde-Voie

SS =  SchutzStaffel = Organisation paramilitaire et policière nazie fondée en 1925

STEN = Pistolet mitrailleur anglais (arme emblématique de la Résistance)

FFI = Forces Françaises de l’intérieur

 

Les occasions de s’amuser sont rares dans la Résistance.

Voici une petite histoire, un peu gaie certes, mais qui aurait pu devenir tragique. C’est un enchevêtrement d’incidents d’où nous sortîmes indemnes sans laisser de traces. Nous côtoyâmes des dangers de toutes sortes et on n’en parlera même pas dans le pays.

Le Maquis possède un camion, mais il n’a pas d’essence!

Par Edouard Coutard, représentant civil de « Libération » à La Loupe, j’apprends que huit cents litres sont entreposés au hameau du Ruisseau, près de La Loupe, en bordure de la ligne de Paris.

Ce dépôt, propriété de la Société des Transports Départementaux, doit être mis à moitié à la disposition de l’occupant. 

On croit que Monsieur Haye, cultivateur à ce lieu-dit, en possède la responsabilité, mais aucun renseignement précis, même après enquête de la gendarmerie qui ne pourra amener une documentation exacte.

Tant pis, nos stocks sont à sec! Aurons-nous le carburant nécessaire au retour de l’expédition? Cette dernière est décidée, j’en prends le commandement.

A 21.30 heures, l’équipe de réserve de La Loupe, sous la direction de Roger, assurera la protection à l’entrée du chemin de terre qui, entre les lignes de chemin de fer de Paris et de Senonches, se dirige vers le Ruisseau. La brigade de la gendarmerie de La Loupe, au complet, assurera le service de sécurité dans un rayon plus large.

Départ du Maquis selon le protocole habituel.

Au volant Loupiot en uniforme SS, à côté de lui Emile (en motorisé boche) pour parler aux vrais Allemands. Dans le camion, Belleau en SS  également, qui mettra une fois de plus ses qualités théâtrales en valeur dans le rôle de l’Allemand parlant mal le français. Deux autres camarades en civil avec moi, Bertaut fidèle ami du début et doyen du Maquis, et un tout jeune, Michel, qui fait ce soir sa première sortie. Nous avons tous des Sten.

A 21.30 heures, le camion arrive pile à l’entrée du chemin. 

Trois hommes sont là. Sans nul doute, il s’agit de l’équipe à Roger, d’ailleurs je reconnais l’un d’eux. Le camion stoppe.

« Où est Roger? » Pas de réponse. Je répète ma question.

« Roger! Connaissons pas! »

« Mais c’est bien vous T…? »

« Oui, Oui… »

« Bon, allez vous poster à dix mètres avec vos mitraillettes! »

« Oui mais… c’est que les deux hommes qui sont là, ce sont des GV. » répond finalement T…

Eh bien oui, l’équipe de protection n’est pas là.

T… en arrivant au rendez-vous tomba sur deux GV qui lui demandèrent ce qu’il venait faire … tout cela, je le saisis en quelques secondes, mais trop tard, nous sommes démasqués.

Trois Français dans un camion allemand, avec trois Allemands (équipe de protection), mitraillettes, les GV ont dû comprendre et pendant que je parle, Emile s’approche de nos interlocuteurs et joue son rôle de faux Allemand à l’allure authentique. 

Il demande leurs papiers aux importuns, qui sans nul doute, commencent à croire à une histoire de fou.

Surgissent alors les gendarmes avec leur chef.

En quelques secondes, j’explique la situation à l’Adjudant Picot qui ne se démonte pas et me dit se charger de l’éclaircir.

Dieu qu’il fait chaud!

L’Adjudant Picot s’explique avec nos gens ébahis, et confiant dans son autorité, je remonte dans le camion, nous nous éloignons, la mission doit être remplie, elle le sera.

Voici la ferme de Monsieur Haye, nous entrons dans la cour, les trois « civils » de la bande restent à quelques mètres dans une haie, les Sten prêtes à tirer.

Le calme est complet, Belleau frappe aux volets, il appelle. Pas de réponse. Les coups de crosse sur les contrevents, accompagnés de quelques sons gutturaux se font plus pressants et Monsieur Haye apparaît dans l’embrasure avec une certaine émotion. 

C’est bon! Il s’habille.

Une minute après, l’air angoissé il ouvre la porte. 

Depuis nous avons su que toute la famille était terrifiée! 

« Réquisition! Réquisition! Huit-cents litres benzin! » s’écrie Belleau. 

« Non, Non, nicht 800, 400! » ceci dit sur le ton du Français qui parlant au boche, a peur d’avoir l’air de le froisser.

Sacré Belleau! En parlementant, pourquoi lorsqu’il entremêle quelques mots de français dans son vocabulaire chleuh, se croit-il obligé de prendre l’accent anglais? 

Un fou-rire me prend, irrésistible. 

On se met quand même d’accord, mais comme Monsieur Haye a une conscience, il demande un bon de réquisition.

« Ya! Ya! Tout à l’heure! » 

Et le camion prend le chemin du dépôt à cent mètres de là. 

Péniblement, on charge les quatre-cents litres. Il en faut huit-cents  et la mitraillette intervient.

De l’autre côté d’une cour, les voici avec quatre-vingt-dix litres d’huile inespérés. Tout va bien!

Sa tâche accomplie, Belleau s’ébroue sous le robinet d’une pompe. 

Monsieur Haye qui commence à se rassurer, fait remarquer à notre ami qu’il préférerait du vin blanc.

« Ya! Ya! » 

Mais ce n’est pas vrai, car le Maquis étant privé d’eau, l’apprécie au plus haut point.

Et puis, un dernier appel du dépositaire d’essence dévalisé:

« Papier! Papier! Demain! Demain! D’abord vérifier  contenance. »

En voilà assez, pas d’histoire, nous détalons…

Nous voici à nouveau à l’orée du chemin où une complication imprévue surgit encore.

Pendant notre « coup de main », l’équipe Roger, retardée en cours de route par des troupes allemandes, est arrivée sur les lieux.

Elle se trouve face à face avec les GV: mitraillettes, kidnapping, chacun se couche et se dissimule dans un buisson.                             D’ailleurs les coéquipiers ignoraient le but de l’expédition connu de son chef seul, si bien que l’un d’eux voyant arriver les Allemands, failli tirer dans notre direction.

Cette fois, il faut « casser le morceau », je prie notre orateur Belleau de régler la question, prendre les noms de tout le service GV et le rendre responsable sous peine de mort, de toutes indiscrétions. Les noms inscrits, nous repartons, reprenons plus loin un dernier contact avec la gendarmerie, et c’est le retour habituel parmi les colonnes ennemies, sans incident.

Toutefois, nous entendrons quelques avions passer bien bas… 

Or, quinze minutes ne s’étaient pas écoulées, que l’endroit absolument précis où à deux reprises, nous discutions à l’entrée du chemin du Ruisseau, deux bombes éclatèrent en l’encadrant.

La Providence est avec nous, car ce fait, somme toute, sans importance, va achever de brouiller les cartes. 

A ce moment-là, les GV se sont éloignés vers la gare, les gendarmes y sont, non sans avoir croisé une patrouille allemande et l’avoir aiguillée dans une direction favorable pour nous.

Ah! Les naïfs.

Réalisant qu’une explosion s’est produite au lieu où ils avaient été kidnappés, nos GV de bonne foi, se précipitèrent vers les gendarmes en leur annonçant que la voie venait de sauter, et que d’ailleurs ils venaient d’être arrêtés par des « Terroristes ».

Nos amis ne sont pas contents de cette déclaration en pensant que nous aurions pu les prévenir. 

Gendarmes et GV retournent à cet éternel point névralgique et qu’elle n’est pas leur surprise de constater la présence de trous de bombes et non de sabotage.

L’Adjudant Picot adresse une verte semonce aux GV ébahis, en leur disant que toute leur histoire de kidnappage, de voie sautée, de mitraillettes, tout n’était qu’imagination et qu’ils leur fichent la paix dorénavant avec ces sornettes. Que penser véritablement ? 

Si à tous ces incidents, s’ajoutent les mauvaises relations existant entre  Monsieur Haye et les GV, rien, rien, absolument rien, ne transpercera jusqu’au jour, où après la Libération, j’irai moi-même trouver le représentant des transports départementaux pour rembourser le carburant. 

Braves GV, qui à chacune de nos opérations veniez vers nous les bras levés pour vous constituer prisonniers temporaires, réfugiés du Havre pour la plupart, je rends hommage à votre discrétion de bons Français. Les deux qui, cette nuit-là, eurent avec nous des démêlés, sont morts assassinés quelques jours après. Sans doute à cause de leur brassard blanc, le boche a cru se trouver en face d’un FFI. 

Dans la lutte farouche pour la Libération, vous avez joué modestement, mais utilement votre rôle de Français.

Déraillement
Par André Duclot alias Belleau

  • Gabriel Herbelin alias Duroc, Capitaine Duroc

  • Jean Stiesz alias Sixte, Aspirant Sixte, Chef du Groupe Corps Franc

  • André Duclot alias Belleau, Groupe Corps Franc

  • Henri Léreau, Groupe Corps Franc

  • Gérard Dusse, déserteur Prussien de Brandebourg, Equipe 3 dans le Groupe III

SS = SchutzStaffel = Organisation paramilitaire et policière nazie fondée en 1925

FTP = Francs Tireurs et Partisans (nom du mouvement de Résistance créé en 1942)

 

Depuis que la locomotive vapeur fut réalisée par le Français Cugnot, il n’est guère d’enfant qui n’eut comme jouet favori, au moins pendant un temps, un chemin de fer mécanique. 

Quelles belles heures d’insouciance le garçonnet que nous avons été  n’a-t-il pas passées en compagnie de « son petit train ». 

Et quel est celui de nous qui ne s’est pas évertué à casser consciencieusement sa petite locomotive pour voir ce qu’elle pouvait bien     avoir dans le ventre? 

Puis, plus tard, devenu un grand garçon, nous allions admirer, du plus près possible, ces énormes machines dont la puissance nous intimidait un peu. 

Enfin ce petit garçon est devenu un homme, et cet homme, ce Français désirant ardemment se débarrasser du boche, est devenu            un « Terroriste ».

C’est alors qu’il a pu se livrer à nouveau à son jeu préféré de sa tendre enfance. Jeu infiniment plus dangereux mais combien passionnant. 

Il consistait à couper le rail le plus souvent et au plus grand nombre d’endroits possibles, à faire sauter les câbles de signalisation, les ponts, et à faire dérailler les trains. 

Quelles ruses de Sioux ne fallait-il pas employer pour arriver à réaliser avec succès nos beaux feux d’artifice!

De quelle ténacité ne fallait-il pas faire preuve? 

Mais combien, en revanche, il était agréable d’entendre l’explosion de nos dispositifs de sabotage et d’apprendre à Duroc, en rentrant au camp, que la voie était coupée en tel et tel endroit, et qu’en conséquence, le trafic était momentanément stoppé. Ce trafic si utile aux armées allemandes sur lesquelles soufflait déjà le vent de la défaite. 

Avec la destruction des ponts, c’est le déraillement qui désorganisait la circulation plus longtemps. Mais, par suite de circonstances défavorables, notre groupe n’eut qu’une opération de ce genre à son actif. J’eus le plaisir de la diriger. 

Et pourtant, Sixte cette joie te revenait de droit, car tu as fait, avec ton ardeur et ta conscience habituelle, tout ce qu’il fallait pour mener à bien une telle action. Mais tu devais trop bien faire… Les trains sentaient le vent et te fuyaient…

Nous sommes donc au début d’Août 1944. Il nous est signalé qu’un train doit descendre sur la voie montante, la seule utilisable.

Nous devons l’empêcher de passer à tout prix.

Duroc me donne l’ordre de prendre une équipe et d’opérer ce sabotage aux environs de Pontgouin. 

Je choisis dans notre groupe deux ou trois éléments de base dont Henri. Je complète avec des jeunes. Henri et moi, nous nous mettons en mesure de préparer notre dispositif:

  • quatre boules de Plastic reliées ensemble par du cordon détonnant,

  • deux « Fog-signal ». 

 

Tout est prêt. Mon équipe est gonflée à bloc et chacun est joyeux d’avoir à faire une action intéressante. 

Ceux qui doivent rester nous envient fort et je suis obligé d’en mécontenter beaucoup car tous voudraient partir avec moi.

Nous dînons tranquillement, et à la tombée de la nuit, nous nous dirigeons tous les neuf vers notre camion. 

Détail piquant que je me dois de signaler. Parmi les neuf membres composant l’équipe, il y a deux Allemands… Enfin, deux hommes portant l’uniforme allemand:

  • Henri, comme chauffeur,

  • Gérard, qui doit prendre la parole au cas où nous serions arrêtés sur la route par les troupes d’occupation.

En tant que transfuge de l’armée allemande, Gérard est tout indiqué pour agir utilement dans une telle éventualité. 

Nous montons dans le camion, tenons nos armes prêtes à tirer en cas de surprise et en route pour La Hurie où nous devons faire gonfler un pneu.

Alors que nous procédons à cette opération, nous regardons passer d’un œil goguenard les convois allemands. 

Nous filons ensuite par Saint-Victor-de-Buthon où les hommes de l’entreprise Todt, venus depuis peu dans ce bourg, pour procéder à la réfection des voies ferrées, nous regardent placidement passer.

Pauvres Todt, je pense que vous auriez été moins placides si vous aviez su que les hommes chargés sur ce camion étaient justement ceux qui s’évertuaient à vous donner du travail! 

Nous empruntons ensuite des petites routes qui doivent nous mener sur le « lieu du crime ».

Grâce à la parfaite connaissance des routes et des chemins qu’avaient Henri, tout à la fois notre chauffeur et mon homme de confiance, notre trajet s’effectue parfaitement bien, malgré un incident qui mérite pourtant d’être noté.

Peu de temps après être sortis des bois de Montécot, aux environs du  village Le Boulay-du-Favril, (où des incidents sanglants étaient survenus en 1943, à nos camarades FTP) la route est presque totalement obstruée dans un virage par un camion allemand. 

Un homme nous fait signe d’arrêter. 

Dans un champ voisin, des boches sont en position de tireur à genou. Minute d’émotion. 

Nous nous préparons à faire feu. 

Henri ralentit, et arrivé à la hauteur du camion, fait une manœuvre savante et repart de plus belle, sans se soucier des paroles gutturales prononcées par notre interpellateur. 

Celui-ci a dû reconnaître des compatriotes: c’est un malin! 

Ah! Pauvres Allemands, combien de fois fûtes-vous bernés!

Nous arrivons à proximité de la voie ferrée. Nous rangeons le camion dans un champ, à environ six-cents mètres de la ligne, nous prenons notre matériel et nous nous acheminons prudemment. Il nous faut prendre le maximum de précautions, car la voie peut fort bien être gardée:

  • soit par des civils (ce qui ne serait pas grave, car nous nous assurerions immédiatement de leurs personnes), 

  • soit par des soldats allemands. Dans ce cas, nous devrions les abattre pour mener à bien notre entreprise, coûte que coûte.

Mais une fois encore, notre bonne étoile nous protège car nous pouvons agir sans encombre.                                                                   

Je dispose mes hommes de telle sorte que la protection soit assurée de tous côtés et je monte sur le ballast avec Henri pour installer notre dispositif juste avant un petit pont.

Nous redescendons, nous nous regroupons et il ne nous reste plus qu’à surveiller et attendre le bon vouloir du train. Un bon moment se passe et presque tout le monde dort. Mais je veille et guette vainement le bruit d’une locomotive en marche. Silence de mort. Un temps assez long s’écoule et nous commençons à désespérer. 

Tout à coup, il me semble entendre dans le lointain le soufflement caractéristique tant attendu. Je secoue tout mon monde afin de faire part de la bonne nouvelle. 

Mais au début, il y a des doutes, certains pensent que je suis comme Jeanne d’Arc. Enfin, tout le monde est d’accord, c’est bien un train qui vient de Chartres. Ouf! Il était temps! 

Avant une heure, il nous aurait fallu partir à cause du jour. 

Nous nous éloignons quelque peu de la voie, et attendons…

Le train apparaît, mais Dieu qu’il va doucement. A cette vitesse, les wagons ne se coucheront certainement pas. Il approche, nous sommes haletants. (Oh! les minutes magnifiques que ne connaîtront jamais tous ceux qui sont restés confortablement installés dans leurs fauteuils, les pieds dans leurs chaussons…) Et tout à coup une gerbe de feu, une explosion qui emplit la nuit, un bruit de ferraille, des étincelles (ce sont les roues sur le ballast qui les produisent) et le train continue d’avancer pendant quelques secondes. 

Victoire! 

Malheureusement, suivant nos pronostics, les wagons déraillés ne se couchent pas. Huit wagons sont sortis des rails. 

Eh bien messieurs de chez Todt, allez-y, il y a de quoi vous amuser!

Nous nous précipitons vers notre camion et en route vers le Maquis. 

Toutefois nous prenons la sage précaution de ne pas passer exactement par la même route, car les occupants du camion auxquels nous avions brûlé la politesse, ne seraient peut-être plus aussi conciliants, surtout après avoir entendu l’explosion.

Retour sans histoire, nous arrivons au petit jour pour faire connaître à notre Chef l’heureuse issue de notre mission. 

Joie de nos camarades de nous savoir de retour (on éprouve toujours un serrement de cœur à voir partir des frères d’armes et un soulagement à apprendre leur retour) et aussi de savoir qu’une fois de plus un grain de sable s’est glissé dans les rouages de la machine de guerre allemande.

J’ai su, par la suite, que notre entreprise avait réussie au-delà de nos espérances.

Le train que nous fîmes dérailler resta sur place car les wagons ne revinrent en gare de Pontgouin qu’en Octobre. 

Par ailleurs, l’un des wagons sinistrés était une citerne de fuel-oil.

Son contenu fut heureusement soustrait par des gens avisés et tous les cultivateurs de la région utilisèrent ce produit pour effectuer leurs battages.

Un autre wagon contenait des fûts d’huile à moteur. 

Les Allemands en récupèrent un certain nombre mais quelques-uns passèrent subrepticement aux mains des gens de la région, pour le grand bien de leurs machines agricoles.

Allons, les « Terroristes » étaient au fond de bien braves gars!

J’appris aussi que les Allemands, furieux de ce mauvais coup, effectuèrent le lendemain des gardes et des barrages dans toute la région. Mais je souris doucement car je pense qu’ils n’étaient vraiment pas très astucieux, en effet le surlendemain, de crainte que la circulation ferroviaire ne puisse être rétablie, une équipe de notre groupe se rendit à quelque distance de là pour effectuer quatre coupures du rail…

Le Pont de Courtemiche
Par Jean Renauldon alias Rhône

  • Gabriel Herbelin alias Duroc, Capitaine Duroc

  • Jean Renauldon alias Rhône, Lieutenant Rhône

  • Charles Geslain, Secrétaire du Capitaine Duroc

  • Jean Guyard, Agent de liaison

  • Jean Stiesz alias Sixte, Aspirant Sixte, Chef du Groupe Corps Franc

  • René Grignon alias Loupiot, Sergent Loupiot, Chef de l’Equipe 1 dans le Groupe II

  • Guislain Roche alias William, Aspirant William, Chef du Groupe II

  • Christian de Bonneval, Chef de l’Equipe 3 dans le Groupe II

  • Georges Duchateau alias Ducastel, Adjudant FFI, Chef du groupe III

  • Emile Maquaire fils, Chef de l’Equipe 3 dans le Groupe III

  • Emile Hiegel, déserteur Lorrain

 

GV = Garde-Voie 

SS = SchutzStaffel = Organisation paramilitaire et policière nazie fondée en 1925

FM = Fusil Mitrailleur

FFI = Forces Françaises de l’intérieur

 

La Loupe, la rue vide, ma maison. Dès le seuil franchi, la tristesse m’envahit, les fenêtres sans vitres, les murs nus, et le bouleversement général des pilleurs boches de la nuit précédente, tout contribue à me gonfler le cœur.

La chambre de mes enfants, si vivante jadis, d’où je n’entends rien aujourd’hui. Pas un bruit dans la petite ville. 

Soudain un vrombissement bien connu, m’engage à gagner l’abri.

Voici la ronde des petits avions aux ailes zébrées, qui dans quelques instants lâcheront les deux bombes à peine cachées sous les ailes. 

Chacun, à leur tour, ils piquent sur la ligne de chemin de fer. Encore une spirale, ils s’éloignent.

Pourvu que les voies principales aient été touchées. 

Touchées! Cela signifie deux peut-être trois nuits de repos pour les FFI.

Je le saurai tout à l’heure. 

Je ne reste pas un instant de plus dans ce lieu nostalgique: Mon foyer!

Je remonte la rue toujours déserte, je traverse le chaos lunaire de la place de la mairie et je gagne le seul lieu vivant où des hommes mènent l’existence rude des militaires en campagne: la gendarmerie, gaie quand même, accueillant rendez-vous de tous ceux qui, de près ou de loin, restent sur la brèche, là où me sont désignés les objectifs éventuels de la périphérie Loupéenne.

Non! La ligne n’a pas été touchée. La ligne, objet de nos grandes préoccupations, objectif militaire de première grandeur, confiée aux FFI, artère d’un intérêt formidable pour l’ennemi. Les trains ne doivent pas passer, c’est un ordre. 

A la minute, j’apprends de l’Adjudant Picot, que cette nuit, malgré nos coupures, en raison de l’importance des effectifs de l’organisation Todt, engagés par les Allemands, trois trains (lentement certes) mais trois trains quand même se sont acheminés vers l’ouest. 

 

Carburant? Munitions? Que sais-je?

Il est seize heures, à une heure cette nuit, une grosse destruction sera entreprise. J’en recevrai l’ordre tout à l’heure au Maquis.

En moto, je m’engage sur la route de Nogent-le-Rotrou pour gagner notre petit coin de France libre, quelque part vers Saint-Denis-d’Authou.

Après Saint-Victor, voici le carrefour de La Hurie, où la circulation ne présente déjà plus l’homogénéité de jadis, Frétigny où, au monument aux  morts, une gerbe en croix de Lorraine, déposée le 14 juillet, par un Conseil Municipal patriote, achève  de sécher. 

Voici la ferme de Ducastel, ce sont déjà les marches de Plainville. 

Sous un soleil de plomb, je chemine sur le sentier sablonneux jusqu’au vallonnement aux pentes boisées, où rien ne se révèle, même à l’œil averti. Sous ces arbres, mes amis sont là, dans ce paysage magnifique, encore inviolé. Après une descente à travers champs, je gravis lentement notre piste sous les taillis.

Le Maquis de Plainville, Giraumont, Saint-Hilaire, noms familiers depuis deux longs mois, noms de chez nous qui sonnent la bonne vieille France au travail, la paix et la prospérité et sur qui, la pire des menaces pèse à cause de nous. Grâce à nous plutôt, car ces lieux sont à l’honneur. 

La sentinelle avancée me guette, par principe, car elle m’a reconnu et le canon de la mitraillette se redresse pour un garde-à-vous impeccable.

Je tombe en pleine fièvre, car ce soir les sorties seront nombreuses. Parmi ces jeunes militaires mal vêtus, sans extérieur, mais dont les yeux brillent d’une ardeur qui laisse percevoir le soldat d’élite, quels seront tout à l’heure mes compagnons?

Par le Capitaine Duroc, l’ordre m’est donné de procéder ce soir à la destruction du pont de Courtemiche, et c’est le grand remue-ménage des grands départs, dans un déballage de containers, de boules de Plastic, et un enchevêtrement de Cordtex (cordon détonnant).

On discute ferme technique, ligne principale et ligne secondaire, crayons à retardement et Bickford.

Le Pont de Courtemiche! Bigre, je le connais, très bien même. 

Je ne sous-estime pas l’importance de la mission et surtout sa difficulté.

Sur la ligne Paris-Brest, il est à cinq mètres au-dessus de la route qui passe par Nogent-le-Rotrou, La Loupe, et Dreux. La circulation y est très intense.

L’ordre doit être exécuté. Il le sera.

William, Christian, Loupiot… treize hommes au total. L’équipe me plaît, des vieilles connaissances, des hommes sûrs.

Pas très faim à l’heure du dîner, à peine le temps de manger. Le grand bidon à lait plein de nouilles, dont l’extraction par le chef de groupe constitue une prouesse, l’autre rempli de morceaux de viande. 

Ces deux bidons, dont la montée au camp représente de la part des cuisiniers bénévoles un prodige de dévouement. 

Beaucoup oublient de manger. Il y aura pour ceux, que le devoir oblige à rester, pas mal de «rab». Je pense davantage à ceux qu’il faut emmener.

Charles et Jean G., qui cumulent avec les fonctions d’agent de liaison, celles de secrétaire, de magasinier et de militant des « coups de main », remettent à mes compagnons le matériel indispensable.

Le Cordtex est mesuré, les boules de Plastic s’amoncèlent sur la table en branchages, avec des allures de pièces montées, puis on les empile dans les containers, trente-cinq kilos d’explosifs, une ligne principale, quatre lignes secondaires doubles, au total dans les vingt mètres de cordon, chaterton, crayons à retardement rouges, détonateurs: tout y est. 

Pour la protection, nous emportons: Un FM, quatre fusils, sept mitraillettes. Selon mon habitude, afin de conserver toute ma liberté, je prends mon revolver.

Emile est monté dans l’allée qui domine le camp, accompagné de Loupiot, Emile Hiégel, le pivot de nos sorties avec le « Ford V8 » gagné sur l’ennemi à Manou, par l’équipe du groupe Corps Franc.

Nous allons faire tout à l’heure figure de boches au milieu des convois ennemis. 

Or, Emile Hiégel, possède un certain nombre de qualités. Il porte avec autant d’élégance le « battle dress » et le vert de gris des blindés allemands. Lorrain, il a pu de très près apprendre à connaître ces Messieurs, au point de se confondre avec eux. Il parle le chleuh comme le français, et puis disons-le c’est un bon soldat.

Loupiot, lui ne comprend pas un mot d’allemand, mais comme il conduit un camion avec aisance, il revêtit la tenue d’un de nos SS prisonnier. Il ne causera pas, voilà tout. 

Pendant que nos deux pseudo boches s’affairent autour du camion, l’équipe, en bon ordre, gravit derrière moi, les marches usées, on bute dans les branches de soutènement, celles-ci n’ont pas été mises là pour durer. Le jour tombe, voici la clairière, la grande allée déjà obscure, et la dernière sentinelle.

Nous nous mettons en devoir de garnir le Ford V8 avec des branchages, vieille habitude d’une race qui aime la verdure au point de transformer ses véhicules en buisson ambulants. Faisons comme elle, puisque notre sécurité est en jeu. Le temps s’annonce clair, la lune bien ronde rendra la nuit lumineuse, nuit à parachutage peut-être, mais certes pas nuit à « coup de main ».

On s’empile dans le camion, couchés dans le fond, après s’être assurés que rien ne dépasse des ridelles. Le moteur ronfle, voici le bout de l’allée, les deux barrières, puis la campagne et son inconnu. On ne causera plus, on ne fumera pas davantage. Du trajet, nous ne verrons rien, sinon le haut des toits, la cime des arbres. Cahotés, ballotés, nous attendons le but sans penser. Le ralentissement nous indique le passage de la grande route à Montlandon où les convois ennemis nous côtoient. Montireau, Saint-Eliph, je me soulève pour indiquer le chemin. 

Voici la route de Chartres, le croisement de celle de Belhomert où des véhicules allemands stationnent et nous forcent presque à l’arrêt. 

Rien ne remue à bord. Nous arrivons à la Giraudière et nous stoppons près d’une ferme bien connue de moi, celle de Monsieur Oudill. 

Nous abritons notre Ford V8  le long d’une haie à deux-cents mètres de la grande route et six-cents mètres de l’objectif.

Je me permets d’ouvrir une parenthèse.

Tout le monde a sauté à terre. Loupiot et Emile, couverts par leur uniforme, resteront pour garder le précieux camion. Maintenant que nous voici à pied d’œuvre, examinons la situation par son côté moral et son côté matériel. Il y a deux états d’âme pour le Maquisard prêt à effectuer un « coup de main »:

  • celui de l’enthousiasme sans réflexion, ouvrant la porte aux grandes choses et quelquefois aux pires,

  • celui de la raison, incitant à trop peser le pour et le contre, surtout le contre, ce juste milieu eut été souhaitable ce soir-là.

Mais puisque nous voulons la sincérité et le vrai récit, avouons que l’emballement ne nous animait pas. 

Après trop d’opérations semblables, l’ennemi peut être aux aguets et puis la circulation n’arrête pas sur la route toute proche. L’un de nous ne va-t-il pas jusqu’à affirmer que le pont est certainement gardé. Certainement implique d’ailleurs le doute et puisque ce soir le vent ne souffle pas l’optimiste, considérons seulement le devoir de la mission qui coûte que coûte, doit et sera remplie. 

Comme en maintes circonstances, vivons à la minute même, sans penser à la suivante. 

Avec William, nous partons tous les deux en reconnaissance.

A l’aller, pas d’histoire, nous cheminons sur la berme, nous planquant de temps à autre dans le fossé.

Voici le pont, pas de sentinelle allemande. Mais qu’il est donc haut ce pont! Et puis quelle lumière avec cette lune! Où trouverons-nous une échelle assez grande? 

Le retour vers nos camarades s’effectue non sans difficulté, car au débouché du chemin de la Giraudière, nous apercevons une masse noire d’où s’échappaient des sons de voix qui n’ont certes pas le timbre de chez nous. Nous nous faufilons à quatre pattes ou courbés, car nos ombres, se profilent démesurément dans les champs. A temps, la masse noire s’éloigne et nous pouvons regagner notre équipe.

Et l’échelle? 

Comme dans un roman policier, la voici qui providentiellement, nous tend les bras. Dans la cour de la ferme, entre deux ombres opaques, un rayon de lune nous la révèle, bien haute, bien droite et solide. 

Nous pénétrons, d’une fenêtre toute proche quelqu’un tousse pour bien prouver aux « pilleurs supposés » que la maison est habitée. 

Généralement cela suffit à intimider le boche et diminue les chances de disparition d’objets divers. Pas intimidés pour si peu, portée par deux FFI vigoureux, l’échelle précieuse prendra quand même la clé des champs. Monsieur Oudill la récupérera.

En colonne par un, l’équipe s’ébranle pour gagner le plein milieu d’un champ d’avoine. Alourdie, la cohésion n’est pas parfaite, les containers remplis de matériel explosif coupent les épaules des porteurs. 

Nous biaisons, pour nous approcher de la route et nous l’atteignons en même temps qu’une colonne hippomobile allemande.

Fort heureusement, une haie nous offre un abri. Avec les fusils et les mitraillettes, nous dressons un plan de feu sommaire. Nous repartons, traversons la route et après des alertes successives (que cette échelle est encombrante) voici le pont. 

Nous tendons l’oreille, cette fois calme complet, pas de voiture à l’horizon.

La sécurité entre en jeu:

  • six hommes sur la voie avec pour mission de capturer les GV français. A la moindre fuite ou rébellion, la mort! Il y va du salut des treize nôtres. Pour le boche, en toute circonstance, la mort sans hésitation!

  • En bas, côté La Loupe,  un groupe armé de fusils et mitraillettes garde et avertit pour tout danger.

  • En bas, côté Belhomert, un autre groupe armé respectera les mêmes consignes. Ce groupe sera appuyé par le FM qui protègera éventuellement notre repli.

Consigne: « Laissez passer, ne pas attaquer, se défendre ».

Et maintenant seulement commence le travail effectif, pour lequel nous sommes là. Nous nous en chargeons William et moi. Les alertes vont se succéder, fausses ou vraies. Du haut de mon échelle, je devrai descendre rapidement, la camoufler d’abord et nous ensuite. Déjà handicapé par un « coup de main » antérieur, je me foule un pied et je boîterai jusqu’à la Libération. Voici ensuite les GV qui, mains hautes descendent sous bonne escorte.

Sur chaque poutre soutenant une voie, le long de la pile, nous bourrons huit boules de Plastic, dans cette masse nous incrustons une amorce dans une anse de cordon détonnant. Chaque anse forme un double circuit que nous soudons en faisceau avec du chaterton à double ligne principale. Tout le monde connait ce filet aux extrémités noyées dans du mastic, technique familière à tous les Maquisards.

On ne peut tout de même pas passer sous silence le moment un peu émouvant de la mise à feu.

Le détonateur est adapté au crayon à retardement, lié à l’extrémité de la ligne principale, puis c’est l’écrasement de la petite ampoule protégée de son étui de cuivre, petit crissement sous les doigts, petite vibration dans le cœur. La goupille reste libre, retirons-là, une ampoule trop pressée laissera s’échapper son liquide et elle ne fonctionnera pas. 

Nous nous écartons, laissant au destin l’accomplissement de notre travail.

Dans notre repli, il faut se hâter, car des voix allemandes se font entendre à deux-cents mètres. L’équipe s’ébranle, emmenant avec elle, les GV dirigés ensuite le long de la ligne en direction de Pontgouin, avec les recommandations d’usage concernant la discrétion et la lenteur dans le compte rendu. Dans vingt minutes, le pont peut sauter, à ce moment-là nous devons avoir dépassé la route de Chartres.

A cause de nos ombres, toujours terribles, nous longeons les haies, puis la ferme de la Bélardière, et la ferme de la Giraudière, après avoir décrit un grand arc de cercle autour des chleuhs (voiture en panne sans doute).

Vite montés dans le camion, celui-ci s’ébranle et se dirige trop rapidement, à mon gré, vers le retour. Nous doublons une voiture de foin allemande, de son sommet un Allemand nous regarde à loisir, quelle belle cible pour nous! Mais telle n’était pas notre mission. 

 

Au fameux croisement, rien d’anormal et nous roulons vers Saint-Eliph, nos oreilles tendues vers l’explosion qui tarde. Au bout d’une demi-heure seulement, la lueur violette embrasera la nuit dans une fraction de seconde, suivie du bruit caractéristique qui commence à nous devenir familier.

A nouveau, voici Saint-Eliph et Montireau, les autos ennemies se multiplient dangereusement. Il est visible que notre présence, en sens inverse, les gêne prodigieusement. Je ne connais pas le boche mais j’ai bien l’impression que nous nous faisons copieusement attraper. 

Pas un de nous ne bouge au fond du plateau, or nos adversaires peuvent nous apercevoir du haut de leur engin.

Emile Hiegel prend alors le contact:

« Achtung! Kolonne! » lui dit-on

« Gut! Gut! »

La circulation devient impossible et c’est l’immobilité absolue, il faut attendre que le flot déferle.

« Die kolonne ist fertig »

« Ya! » répond à Emile Hiegel une voix dans la nuit.

Et nous repartons. Ah! s’ils avaient su!

Montlandon, Frétigny… voici le Maquis sans histoire. 

Les branches fouettent le camion dans notre bois, on descend trébuchants de fatigue.

Voici la sentinelle et l’officier de jour qui nous accueillent, la descente rapide de l’escalier vers le camp, nos lampes électriques voilées, notre mince lit de paille et la couverture rudimentaire où nous allons dormir d’un sommeil de plomb.

Mission terminée, une comme tant d’autres, un peu plus délicate peut-être. 

Un double but était atteint: vingt-quatre heures d’interruption dans le trafic ferroviaire allemand et le pont basculé comme autour d’une charnière sur une route passagère. 

Cette nuit, des français ont fait la guerre, gagnant une parcelle de l’estime de leurs Alliés, prouvant aussi à l’Allemand que la France n’a rien de commun avec les lâches de Vichy. 

Attaque d'un Engin dans les Bois de Perchet
Par Jean Renauldon alias Rhône

  • Jean Renauldon alias Rhône, Lieutenant Rhône

  • Jean Stiesz alias Sixte, Aspirant Sixte, Chef du Groupe Corps Franc

  • Maurice Chèvre alias Ervech, Groupe Corps Franc

  • Robert Jouan dit Bob, Equipe 1 dans le Groupe II

  • Jacques Coutard, Groupe Corps Franc

  • Un Capitaine SAS 

  • Robert Tapie, Chirurgien-Dentiste, Médecin auxiliaire au Maquis

  • Paule Malvos, Assistante Sociale, Infirmière au Maquis

  • Docteur Boutron, Chirurgien à L’hôpital de Nogent-le-Rotrou

 

SAS = Special Air Service (Belge sous l’uniforme Canadien) 

FFI = Forces Françaises de l’intérieur

FM = Fusil Mitrailleur

Bazooka = Engin Léger antichar

Rocket = Projectile du bazooka

Famo = Tracteur semi-chenillé utilisé durant WWII

 

Dans la journée du 9 Août 1944, un homme se présente au Maquis en tenue de travailleur, se prétendant Canadien, envoyé là,               pour établir une liaison avec une action de parachutistes opérant à notre insu depuis une quinzaine de jours dans le secteur.

A la tombée de la nuit, le Capitaine partira avec une poignée d’hommes pour établir le contact, tandis que la presque totalité de la Compagnie se rendra dans les bois de Perchet au cours d’une marche d’approche qui nous amènera à Nogent-le-Rotrou.

Le rendez-vous est fixé sur la route de Nogent-le-Rotrou à Marolles-les-Buis, au carrefour du chemin de la ferme de l’Argenterie.

Cent trente-cinq hommes réunis sous le commandement du Lieutenant  Rhône se disposent, groupe par groupe dans chaque angle. La nuit est opaque, les fourrés épais, et d’un côté un fossé offre un abri suffisant pour certains.

Au lointain, le bruit sourd de la canonnade.

Les hommes s’assoupissent, les chefs veillent, les heures s’écoulent monotones, dans l’attente du Capitaine.

Au lointain un bruit de chenille se fait entendre, très atténué puis net.

Le bruit s’amplifie en semant l’inquiétude dans l’esprit des FFI.

S’éloigner? Personne n’y songe.

Quelle surprise le hasard va nous réserver?

Une masse imposante se profile. Passe-t-elle? NON, elle s’arrête!

Un homme descend, une lampe de poche à la main. 

Chacun se crispe sur son arme et attend.

La seule solution compatible avec notre honneur, c’est l’attaque.

Rhône se dresse et donne un ordre bref:  « Feu à volonté ».

De tous les FM de tous les fusils et des mitraillettes, voire même des revolvers, un feu d’infanterie gigantesque se concentre sur l’objectif.

Les balles claquent sur le blindage avec des étincelles superbes.

L’ennemi surprit (on le serait à moins) réagit faiblement. 

Un coup de sifflet strident et Rhône ordonne: « Cessez le feu ».

Et c’est le silence du bois. 

Sixte et Ervech préparent le bazooka.

Il est prêt, un nouveau coup de sifflet: « Feu à volonté ».

Une gerbe de flammes jaillit du bazooka, un bruit sourd, une gerbe de feu sur l’engin, une Rocket puis deux ont touché l’ennemi. 

Un coup de sifflet strident et Rhône ordonne: « Cessez le feu ».

Des voix s’élèvent, celles de deux Allemands qui se constituent prisonniers.

Sixte parlemente en chleuh, l’un d’eux est grièvement blessé.

Deux volontaires se dirigent sur l’appareil suspect: une formidable grue de dépannage de chars. 

A l’intérieur, il y a deux cadavres, des bagages personnels, des fusils. Dans les bagages nous trouvons un excellent chocolat de marque française, de la crème de beauté, du linge de femme (comme d’habitude!) et un bon demi-litre de parfum…

Le bilan? Une auto-chenille ennemie anéantie, deux tués, deux prisonniers. 

Chez nous, malheureusement il y a un blessé: Bob du groupe II.

Il sera soigné par Robert (notre médecin auxiliaire) puis Mademoiselle Paule Malvos, notre infirmière, prendra le relai. 

Il est évacué sur la ferme de l’Argenterie chez l’accueillant Monsieur Poirier puis chez le chirurgien de la Résistance le Docteur Boutron.

Nous mettons un drap sur les cadavres et quittons ce lieu pour gagner notre bivouac à l’autre extrémité du bois. 

Quelques heures après, les boches enlèveront les dépouilles.

Quant à nous, c’est la veillée d’armes, le lendemain matin la ville de Nogent-le-Rotrou sera attaquée.

A l'hôpital de Nogent-le-Rotrou : Les Dernières Heures sous la Botte
Par le Docteur Boutron, Chirurgien à l'Hôpital de Nogent-le-Rotrou

  • Gabriel Herbelin alias Duroc, Capitaine Duroc

  • Jean Renauldon alias Rhône, Lieutenant Rhône

  • André Duclot alias Belleau, Aspirant Duclot, Groupe Corps Franc

  • Robert  Branchard alias Bob, Groupe Corps Franc

  • Christian de Bonneval, Chef de l’Equipe 3 dans le Groupe II

  • Pierre Feret, Equipe 1 dans le Groupe II

  • Roger Pelletier, Chef de l’Equipe 1 dans le Groupe III

  • Jean Laporte, Chef de l’Equipe 2 dans le Groupe III

  • Robert Fonteix, Equipe 1 dans le Groupe IV

  • Robert Tapie, Chirurgien-Dentiste, Médecin auxiliaire au Maquis

  • Paule Malvos, Assistante Sociale, Infirmière au Maquis

  • Docteur Boutron, Chirurgien à l’hôpital de Nogent-le-Rotrou

  • Docteur Frenay, Médecin Spécialiste à l’hôpital de Nogent-le-Rotrou

  • Henri Chevalier, Infirmier à l’hôpital de Nogent-le-Rotrou

  • Robert Fonteix, Equipe 1 dans le Groupe IV

  • André de la Gatinais alias Laga, Adjudant FFI, 

  • Guy Suzanne

  • Emile Martin, « un dur » 

 

PC = Poste de Commandement

FFI = Forces Françaises de l’intérieur

FM = Fusil Mitrailleur

Bazooka = Engin Léger Antichar

WeHrmatch (WH) = Nom officiel des armées du IIIe Reich

Kommandantur = Structure de commandement de l’armée allemande dans une ville assiégée 

SS = SchutzStaffel = Organisation paramilitaire et policière nazie fondée en 1925

Feldwebel = Grade de l'armée allemande correspondant à celui d'adjudant

Nazi = Membre du parti national-socialiste d’Hitler

 

Dans notre petite ville, à moitié évacuée, on sent bien que cette semaine sera celle de la délivrance. C’est là le sentiment de ceux qui n’ont jamais perdu espoir et qui attendent « ça » depuis quatre ans.

Les moins optimistes ont quitté la ville, soit qu’ils aient trouvé un refuge dans une des communes voisines ou dans quelque ferme accueillante, soit qu’ils aient décidé, sur les conseils de la municipalité, d’aller s’abriter dans la champignonnière, abri souterrain tout à fait sûr, qui peut recevoir des milliers de personnes et a été aménagé en cas d’une violente bataille. La municipalité a pensé, en effet, qu’une destruction grave était à craindre à l’image des villes de la Normandie côtière. 

En fait, l’avance foudroyante des Américains, après l’effondrement de la charnière de Mortain, ne nécessitera plus de destructions massives.

Il fait chaud. Un malaise pèse sur la ville, les magasins sont presque tous fermés. 

Ce début de semaine ressemble à un long dimanche: le villageois est au champ. On craint toujours l’aviation et pourtant nos « Terroristes » ont fait sauter des ponts sur la voie ferrée, ce qui rendra maintenant inutile tout bombardement aérien et nous préservera d’autant.

Ceux de nos concitoyens qui sont restés s’attardent dans les rues, flânent sur les places. Le cœur joyeux et plein d’espérance, on voit passer sur la route en direction de Chartres, cette armée vert-de-gris qui empoisonne l’atmosphère depuis quatre ans. Les voitures sont bien chargées, on y reconnaît malheureusement de bonnes marques françaises encore immatriculées aux lettres de nos départementaux. Dans ces voitures, on y voit même des civils dont on ne peut plus dire qu’ils sont encore français, emportant avec eux la honte de la trahison.

De jour en jour, d’heure en heure, le lamentable cortège de la glorieuse Wehrmatch se désorganisera. Aux camions bigarrés succéderont des véhicules divers: voitures à chevaux, charrettes, voitures à bras et le long défilé des hommes qui se traînent à pied de chaque côté de la route, ou de ceux, plus heureux, qui ont su utiliser une dernière fois leur instinct de pillard en volant une bicyclette pour accélérer leur fuite.

Le lundi après-midi, la Kommandantur quitte la ville dans une grande agitation. Seebauer, qui régna en maître sur notre cité, emmène avec lui le trop notoire individu qui poussa l’esprit de collaboration jusqu’à l’espionnage le plus dégradant et la trahison la plus ignominieuse: Jean Héritier. 

Adieu Messieurs! Votre départ nous soulage, nous allons pouvoir cesser notre jeu de cache-cache et préparer plus librement l’arrivée de nos Maquisards. C’est déjà sans trop se cacher que dans chaque demeure, les femmes confectionnent en hâte des drapeaux français et alliés qui n’attendront plus longtemps l’heure de leur déploiement. 

En ces instants d’inquiétude mais aussi de confiance « les êtres et les choses attendent. » 

Nous, nous attendons, l’heure de l’attaque, nous savons que Duroc et ses hommes prendront Nogent-le-Rotrou avant l’arrivée des Américains. C’est un point d’honneur.

A quand le jour « J » ? 

Pour être tout de suite prêts à recevoir les blessés éventuels, nous nous fixons à l’hôpital, nous couchons dans la chambre proche de la salle d’opération, non sans avoir repéré un itinéraire de sortie par les jardins au cas où un « frisé » bien renseigné désirerait nous cueillir. 

Mais les dits « frisés » ont maintenant d’autres chats plus sérieux à fouetter. 

Les éléments qui avaient habité la ville sont partis depuis deux jours, et nous n’avons plus affaire qu’à des compagnies d’arrière-garde surtout chargées de placer des mines et de faire sauter les ponts. 

En effet, le mercredi matin, les explosions retentissent, les Allemands font sauter le central téléphonique, concrétisant ainsi leurs intentions de départ.

L’après-midi, une puissante automobile, un fourgon mortuaire recouvert d’une croix rouge, voiture qui a été mise à la disposition du Maquis, conduite par une jeune femme blonde en uniforme, arrive précipitamment à l’hôpital. Mademoiselle Malvos accourt avec nous, elle a déjà reconnu les occupants. Six de nos Maquisards, victimes d’un éclatement de grenade et qu’accompagne, après leur avoir donné les premiers soins, le magnifique Robert Tapie. 

On décharge les blessés en vitesse. 

Robert reste camouflé dans la voiture, il ne faut pas en effet qu’il soit reconnu de nos persistants collaborateurs                                           qui pourraient passer par là.

Ceux-ci d’ailleurs, resteront crédules jusqu’au bout:

« Ces cochons d’Anglais ont encore mitraillé des gars sur la route! » 

C’est sous ce bon prétexte utilisé depuis des mois, que nous pourrons, sans trop de crainte, opérer et hospitaliser nos « Terroristes ».

Tous ces jeunes hommes sont courageux et ce qu’ils regrettent ce n’est pas leurs blessures mais l’incapacité dans laquelle ils vont se trouver de ne pouvoir participer aux combats du lendemain. 

Ces combats pour lesquels ils se sont préparés depuis des mois au prix d’immenses difficultés et de grands sacrifices. Ces combats auxquels ils aspirent de tout leur cœur et de toute leur vaillance. 

Les blessures ne sont pas graves mais elles nécessiteront plusieurs jours de lit:

  • seul, le jeune Pierre Feret a une blessure sérieuse à l’œil. Le Docteur Frenay (dont la collaboration dévouée sera de tous les instants) l’examine et constate la perte de l’œil. 

  • Roger Pelletier, légèrement blessé, pourra quitter l’hôpital le lendemain et rejoindre à temps ses camarades pour « le coup de feu ».

  • Jean Laporte, un jeune Aspirant, est de ceux qui rage le plus d’être immobilisé à la veille de la bataille. Le vendredi, quand la fusillade  crépitera, nous ne pourrons l’empêcher de se lever et de courir d’un bout à l’autre de l’hôpital pour mieux suivre la lutte.

Tous ces sympathiques jeunes gens nous donnent les dernières nouvelles du Maquis. Toute la troupe est sous pression, l’attaque sera peut-être pour demain à l’aube, Duroc y serait décidé. Attendra-t-il encore vingt-quatre heures? 

On apprend avec peine que Belleau, qui est tombé une nuit lors d’un « coup de main », est encore souffrant. Nous ne savons pas à cette heure que son courage lui permettra d’être présent au combat.

La soirée est calme, nous sortons dans la rue pour contempler le cortège ininterrompue du boche en retraite. Quelques-uns de nos concitoyens descendent la place Saint-Pol, une couverture sous le bras. Ils vont passer la nuit à la carrière.

A l’hôpital, la nuit est calme, nous demandons à chacun de se coucher tôt pour être frais et dispos le lendemain. Notre sommeil est léger, entrecoupé par des explosions qui ne paraissent pas lointaines. 

Vers quatre heures du matin, notre fenêtre ouverte, nous entendons au loin, vers les bois de Perchet, une série de coups de feu que nous interprétons comme des coups de fusils isolés, puis la crépitation plus proche d’un FM.

Viennent-ils à Nogent-le-Rotrou ou est-ce un simple « coup de main » dans la campagne? 

Vers six heures, nous percevons très nettement un feu nourri qui doit correspondre à une salve de fusils, de mitraillettes, de FM. 

Nous saurons bientôt de quoi il s’agit en voyant arriver Madame Foussard, de la ferme de l’Argenterie, qui nous dit qu’elle a chez elle un blessé grave. Nous téléphonons immédiatement à Mademoiselle Malvos, qui accompagnera la fermière et ramènera le blessé, ce qui permettra à Robert, qui n’a pas quitté le blessé, de regagner le reste de la troupe. 

Le blessé, c’est le jeune Bob, un bon petit gars de Berdhuis, qui a été atteint d’une balle en pleine poitrine, dans l’attaque d’un tank. Nous aurons la joie de le tirer d’affaire.

A peine sorti de la salle d’opération, nous sommes appelés par un camarade, qui nous demande d’aller chercher un blessé du groupe de Beaumont-les-Autels.

Notre ambulance à gazogène que nous avons tenu prête dans la cour de l’hôpital partira aussitôt chercher le jeune Suzanne au moment où celui-ci devait rejoindre le Maquis de Plainville. Une balle est entrée au niveau de la clavicule et a fracturé l’os. 

Là encore, le blessé dans un état d’énervement extrême, pleure d’être atteint avant l’ultime bataille. L’anesthésie lui enlèvera ses regrets et le fera peut-être rêver de victoire et de gloire.

Pendant que nous opérons ces blessés, des explosions retentissent très proches. Le relais des PTT, miné par les Allemands, saute. 

 

Le soir, ce sera le tour du pont de la rue de Rhône d’être détruit de la même manière. Ces explosions successives font discuter avec plus d’âpreté de la Résistance. Celle-ci arrivera-t-elle à temps pour éviter la destruction d’un grand nombre d’ouvrages d’art. 

L’après-midi nous laisse dans l’attente. Les initiés pensent que le grand coup sera pour demain. 

Et pendant ce temps, on attend toujours l’arrivée des Américains. Les nouvelles les plus contradictoires circulent. 

Pour les uns, ils sont à la Ferté-Bernard et seront là dans quelques heures.

Pour d’autres, ils ont même déjà débordé Nogent-le-Rotrou et sont à Chartres.

La TSF ne nous donnant pas la position précise des troupes alliées, là encore c’est l’attente impatiente et fiévreuse.

L’aviation déploie une grande activité. Les bombardiers passent indifférents ayant des objectifs plus lointains. Par contre, les chasseurs continuent à nous donner des inquiétudes, surveillant les routes comme ils le font depuis des mois. 

La soirée et la nuit seront identiques à la soirée et la nuit de la veille, si ce n’est qu’il semble y avoir de moins en moins de monde dans la ville. La clientèle de la carrière doit s’accroître. 

L’atmosphère est lourde. La nuit est tombée. A la fin de celle-ci, nous entendons quelques détonations. Nous allons dans la chambre de nos FFI qui nous expliquent, avec un grand nombre de détails: 

  • quel est le plan d’attaque de la ville, 

  • les chefs de groupe, 

  • les armes dont disposent les hommes,

car il nous apparaît bien que ce sera aujourd’hui la bataille de Nogent-le-Rotrou!

Nous sortons en ville, quelques boches montent la rue de Sully. 

L’un d’eux maigre, sale, pas rasé depuis plusieurs jours, porte un brassard à croix rouge. Nous avons mis le nôtre, nous l’interpellons. 

C’est un dentiste de Vienne, il n’a rien d’un nazi et semble comprendre enfin le malheur dans lequel les Hitlériens ont jeté l’Autriche. Il a faim, monte à la boulangerie acheter un morceau de pain. Nous le faisons, rentrer à l’hôpital et lui offrons de le faire prisonnier, ce qui sera mieux pour lui. Il refuse, nous explique que les SS le rappelleront. 

Cette crainte, jointe peut-être au sentiment de son utilité pour les blessés qui vont tomber, lui font rejoindre le reste de sa troupe. 

Celle-ci paraît d’ailleurs dispersée et peu cohérente. 

Il y a encore des boches rue Gouverneur et rue Villette-Gâté, un FM au pied du socle de Deschanel. 

Nous rencontrons Pelletier qui, malgré sa blessure, a tenu à rejoindre ses camarades. Il remonte rue de Sully et nous dit que l’attente est imminente. Nous conseillons à quelques badauds de rentrer chez eux et nous regagnons l’hôpital. 

Ici, nous sommes prêts: les malades ont été descendus dans les caves sous les services de médecine, couchés sur des matelas. Ils sont dans une atmosphère bien humide mais à l’abri des bombardements et cela leur donne confiance. Nous les rassurons et les encourageons, leur guérison  viendra avec la Libération.

Le pavillon de chirurgie est vide, mais à la salle d’opération un matériel important a été concentré. Les lits sont prêts à recevoir nos blessés. Puissent-ils ne pas être trop abondamment remplis! 

Là, comme ailleurs, l’union de tous concourra à la grandeur de cette journée. 

L’économe est dans le coup depuis longtemps, il a toujours été l’utile complice de l’admission des Maquisards. 

Les sœurs sont prêtes à prodiguer leurs soins et communieront dans une même ferveur patriotique.

L’Abbé Maurenard restera avec nous toute la journée et sera un excellent élément de soutien moral et d’aide matérielle. 

Les infirmières travailleront vingt-quatre heures sur vingt-quatre n’ayant qu’un but « Servir ».

Mademoiselle Malvos, gaulliste de la première heure, attend avec une impatience toute personnelle. Cette journée qu’elle a grandement aidée à préparer. Elle sera toujours prête au travail le plus ingrat, à la mission la plus difficile.

Madame Frenay nous aidera également avec dévouement tout au long de cette journée, son activité lui fera paraître moins déchirant le bruit de chaque détonation qui retentira en sa poitrine comme un coup au cœur car son fils se bat et ce combat dans la ville pour la ville où l’on sent la présence presque contiguë des siens, à quelque chose d’unique.

C’est Nogent-le-Rotrou qui se bat, pour sa liberté. 

Ce sera Nogent-le-Rotrou qui sera libéré par lui-même. 

 

C’est qu’en effet, la bataille est déjà commencée. Vers neuf heures les coups de feu crépitent, d’abord du côté de la Cornillière et de Saint-Jean, puis la fusillade devint très vive du côté de la caserne et même rue  Gouverneur, elle éclate dans de multiples directions. 

Laporte, qui n’a pu rester au lit, rongé d’impatience et fou de n’être pas au côté de ses camarades, monte avec nous au grenier. 

De là, nous avons une vue d’ensemble sur la ville, le chaud soleil de ce mois d’Août darde ses rayons, les rues sont désertes, les volets clos.

De temps en temps, on aperçoit une ombre qui se glisse le long d’un mur et court à un coin de rue suivie d’une autre ombre. Nous reconnaissons à tour de rôle des Allemands et quelques-uns des « Nôtres ».

Tout au long de cette journée, Laporte vivra intensément le combat que mènent ses camarades, interprétant toujours avec confiance chaque  phase de la fusillade, chaque détonation. 

Au moment où l’évolution de la bataille sera douteuse, il nous persuadera toujours du succès final. 

Un tank arrive on ne sait d’où, monte rue de Sully et tire dans les maisons. L’évolution de ce char et le tir du canon nous donneront-ils des inquiétudes? 

Laporte interprétera toujours le coup comme une victoire des « Nôtres ».

L’éclatement qui retentit est celui du bazooka et Laporte de nous expliquer ce qu’est le bazooka: un long tube comme un tuyau de poêle qu’on porte sur l’épaule. Un camarade se tient derrière et agit sur le contact d’une pile qui déclenche le tout et «boum» … droit sur le char, cela fait un petit trou dans le blindage mais une grande explosion à l’intérieur et ça vous grille les occupants.

« Pauvre et Grand Laporte » belle figure du Maquis! 

Le lendemain il quittera l’hôpital sans nous demander de billet de sortie. Sautillant sur sa béquille, il prendra part à des opérations de reconnaissance et de nettoyage. Le 18 Août, il trouvera une mort glorieuse, dans une embuscade à Marboué. Ses camarades n’oublieront pas le souvenir de ce grand garçon brun, de vingt ans, dont l’enthousiasme et le patriotisme ont été jusqu’au sacrifice suprême.

La matinée se passe dans l’attente et dans l’angoisse. 

La fusillade crépite rue de Sully, le FM allemand qui est au pied du socle de Deschanel est redoutable et les regards indiscrets qui se montrent aux fenêtres, fussent-elles celles de l’hôpital, essuient des balles.

Vers midi, nous avons la joie de voir flotter le drapeau français sur le château Saint-Jean. 

 

C’est la première fois depuis quatre ans que nous voyons déployées à l’air libre nos trois couleurs. Honneur aux volontaires qui accomplirent cet exploit au péril de leur vie. Nul doute que le spectacle de cet emblème énerve les « fritz »  qui sont encore rue Villette-Gaté.

Par les jardins de Saint-Jean, quelques-uns de nos gars descendant rue Gouverneur, passent par l’hôpital où nous pouvons les rafraîchir. Nous avons le plaisir de voir Christian et Jean louis puis C… qui fait le coup de feu avec Martin, un « dur ».

Tous portent le brassard à croix de Lorraine qu’ils ont gardé religieusement jusqu’à ce jour. Ils ruissellent de sueur.

Tous sont confiants:  « Ça va être fini tout à l’heure, il n’y a que quelques boches à liquider! »

 

Chacun veut tuer son « fritz ».

Nous apprenons que Fonteix est tombé dans un pré de la Cornillière. 

Vers trois heures, Rhône vient avec deux hommes en exploration pour observer le FM de la place et les Allemands qui restent dans le café de la Comédie. Nous allons à pas feutrés dans l’église où l’abbé Maurenard guide ses invités. On hésite à tirer de l’intérieur de l’église et on renonce à cette solution: des représailles pourraient être néfastes à l’hôpital et on respectera jusqu’au bout ce qu’il est convenu d’appeler les « lois » de la guerre.

On apprend qu’un des nôtres est tombé en haut de l’avenue de la République, Mademoiselle Malvos ira le chercher avec Chevalier.

Ce blessé c’est Laga, qui a reçu une balle à la partie supérieure de la cuisse droite. Le projectile est passé à quelques centimètres de l’artère  fémorale: une chance!

Au même instant, arrive un blessé Allemand, amené par le dentiste de Vienne, que nous avons vu le matin. C’est un blessé grave, nous l’opérons immédiatement et nous lui enlevons le rein gauche qui est éclaté. Bien entendu, il exprimera des regrets sur la guerre, dont il reconnaît un peu tard les tristesses. C’est là l’image de tout Allemand qui, isolé et blessé, paraît repentant alors que de retour dans la masse allemande il reviendra un élément actif de la grande machine de guerre.

Quant à Laga, il est comme tous nos hommes, dans un état d’excitation extrême, il croit qu’il va mourir mais il est heureux d’avoir planté le drapeau sur le château Saint-Jean. Il craint que ce soit là sa dernière joie. En fait, il en aura, nous pensons, beaucoup d’autres et quittera l’hôpital dans les délais satisfaisants. 

Entre deux opérations, nous avons appris que « la situation diplomatique » était tendue, que l’officier Allemand qui est à la mairie, menaçait la population de représailles. En fait, le maire et le secrétaire de police viennent nous voir, ayant traversé la rue avec un drapeau blanc. Ils nous racontent qu’ils sont allés au PC de Duroc, avec Monsieur le Sous-Préfet et un Feldwebel Allemand pour demander de cesser le combat, les Allemands menaçant de prendre des otages:

« Pour un de mes hommes tués, je tuerai dix Français » aurait dit le boche.

« Nous tuerons vingt Allemands quand nous serons à Berlin » répond Duroc.

« Je vous donne deux heures pour quitter la ville » répond l’Allemand.

« Je vous donne dix minutes pour foutre le camp » répond Duroc.

Nous, dans notre hôpital, nous ne pouvons à cette heure prévoir l’évolution de la bataille et nous restons dans l’inquiétude.

Il ne nous est pas possible d’évaluer les forces en présence. 

Les FFI que nous avons vus nous disent toujours que c’est bientôt fini et que bientôt le dernier boche aura expié, mais nous ne pouvons en être aussi convaincus qu’eux. 

Entre seize heures et dix-sept heures c’est une accalmie, un grand calme même nous incite à douter. 

De qui est-ce la retraite? Nous ne pouvons le présager.

Vers dix-sept heures, une bruyante détonation retentit toute proche, nous sortons dans le jardin.

Un nuage de fumée et de poussière s’élève rue Gouverneur. 

Quel est l’immeuble qui a été touché? 

Puisse-t-il ne pas s’agir du PC des nôtres, qui est dans ce secteur?

Par qui ont-ils été trahis? 

N’ont-ils pas eu le temps de quitter cette maison?

Autant de questions angoissantes qui nous laissent dans l’incertitude.

Et puis quel est ce coup? C’est un coup de canon qui se répètera à espaces réguliers  tous les trois à quatre minutes.

Nous descendons dans les caves sous la médecine, par le trou de la serrure nous avons vu sur la rue Gouverneur, et nous apercevons un mortier que les boches manœuvrent  et mettent en batterie.

Dans les sous-sols, les malades commencent à avoir peur. Nous les rassurons au mieux. 

La Mère Supérieure a été dire à ces Messieurs, qu’ils étaient devant l’hôpital et qu’il ne fallait pas tirer. 

Espérons qu’ils respecteront les volontés de la bonne sœur.

En fait nous craignons le pire.

Malgré le bazooka de ce bon Laporte, nous avons peur que les Français ne puissent résister à cette contre-attaque,

contre des armes plus puissantes que celles dont ils disposent. 

Comment tout cela va-t-il se terminer? 

Et les Américains n’arrivent toujours pas!

Le canon continue à tirer et les obus arrivent maintenant dans la direction du château Saint-Jean.

Cependant le soleil se couche et la nuit approche, amenant avec elle l’obscurité qui empêchera toute continuation de la lutte.

Le silence se fait à nouveau et nous nous coucherons dans l’incertitude.

Avant de prendre quelque repos, on vient nous dire que les boches se retirent. 

Une maison flambe rue Bourg-le-Comte, nos pompiers luttent courageusement contre l’incendie.

A vingt-trois heures trente, deux employés vont avec l’abbé Meaurenard, chercher à la gendarmerie une blessée. 

C’est Mademoiselle de Vaux qui a été atteinte, quelques heures auparavant, d’une balle dans le genou alors que les FFI étaient chez elle et attaquaient l’obusier qui était alors dans la cour de la gendarmerie, et tirait sur la façade des maisons.

Mademoiselle de Vaux malgré sa douleur sera toujours courageuse et optimiste, ne proférant même pas une parole regret, elle semble offrir avec plaisir son sacrifice au Pays! 

Des mois après, elle sera amputée. Son courage n’aura pas failli un seul instant.

Que sera la nuit? Nous ne pouvons savoir si un bombardement de la ville ne sera pas encore possible. Les blessés eux-mêmes demandent qu’on les descende dans le sous-sol. On les descendra sur des brancards, ils passeront une nuit d’insomnie et de douleur malgré les calmants qui leur seront administrés.

L’annonce de la retraite des Allemands nous permettra de ronfler quelques heures et d’attendre le lendemain.

Quel lendemain magnifique!

Le jour se lève et nous apprenons que la Libération est bien acquise, les Allemands sont partis.

Les NÔTRES  sont maîtres de la ville! 

Le drapeau Français flotte sur la mairie.

Mais nous ne devons pas nous abandonner à la joie de la délivrance, il nous reste encore beaucoup à faire.

Le poste de secours a été organisé à la ferme du bois de l’aumône. 

On enfourche le vélomoteur, la fidèle Mademoiselle Malvos monte en croupe, on  passe en quinconce les mines placées rue de Sully et en haut de la côte. Nous retrouvons avec émotion Robert qui a été le courageux médecin du « corps franc ». Il nous présente ses blessés qui sont installés dans la ferme transformée en infirmerie.

Nous redescendons aussitôt pour organise le transport qui ne pourra se faire qu’à pied à cause des mines.

Grâce à l’activité de tous, les plus graves blessures seront vite opérées.

Madame Renard qui a, la veille, courageusement transformé sa maison en poste de secours, s’est jointe à nous pour prodiguer ses soins. 

Elle ira même jusqu’à donner son sang pour un blessé qu’elle aura la joie d’aider à sauver.

A la fin de la matinée, nous pourrons descendre un peu en ville respirer cet air de victoire et de Libération. 

On croirait qu’un surplus d’oxygène a empli l’atmosphère. 

L’étau qui nous resserrait a disparu et vraiment maintenant on respire mieux.

On serre avec joie les mains amies. 

On a envie de crier et on crie:  « Il y a encore en France des Français ! ».

Quel magnifique sursaut pour un pays que d’aucun vouait à un esclavage définitif!

Dans les jours qui suivirent, il y eu encore bien des plaies à panser, bien des interventions à faire. La chirurgie ne perdit pas ses droits. 

Une cinquantaine de victimes (souvent des civils) blessés au cours des opérations de nettoyage, durent être hospitalisées. Toutes s’en tireront et dans l’ensemble les pertes furent très légères. Si légères fussent-elles, n’oublions pas ceux qui restent infirmes ou mutilés à la suite des combats.

Non, amis, n’oublions jamais ces journées de lutte héroïque qui menèrent à la délivrance. 

N’oublions pas ceux qui tomberont pour la Libération de notre petite cité. Restons unis dans l’avenir comme nous l’étions derrière leur cercueil.

C’est en travaillant dans la paix, avec l’esprit d’union et de sacrifice qui animait la Résistance que tous ensemble, nos prisonniers retrouvés, nous referons la grandeur de la France.

A Nogent-le-Rotrou : Un Coin de la rue Gouverneur
Par André Duclot alias Belleau

  • Maurice Clavel alias Sinclair, Commandant FFI d’Eure-et-Loir

  • Gabriel Herbelin alias Duroc, Capitaine Duroc

  • Jean Stiesz alias Sixte, Aspirant Sixte, Chef du Groupe Corps Franc

  • André Duclot alias Belleau, Aspirant Duclot, Groupe Corps Franc

  • Jacques Coutard, Groupe Corps Franc

  • Maurice Chèvre alias Ervech, Groupe Corps Franc

  • Robert Branchard dit Bob, Groupe Corps Franc

  • René Grignon alias Loupiot, Sergent Loupiot, Chef de l’Equipe 1 dans le Groupe II

  • Robert Tapie, Chirurgien-Dentiste, Médecin auxiliaire au Maquis

 

FM = Fusil Mitrailleur

PC = Poste de Commandement

Feldwebel = Grade de l'armée allemande correspondant à celui d'adjudant

 

11 août 1944: Une magnifique journée ensoleillée s’annonce, entre tant d’autres semblables. Une de ces journées qui incitent à paresser délicieusement au soleil. Il est si agréable d’offrir ses membres nus aux délicieuses caresses de l’astre qui embellit toutes choses. Ou bien encore de rechercher les frais ombrages pour s’oublier dans la lecture d’un livre intéressant… L’une et l’autre solution de facilité que tant de gens trop indifférents aux événements graves que la France va vivre, acceptent volontiers.

Et bien non! Ce 11 Août 1944 n’est pas un jour semblable aux autres.

Grâce à une poignée de Français énergiques et courageux, qui ont voulu secouer le joug allemand, qui ont voulu faciliter la tâche des groupes alliées, qui ont voulu prouver au monde qu’il y avait encore une vraie France et des Français capables de dire « non » à la vie, pourvu que leur sacrifice permette à la France éternelle de substituer dans la dignité et l’honneur, ce 11 Août 1944, disons-nous, deviendra grâce à eux, une journée glorieuse, une journée historique.

 

Vers neuf heures, l’attaque de Nogent-le-Rotrou commence, des imprévus étant venu retarder « l’heure H ».

Presque immédiatement une partie de la rue Gouverneur est occupée par les nôtres…

Le numéro 41 de la rue Gouverneur devient le PC du commandant Sinclair et du Capitaine Duroc.

C’est là que les agents de liaison viendront, toute la journée, apporter les bonnes et les mauvaises nouvelles.

Vers quinze heures, le corps franc, entrainé par Sixte et Belleau, reçoit l’ordre de se reposer une heure pour être en bonne forme afin d’attaquer le café de la Comédie où se trouve un noyau de résistance jusqu’alors irréductible.

A ce moment, l’atmosphère qui règne au PC est bien celle des jours de bataille. Les FM sont braqués et tirent des rafales d’interdiction. 

Les hommes, armés de fusils ou de mitraillettes, sont tous à leur poste.

Les plus sûrs portent des grenades fixés à leur ceinture. Presque tous se battent depuis le matin sans avoir eu le temps ni la possibilité de manger. Mais qu’importe. Les traits de leur visage sont tirés. 

Leurs vêtements sont en loques. 

Mais ces dignes successeurs des soldats de 1893 ont délibérément fait le sacrifice de leur vie. L’air leur semble léger. Ça sent bon la poudre. 

Ici un cadavre allemand, là un blessé également allemand reçut les premiers soins en attendant l’évacuation.

Plus loin, un prisonnier, un prisonnier sous bonne garde, visiblement effaré à l’idée que ces « Terroristes » vont certainement lui réserver un sort affreux.

Mais non, pauvre boche. Tu t’es, une fois de plus, laissé « bourrer le crâne ». Les Français respectent, eux, les lois de la guerre. Il ne te sera fait aucun mal. 

Partout branle-bas de combat. Allées et venues.

Enervement des grands jours… Quels beaux souvenirs…

 

Donc, le Corps Franc, doit aller se reposer quelque peu.

A peine les hommes sont-ils en train de se désharnacher qu’on vient leur donner l’ordre de descendre immédiatement en tenue de combat.

On attend, d’un instant à l’autre un parlementaire Allemand accompagné du Sous-Préfet, du Maire et d’un interprète. Il faut montrer à notre ennemi que nous sommes une troupe régulière. 

Tout le monde est groupé et lorsque les parlementaires font leur apparition avec le drapeau blanc, les armes leur sont présentées de façon impeccable. Nous avons d’ailleurs su plus tard que le Feldwebel avait été fort impressionné par la tenue et la discipline de notre troupe.

Un conciliabule s’engage duquel il ne résulte rien, si ce n’est que l’ennemi peut à loisir examiner nos positions. Il nous en cuira plus tard. Nous permettons l’enlèvement du blessé allemand.

Non, Monsieur le Feldwebel, voici quatre ans que nous attendons ce moment de pouvoir enfin entrer en lutte ouverte contre vous.

Nous n’allons tout de même pas nous avouer vaincu alors que quelques heures plus tard Nogent-le-Rotrou sera entièrement et définitivement entre nos mains.

De quoi aurait servi le sacrifice de nos morts et de nos blessés?

Une heure et demie se passe dans un calme relatif.

Tout à coup, le canon gronde. 

Nous entendons les obus siffler au-dessus de nos têtes.

L’objectif est le château.

Le drapeau qui déploie joyeusement ses trois couleurs au sommet du donjon, doit mettre nos ennemis dans une fureur noire. 

Pourtant, malgré toutes leurs rafales, notre étendard restera élevé…

Puis l’objectif change. C’est maintenant notre PC qui est visé. 

L’affaire devient plus grave. 

Nous sommes obligés de retirer notre FM.

Fort heureusement, car les endroits précis où ils se trouvaient sont visés avec justesse.

Il faut absolument imposer silence à cette bouche à feu qui se trouve en haut de l’avenue de la République.

Un Corps Franc auquel s’adjoignent deux hommes, est chargé d’aller attaquer la pièce d’artillerie au bazooka. Un autre se chargera d’un autre secteur. Les hommes remontent le petit chemin creux qui aboutit aux Guillères et se mettent en mesure de descendre prudemment par les champs. 

Les Corps Francs se trouvent dans le jardin de la maison de Mademoiselle de Vaux, face à la gendarmerie. 

Il faut redoubler de prudence car l’ennemi s’est peut-être déjà emparé de cette position. 

Apparemment il n’en est rien.

Heureusement Belleau connaît les aîtres. Il charge Jacques de surveiller et de défendre l’entrée de la porte donnant sur la rue.

Bien lui en a pris, car à peine les camarades étaient-ils entrés dans la maison que la porte était enfoncée. Coups de feu de part et d’autre.

Jacques est plus heureux ou plus adroit que l’attaquant et l’abat.

Malheureusement, à ce moment précis, la propriétaire traverse la cour pour se rendre à son abri et est grièvement blessée par une balle allemande.

Qu’il nous soit permis ici de rendre hommage au courage et à la haute tenue morale de Mademoiselle de Vaux, qui a subi l’amputation de sa jambe.

La blessée se trouve encore en traitement à la clinique du Docteur Boutron et pas une fois, malgré ses souffrances, elle n’a laissé échapper une plainte ou un regret. 

Bravo Mademoiselle de Vaux, vous êtes une grande et vraie Française!

Si Jacques n’avait pas été placé en sentinelle, nous étions pris dans la maison comme dans une souricière et abattus à la grenade.

Pendant ce temps, Sixte se dirige vers une fenêtre aux volets clos pour asperger les « fritz » de grenades. 

Maurice en occupe une autre avec Robert, tous les deux sont chargés du bazooka. 

A une troisième, Belleau. 

Les autres se dispersent aux autres ouvertures.

Mais l’échange de coups de feu entre Jacques et son ennemi direct a donné l’éveil.  

Le canon dirige immédiatement son tir contre les fenêtres d’où partent coups de mitraillettes et grenades.

Un obus de plein fouet vient frapper la fenêtre où se trouve Sixte. Par miracle il échappe à la mort.

Quelques secondes après, alors qu’il venait de lâcher une grenade,

Belleau qui s’amusait fort à voir l’affolement des Allemands qui ne savaient où se réfugier, reçoit à son tour un obus trente centimètres

au-dessus de la tête. Abruti, couvert de gravats et de bris de vitres, aveuglé, il se retire de l’ouverture béante.

Un troisième obus vient frapper l’autre huis.

Dans son repli, Belleau heurte du pied quelque chose de mou qui, il le sut plus tard, était un camarade grièvement blessé par une multitude d’éclats. 

La position devient intenable. Il faut se replier. Mais les boches ont pénétré dans les jardins mitoyens et nous mitraillent à volonté, sans être vus. Maurice tombe à nos côtés, une rafale de mitraillette dans la cuisse. Le pauvre vieux en aura pour neuf mois dont six à l’hôpital. 

Un détail amusant, tant il est vrai que dans toute chose il y a toujours un côté humoristique. 

Au moment de passer la haie, Loupiot dit à Belleau en lui passant une grenade: « Tiens fais attention, elle est dégoupillée ». 

Le brave garçon (nous pouvons dire le garçon brave, il l’a prouvé souvent) ne sachant que faire de ce projectile prêt à être utilisé, a probablement pensé que son « ancien » s’en arrangerait  mieux que lui. Il lui fallut donc tout tranquillement la désamorcer, après avoir traversé la haie toutefois, car le secteur était malsain. Il était encore plus sage de passer l’obstacle avec ce joujou dangereux dans la main, que de rester comme cible vivante…

Sixte et Belleau regroupèrent leurs éléments et rejoignirent le Commandant, tous étonnés de se retrouver en entier…

Peu de temps après, un grand calme s’établissait dans la ville. 

Nous venions de subir le dernier sursaut de l’armée Allemande en déroute. Mais l’échauffourée avait été rude.

Attaque de Nogent-le-Rotrou : Secteur de Sully
Par Jean Renauldon alias Rhône

  • Jean Renauldon alias Rhône, Lieutenant Rhône

  • Charles Auguste Donnet alias Charlot, Groupe Corps Franc

  • Maurice Chèvre alias  Ervech, Groupe Corps Franc

  • Pierre Genet, Chef de l’Equipe 3 dans le Groupe I

  • Guislain Roche alias William, Aspirant William, Chef de Groupe II

  • René Grignon alias Loupiot, Sergent Loupiot, Chef de l’Equipe 1 dans le Groupe II

  • Robert Verdier alias Bébert, Equipe 1 dans le Groupe II

  • Octave LeMatte alias Tatave, Equipe 1 dans le Groupe II

  • Pierre Larreture, Chef de l’Equipe 2 dans le Groupe II

  • Christian de Bonneval, Chef de l’Equipe 3 dans le Groupe II

  • Denis Béalet, Equipe 3 dans le Groupe II

  • Emile Cado alias Milo, Equipe 3 dans le Groupe II

  • Lucien Egger, Chef du groupe IV

  • Paul Fraipont, alias Popaul, Chef de l’Equipe 3 dans le Groupe IV

  • Robert Fonteix, Groupe IV

  • André de la Gatinais alias Laga, Adjudant FFI

  • Robert Tapie, Chirurgien-Dentiste, Médecin auxiliaire au Maquis

  • Richardeau, Infirmier dans l’équipe sanitaire 

 

FM = Fusil Mitrailleur

FFI = Forces Françaises de l’intérieur

 

11 Août 1944: Le deuxième groupe commandé par William a pour mission:

  • d’occuper le carrefour de la Cornillière, pour y empêcher toute circulation ennemie,

  • détruire le FM allemand qui assure la protection des soldats chargés de poser des mines en face du Café Durand,

  • s’emparer du carrefour de la statue Paul Deschanel.

 

Départ des bois de Perchet, à huit heures quarante-cinq. Les premiers coups de feu ne doivent être tirés qu’à neuf heures quinze.

Le travail est réparti en trois équipes:

  • La première  équipe, celle de Pierre, a pour objectif la Cornillière. Elle y arrive sans incidents.

  • La deuxième équipe, celle de Loupiot, doit détruire le FM et empêcher la pose de mines. Elle se déplace le long du Val-Roquet, pour prendre à revers la position de l’ennemi.

  • La troisième équipe, celle de Christian, se tient en renfort pour mener à bien l’opération.

 

La deuxième équipe, progresse par la colline à travers les jardins et s’approche du Café Durand. L’objectif est bientôt atteint quand des coups de feu, tirés plus haut, probablement sur le terrain de manœuvres, donnent l’éveil aux boches, et viennent compromettre

la réussite de l’entreprise.

Les boches se retranchent dans le café et tirent au FM sur les camarades qui s’apprêtaient à rentrer dans l’écurie.

Tous, sauf Loupiot et Bébert, réussissent à se retrancher dans un jardin entouré de murs. Les boches tirent de nouvelles rafales et balancent des grenades. Loupiot et Bébert restent cachés au pied de l’écurie et sont là en très mauvaise posture,

puisque le FM allemand tire juste au-dessus d’eux.

Milo redescend par le Val-Roquet pour atteindre la troisième équipe, afin de tirer les deux camarades de cette situation critique. 

Mais Christian s’était déjà placé. 

Milo arrive à la Cornillière et explique la situation. Il propose de contourner les boches en traversant la route et les prendre à revers

par la caserne. 

Pierre et Robert disent à Milo de repartir par le terrain de manœuvres pour demander du renfort et ensuite retrouver William, à tout prix.

William ayant vu le danger, avait déjà, avec quelques éléments de réserve, amorcé la manœuvre pour contourner les Allemands.

En même temps, à la Cornillière, deux estafettes motocyclistes allemandes surgissent, venant de la route de Thiron. 

Histoire sans bavures! 

Rafale du FM de Lucien, sans compter les décharges des mitraillettes et revolvers. Les deux boches tombent morts dans le fossé.

Pendant ce temps, plus bas, William et Christian accompagnés de Denis et Popaul, réussissent leur mouvement tournant en pénétrant dans la caserne qu’ils traversent et arrivent ainsi sur la hauteur dominant la route. 

Ils aperçoivent deux Allemands contre le mur du Café Durand.

Ils tirent aussitôt. Les boches se protègent derrière les murs et envoient des grenades. Nos camarades se replient à l’intérieur de la caserne. William décide d’aller chercher du renfort sur le champ de manœuvres mais rencontre Milo qui lui explique en détail la situation. 

Repli de l’équipe Loupiot, à travers les jardins jusqu’au Val-Roquet et la situation périlleuse de Loupiot et Bébert qui n’avaient pu bouger.

William décide alors de les sauver coûte que coûte et descend avec Milo, Christian, Denis et Charlot (du Corps Franc donné en renfort) directement par le chemin de la caserne. 

Les camarades prêts à la bagarre assistaient alors heureux à la fin du cauchemar de Loupiot et Bébert, puisque les Allemands après avoir lancé leurs grenades, venaient de se replier plus bas dans la rue de Sully.

 

Ici, après tant d’émotions, une petite note gaie. 

Loupiot et Bébert, apparaissent avec des visages boursouflés. Les pauvres garçons avaient dû rester pendant une heure

à côté des ruches du Café Durand et supporter les piqûres des abeilles furieuses.

Pendant toutes ces opérations, le deuxième groupe assistait impuissant à la sauvagerie des boches qui s’acharnaient avec leur FM

sur un homme blessé dans le haut de la colline, de l’autre côté du Val-Roquet. 

Il se débattait mais à chaque fois, une rafale venait essayer de l’achever. Robert descendu du poste de secours de la Cornillière,

essaya vainement, d’atteindre le blessé qui se trouvait trop à découvert. 

Nous saurons plus tard qu’il s’agissait de notre camarade Robert Fonteix, du quatrième groupe, mort bravement au champ d’honneur. 

Le carrefour du Café Durand est donc nettoyé.

Les équipes un et trois du deuxième groupe s’apprêtent à descendre la rue de Sully. Robert, impuissant à relever Fonteix, descend à la tête de ses camarades et essaie d’atteindre avec eux son objectif: l’hôpital.

Mais après avoir traversé la place du Marché-aux-Cochons, William et ses hommes sont stoppés par le FM allemand qui s’est posté devant la porte principale de l’hôpital.

Le FM sera installé, quelques instants plus tard, à l’intérieur du Café de la Comédie et tirera ses rafales d’une fenêtre, interdisant l’approche du carrefour Paul-Deschanel.

Le FM de Loupiot est installé dans le jardin de Monsieur Cado, interdisant aux Allemands l’approche de la place

du Marché-aux-Cochons. 

Les choses en reste là pendant longtemps. 

Octave est envoyé à l’hôpital, crée un poste de secours au Château Saint-Jean, où il sera aidé par Madame Renard.

Les blessés venant de différents secteurs, seront soignés là durant tout l’après-midi. Certains pourront être évacués sur Chartres,

grâce à la sanitaire du Médecin-Commandant Couillard, conduite par Mademoiselle Seurre. Et ce, en plein chez l’ennemi.

La providence nous avait déjà envoyé cette sanitaire au Maquis, le mercredi 9 Août, pour permettre l’évacuation par Robert et Mademoiselle Seurre, de six blessés sur le service chirurgical du Docteur Boutron à Nogent-le-Rotrou.

Robert gardera en réserve son poste de secours de la Cornillière (ferme de Madame Larsonneau) qui fonctionnera le soir à partir

de vingt-deux heures trente.

Du Château de Saint-Jean, l’évacuation des blessés sur cette ferme à travers champs, fut pénible. 

Félicitons ici les brancardiers bénévoles que nous ne pourrons malheureusement citer.

L’évacuation se poursuivra tard dans la nuit.

La ferme de Madame Larsonneau fut transformée en Hôpital. Notons le dévouement de cette dame et de sa fille, qui ne surent que faire pour se rendre utiles, sans tenir compte du risque qu’elles couraient en recevant chez elles des soldats de la Résistance. 

Robert trouva en Richardeau un auxiliaire précieux. Celui-ci ayant eu son « caducée » dans l’armée, dispensa avec dévouement

ses connaissances d’infirmier.

Rendons ici hommage au courage des blessés, qui prirent leur mal en patience et qui, pas une fois ne se sont plaints de leur sort. 

N’est-ce pas Maurice Chèvre, toi qui souffrais tant? 

Et Fraipont, qui ne pensait même pas à tes blessures et qui pleurait parce qu’à ton gré tu n’avais pas tué assez de boches?

Les pansements et les piqures furent terminés à deux heures du matin.

Les blessés furent étendus dans de bons lits.

Signalons le dévouement de Mademoiselle Malvos qui, au risque de sa vie, alla relever en pleine bataille, Laga, tombé gravement blessé avenue de la République, pour le ramener à l’hôpital.

Le lendemain matin, elle arrivait à la ferme avec le Docteur Boutron.

Quelques instants plus tard, les blessés purent être descendus à l’hôpital.

 

La libération de Nogent-le-Rotrou étant réalisée, une partie du groupe II et le Groupe Corps Franc fonce à La Loupe sur les ordres

de Rhône et Sixte.

Trois jours après La Libération de Nogent-le-Rotrou par les FFI d’Eure-et-Loir Ouest, les chars Américains pénètrent dans la ville.

De la libération de Nogent-le-Rotrou au Départ pour Paris

- PARTIE 2 -
Témoignages "au fil du temps"

Dans cette seconde série, vous lirez des témoignages écrits, recueillis et rassemblés beaucoup plus tard. Ces récits sont le reflet d’une tranche de vie qui marqua profondément nos Résistants devenus Maquisards.

Au-delà de leur côté aventureux c’est une trace et un exemple de l’engagement qu’ils laissent aux générations futures. 

 

Des souvenirs exaltants ou douloureux que ces derniers vétérans ont écrits en s’investissant dans le devoir de mémoire, souvent à la demande de leurs enfants ou petits-enfants:

Mémoire d’histoires vécues, d’histoires d’hommes. Ces récits, émaillés d’anecdotes qu’on ne trouve pas dans les livres, sont de ceux qui ont fait l’Histoire, celle qui s’écrit avec un H majuscule.

Des décennies se sont écoulées depuis … Le temps a passé, ce temps qui gomme la mémoire. 

 

Combien de « fous magnifiques » ainsi qu’Edmond Michelet se définissait lui-même parmi les premiers compagnons du Général de Gaulle, ont disparu avec leurs cohortes de joies et de peines dans la liberté retrouvée?

 

Ces jours, faits de souffrance et d’espoir n’appellent-ils pas en exégèse que:

« Aussi longtemps que l’humanité trouvera des êtres d’exception, volontaires et chevaleresques, pour défendre la liberté au prix du sacrifice ultime, le monde gardera un certain espoir de lendemains qui chantent. » Charles Demoulin

(livre autobiographique Mes oiseaux de feux).

Témoignagnes "au fil du temps"

La Résistance dans la Région Loupéenne et la Création du Maquis de Plainville
Par René Grignon alias Loupiot

  • Maurice Clavel alias Sinclair, Commandant Sinclair

  • Gabriel Herbelin alias Duroc, Capitaine Duroc

  • Jean Renauldon alias Rhône, Lieutenant Rhône

  • Jean Stiesz alias Sixte, Aspirant Sixte, Chef du Groupe Corps Franc

  • René Grignon alias Loupiot, Sergent Loupiot, Groupe Corps Franc

  • André Duclot alias Belleau, Aspirant Duclot, Groupe Corps Franc

  • Jacques Coutard, Groupe Corps Franc

  • Edgar Eugène Cahour alias Létang, Sous-Lieutenant Létang, Chef du Groupe I

  • Guislain Roche alias William, Aspirant William, Chef de Groupe II

  • Edmond Leduc, Equipe 3 dans le Groupe II

  • Georges Dutertre, Equipe 3 dans le Groupe II

  • Georges Duchateau alias Ducastel, Adjudant Ducastel, Chef du Groupe III

  • Lucien Egger, Chef du Groupe IV

  • André Gagnon alias Legrand, responsable du BOA

  • Robert Tapie, Chirurgien-Dentiste, Médecin auxiliaire au Maquis

  • Docteur Boutron, Chirurgien à L’hôpital de Nogent-le-Rotrou

  • Docteur Girault de Thiron-Gardais

  • Paule Malvos, Assistante Sociale, Infirmière au Maquis

  • René Langlois, Secrétaire de Mairie de Fontaine Simon

  • Ernest Pavé, maire de Frétigny, chef de groupe de Frétigny

  • René Dufour alias Duvivier, Chef des services Vétérinaires d’Eure-et-Loir

  • Edouard Coutard, Maire-adjoint de La Loupe

  • Albert Richard, alias Bertaut, Doyen du Maquis 

  • Emile Maquaire père et ses fils Emile et Roger

  • Pierre Sergent, imprimeur de la résistance (laissez-passer, cartes de ravitaillement…)

  • André Pouplard et Michel Latouche travaillent avec Pierre Sergent 

  • Omer Grignon, Chef des Pompiers de La Loupe

  • Antoine de Layre, Lieutenant de Réserve, Maquis de Beaumont-les-Autels

  • Pierre Poitevin alias Bichat

  • Roland Manson

  • Maurice Taillandier

  • Raymond Dutertre, Résistant à La Loupe

  • Yves Lefèvre, Maquis des Crottes puis engagement dans l’aviation à Chartres

  • Roger Lefèvre, Equipe de réserve de La Loupe 

 

STO = Service du Travail Obligatoire pendant WWII

BOA = Bureau des Opérations Aériennes

FFI = Forces Françaises de l’intérieur

PG = Prisonniers de Guerre 

SS = SchutzStaffel = Organisation paramilitaire et policière nazie fondée en 1925

Gestapo = Police politique de l'Allemagne nazie entre 1933-1945

 

C’est incontestablement sous l’action du Docteur Vétérinaire Jean Renauldon que naquit, dès le début de l’occupation et après la démobilisation de ce dernier, le premier groupe de Résistance de la région. 

Très peu nombreux, ces Résistants devaient constituer le noyau de ce qui devint un des groupes très actif du Maquis de Plainville. 

Dès le début de 1941, Rhône s’opposa à la réquisition des chevaux de ses clients (ou non), cultivateurs, en leur pratiquant souvent des piqures inoffensives mais qui les rendaient inaptes au travail. 

Le Docteur Dufour, chef des services vétérinaires, (qui devait par la suite devenir un des responsables de Libé-Nord) lui donna tout son appui dans cette lutte contre l’occupant. Faux certificats, abattages clandestins à la barbe de l’occupant furent toujours couverts

par Jean Renauldon et son épouse Suzanne.

Début 1943, le STO va faire redoubler d'activité les Résistants Loupéens pourtant peu nombreux. Avec la complicité de nombreux cultivateurs, des jeunes gens sont placés dans les fermes et mis à l’abri d’un éventuel départ. 

Des commerçants acceptent de délivrer des denrées de première nécessité grâce à des complicités dans les mairies de La Loupe, Fontaine-Simon et Belhomert. De fausses cartes d'identité peuvent être établies. Dans l’attente d’autres actions visant à procurer des cartes de ravitaillement vraies mais aussi fausses, de nombreux réfractaires sont à l’abri d'un départ chez l’ennemi. 

Jean Renauldon contacte des Nogentais dont André Duclot qui sera le responsable avec Albert Richard, Paule Malvos et le Docteur Boutron dont les actions consisteront elles aussi à protéger les réfractaires, à constituer des stocks de nourriture dans le but de constituer un futur Maquis. 

La destruction de la signalisation routière de l’armée occupante commence également dans la région Loupéenne. 

En se déplaçant à bicyclette, voire à pied, et de nuit les Résistants en empruntant des chemins ruraux aboutissent à des carrefours importants pour la circulation des convois ennemis, arrachent les panneaux ou les intervertissent provoquant des changements de direction imprévus pour les convois.

En Juillet 1943, arrive chez Jean Renauldon un élève de l’Ecole Vétérinaire d’Alfort, Jean Stiesz qui viendra à La Loupe pour se soustraire au STO mais aussi à la curiosité de la Gestapo. 

Jean Stiesz, dont la famille habite dans l’Yonne est déjà en relation avec le « réseau Jean-Marie » dirigé par le Docteur Vétérinaire Argoult qui peut lui procurer quelques armes. 

En effet, il n’était pas acceptable pour ce jeune homme de mettre sa famille en danger, c’est la raison pour laquelle il partit, loin du domicile de ses parents, à La Loupe en Eure-et-Loir.

La personne « précieuse » pour tous ces jeunes étudiants en âge du STO, c’est l’Abbé Georges Le Meur, Vicaire de Sainte Agnès de Maison Alfort et Aumônier du Cercle Catholique de l’Ecole Vétérinaire (l’église est face à l’école). Il a pu grâce à toutes ses relations et connaissances sur le territoire français, placer tous ces jeunes avec de fausses cartes d’identité comme « Vétérinaires de Campagne ». 

Lui-même Résistant, il a pu diriger certains de ces étudiants vers des Vétérinaires établis et Résistants. 

L’Abbé est un Résistant Déporté (à cause du sacristain de Sainte Agnès qui l’avait dénoncé!) et Evadé: Il a fait s’évader d’un wagon en partance pour l’Allemagne tous les occupants de ce wagon sans être pris.

Il a été  fait Chevalier de la Légion d’Honneur, a reçu la Croix de Guerre et la Médaille des Evadés. Il est mort tragiquement en Août 1955.

Ses amis reconnaissants, lui ont érigé une plaque commémorative à l’Eglise Sainte Agnès.

C’est ainsi que Jean Stiesz arrive à La Loupe chez les amis de l’Abbé, les Renauldon. Il n’arrive pas les mains vides, le «réseau Jean-Marie» lui a remis deux valises remplies d’armes et de munitions. Il partira de l’Yonne en transitant par Paris, pour arriver à La Loupe à la barbe de l’ennemi, avec ces valises!  A l’époque c’est un véritable acte d’héroïsme. 

Ces armes serviront pour l’instant à des actions de récupération de cartes d’alimentation dans les mairies de La Loupe et Fontaine-Simon (pour les groupes du canton de La Loupe).

René Langlois le secrétaire de mairie de Fontaine Simon qui est aussi l’instituteur, est complice et se laisse attacher sur une chaise pendant plusieurs heures. René devait trouver une mort glorieuse dans les combats de La Libération.

Ces cartes de ravitaillement sont naturellement destinées aux réfractaires. 

Les jeunes patriotes non encore en liaison avec le groupe Loupéen, imprimeront des tracts au « patronage » et les distribueront dans les boîtes aux lettres: Pierre, André, Michel seront ces Résistants.

Les mairies de Manou et de Nocé dans l’Orne sont aussi cambriolées dans les mêmes conditions, mais du cambriolage de la mairie de Nocé devait découler « un contact ».  

Gabriel Herbelin, délégué de Libé-Nord pour le secteur Ouest d’Eure-et-Loir devait se présenter à André Duclot et lui demander de fusionner ce qui en fait était le but et le désir des petits groupes isolés. 

Duroc avait des hommes à Nogent-le-Rotrou, à Thiron-Gardais, et à Dreux. 

Renauldon donne bien entendu son accord à ce regroupement et peut prendre enfin contact avec Poitevin responsable de Libé-Nord et André Gagnon responsable du BOA.

Legrand prend également contact avec Edouard Coutard  et Omer Grignon (garagiste et père de René) à La Loupe. 

Des opérateurs radio parachutés de Londres seront par la suite hébergés et protégés chez Renauldon, ses parents à Senonches, Madame Grégoire sa belle-soeur, Monsieur et Madame Lefèvre à « l’hôtel du Chêne Doré » d’où ils pourront émettre pour le BOA et l’Intelligence Service. 

Les responsables de la Croix-Rouge et du Comité d'Assistance aux PG Annette Petit-Jouvet et son mari Casimir hébergeront les Résistants, avec l’aide d’un ancien aviateur de la guerre 1914-1918, André Pichard. Ils feront traverser à Tours la ligne de démarcation à des PG évadés.

Yves Lefèvre du Chêne Doré, son frère Roger et Jacques Coutard  sont déjà depuis plusieurs mois de précieux auxiliaires.  

Des aviateurs alliés sont récupérés à Nocé et hébergés par Duclot et Robert Tapie.

Puis début 1944, Maurice Clavel est nommé par Marc O’Neill comme chef départemental FFI d’Eure-et-Loir et commence à pourvoir les groupes en armes et explosifs par le BOA de Legrand. 

Des pylônes de haute tension sont détruits près de La Loupe, des patriotes évadés hébergés en lieu sûr, des crève-pneus répandus sur les artères comme la Nationale 23, par les patriotes de La Loupe et Nogent-le-Rotrou dont Jacques, Raymond, Georges, Roland , Edmond, Maurice.

Les groupes ont augmenté leurs effectifs, ils écoutent Londres et savent que le débarquement est proche. 

 

Le 6 juin 1944 … Renauldon donne immédiatement l’ordre au groupe de La Loupe de rejoindre un lieu repéré depuis longtemps: "Les Crottes", commune de Frétigny.

Là, le groupe s’organise militairement en deux sections d’une dizaine d’hommes et il est décidé que par mesure de précautions, les opérations contre l’ennemi ne devront pas se faire dans une région de plus de quinze kilomètres.  

Avec le concours du groupe Herbelin, un convoi est pourtant attaqué sur la route de Nogent-le-Rotrou à Bellême et chaque nuit les Maquisards font de nombreux kilomètres à pied et rentrent harassés après la pose de crève-pneus et la destruction de la signalisation. 

 

 Le 17 juin au soir, un violent bombardement sur La Loupe fait que la quasi-totalité des Loupéens quittent "Les Crottes" pour s’enquérir des leurs, dont certains auront disparu.

Un Maquisard Nord-Africain profite du désarroi pour s’enfuir avec les papiers des patriotes restants. Ceux-ci jugent prudent d’abandonner les lieux après avoir mis armes et munitions en lieu sûr et se réfugient près de Dancé où ils devaient récupérer quatre aviateurs alliés. 

Puis Herbelin avec l’aide de Pavé (chef de groupe de Frétigny), de Maquaire et ses fils (de La Hurie) et de Létang (de Thiron) qui avaient connaissance d’un lieu idéal pour le regroupement des différents groupes en un important Maquis.

Ils décident le rassemblement de tous les groupes au lieu-dit de Plainville situé sur la commune de Marolles-les-Buis. 

C’est une ancienne carrière de calcaire à flanc de coteau boisé, de profondes galeries serviront à entreposer armes et munitions et à l’entraînement des armes automatiques FM et mitraillettes car le bruit provoqué par les armes ne s’entend pas à l’extérieur. 

Une ferme à Saint-Hilaire-des-Noyers, exploitée par André Guyot et sa famille servira d’infirmerie mais aussi de « popote ». 

Ce vrai patriote qu’est André risquera sa vie, celle des siens et de son patrimoine jusqu’à La Libération.

Une petite chapelle, la « Chapelle Saint-Hilaire-des Noyers » située près du hameau recevait croyants et non croyants,

l’Abbé Jaguin disait la messe le dimanche. 

Au fur et à mesure de l’arrivée des Maquisards, des abris en branchages étaient construits. Comme ils n’étaient pas étanches, des  maquisards menés par Henri « empruntèrent » les bâches d’un bal monté inactif en ce temps de guerre repérées dans une commune voisine. La paille bien entendu servait de lit. 

A la fin du mois de juin, le Maquis de Plainville était opérationnel, il est constitué de cinq groupes représentant la valeur d’une compagnie d’Infanterie:

  • un groupe Corps Franc de sept hommes, 

  • et quatre groupes, chaque groupe étant constitué de trois équipes de 8 gars.

 

L’ensemble sous le commandement de:

  • Gabriel Herbelin alias Duroc, Capitaine  Duroc

  • Jean Renauldon, alias Rhône, Lieutenant Rhône 

  • Jean Stiesz alias Sixte, Aspirant Sixte, Chef du Groupe Corps Franc

  • Edgard Eugène Cahour alias Létang, Sous-Lieutenant Létang, Chef du Groupe I

  • Guislain Roche alias William, Aspirant William, Chef de Groupe II

  • Georges Duchateau alias Ducastel, Adjudant Ducastel, Chef du Groupe III

  • Lucien Egger, Chef du groupe IV

 

Le Commandant Sinclair, commandant départemental FFI, devait venir à plusieurs reprises se rendre compte sur place de l’organisation du Maquis, et prendre part à des opérations de nuit, en autre les parachutages.

Grâce au BOA  dirigé par Legrand, et cinq parachutages à  Crucey, Digny, La Hurie, et Saint-Lubin, le Maquis est approvisionné en armes, munitions et explosifs:

  • l’armement collectif est constitué par les FM anglais (Bren) et les bazookas, 

  • l’armement individuel par les pistolets-mitrailleurs (Sten MK2, Marlin UD42…), les fusils d’infanterie anglais (MK4) et les pistolets          et révolvers,

  • le matériel de sabotage : des explosifs (plastics, 808…), des mines (crève-pneus…),  cordons détonants, détonateurs.

Des postes radio permettent l’écoute de Londres surtout pour les messages personnels liés aux parachutages.

Les Maquisards ayant déjà accompli leur service militaire servent d’instructeurs et enseignent le maniement des armes à leurs cadets et les rudiments de la discipline militaire qui sont consentis sans difficulté. 

 

Deux officiers aviateurs Canadiens, qui n’auront pu rejoindre le Maquis de Fréteval près de Cloyes, créé par le Gendarme Omer Jubault, où sont regroupés de très nombreux aviateurs alliés vivront avec les Maquisards jusqu’à la Libération. Il y aura aussi deux prisonniers SS jusqu’à la Libération: ceux du camion de Manou

Lors de l’attaque de Nogent-le-Rotrou, une trentaine d’hommes venant:

  • d’un Maquis démantelé par la Gestapo à Boisville-la-Saint-Père, 

  • du groupe d’Auneau-Denonville, 

  • du groupe de Beaumont-les-Autels sous le commandement du lieutenant de réserve Antoine de Layre, 

vient renforcer le Maquis de Plainville qui est alors fort d’environ cent soixante-dix combattants.

Il ne fait pas de doute à ce moment-là, pour Sinclair, Duroc et Rhône qu’il faut passer à l’action d’envergure car un tel regroupement à la barbe de l’ennemi, les difficultés d’approvisionnement en nourriture ne peuvent s’éterniser. 

Les Chefs ont pleinement conscience que la vie de très nombreux jeunes gens dépend de leur objectivité et de leur sens de décision. 

Le Docteur Girault de Thiron-Gardais et le Chirurgien-Dentiste Robert Tapie seront l’antenne médicale et chirurgicale du Maquis.

A la veille de l’attaque de Nogent-le-Rotrou, les ordres du Commandant suprême des FFI, le Général Koenig transmis par Sinclair sont:

«Le harcèlement continu des troupes ennemies et la destruction de leurs moyens de communication et de transmission

De la Résistance à "La Hurie"Saint-Victor-de-Buthon au Maquis de Plainville
Par Philippe Maquaire, petit-fils d'Émile (père) & Suzanne Maquaire, fils d'Émile Maquaire (fils)

  • Maurice Clavel, alias Sinclair, Commandant FFI d’Eure-et-Loir

  • André Gagnon, alias Pierre Legrand, responsable du BOA

  • René Dufour alias Duvivier, Chef des services Vétérinaires d’Eure-et-Loir

  • Gabriel Herbelin alias Duroc, Capitaine Duroc

  • Jean Renauldon alias Rhône, Lieutenant Rhône

  • Edgard Eugène Cahour alias Létang, Sous-Lieutenant Létang, Chef du Groupe I

  • Albert Richard, alias Bertaut, Doyen du Maquis 

  • Emile Maquaire, Caporal Maquaire, Chef de l’Equipe 3 dans le Groupe III

  • Maurice Lecohué, Equipe 3 dans le Groupe Goupe III

  • Albert Gillot, Equipe 3 dans le Groupe Goupe III

  • Ernest Pavé, maire de Frétigny, Chef du groupe de Frétigny

  • Pierre Poitevin alias Bichat, responsable de Libé-Nord

  • Achille Mauffroy, Gendarme de Thiron-Gardais

  • Gilbert Vallet, Epicier de Thiron-Gardais, en charge du ravitaillement au Maquis

 

STO = Service du Travail Obligatoire pendant WWII

BOA = Bureau des Opérations Aériennes

FFI = Forces Françaises de l’intérieur

SS = SchutzStaffel = Organisation paramilitaire et policière nazie fondée en 1925

Gestapo = Police politique de l'Allemagne nazie entre 1933-1945

 

En Novembre 1942, un jeune de Saint-Victor-de-Buthon (entre La Loupe et Nogent-le-Rotrou) se soustrait au STO, en se cachant           dans une maison dans les bois de Condé-sur-Huisne au lieu-dit La Chesnaie.

Il y restait quelques mois afin de ne pas mettre sa famille en danger à cause des représailles ennemies.

 

Lors de son départ, en disant au revoir à sa famille et ses amis  (puisque officiellement il partait faire son STO) son père lui dit: 

« Fais ce que tu veux, cache-toi, débrouille-toi, mais dans tous les cas ne t’occupe pas de la famille, ni de tes frère et sœurs, sinon nous ne ferons jamais rien! »

 

En Avril 1943, de retour chez ses parents, il se cachait dans une écurie proche de la maison. Grâce à une installation judicieuse (entre la cachette et la maison) une corde reliant une sonnette avertissait dans les deux sens, soit d’un danger soit d’un appel.

 

Ce jeune gars de 23 ans, c’est Emile Maquaire, fils d’Emile et Suzanne Maquaire, frère de Suzanne Maquaire-Gallet et Denise Maquaire-Andro  et de Roger Maquaire.

Toute cette famille « s’est embrigadée » dans la Résistance du canton de La Loupe, bien avant la constitution du Maquis de Plainville, et chacun a pu y jouer un rôle primordial en ce début de Résistance dans la région … On peut parler d’une famille unie ayant un seul et même objectif: Libérer la France!

 

Il faut rajouter que La Hurie (lieu-dit de la maison Maquaire) a été un lieu stratégique entre La Loupe et Nogent-le-Rotrou: Beaucoup de monde, de réunions, de passages, d’armes cachées … site surveillé par l’ennemi … mais jamais personne pris par l’ennemi... donc site protégé!  

 

En Mai 1943, la famille Maquaire reçoit  la visite d’André Gagnon (relation professionnelle).

Celui-ci demande à Emile fils  s’il voulait faire partie de la Résistance et stocker des armes?

D’un commun accord les deux frères, Emile et Roger,  donnent leur agrément et comprennent (à mi-mot) que la Liberté est proche.

Ils reçoivent deux radios, et quelques jours après des gars arrivent (dans la maison familiale à La Hurie) pour émettre avec l’Angleterre à des heures et des longueurs d’ondes différentes. 

Une quinzaine de jours plus tard, une camionnette allemande de repérages des émissions se posta dans un vieux chemin à cinq cents mètres de la maison: les radios durent partir…

 

Quelques mois passèrent et le 17 Novembre 1943 vers vingt-trois heures, arrive toujours à La Hurie, une camionnette avec:

  • Monsieur Gouju (le boulanger de Chassant, qui par la suite, fera le pain pour le Maquis de Plainville), 

  • Edgard Eugène Cahour de Thiron-Gardais,

  • Gabriel Herbelin

  • Simon Richard de Thiron-Gardais

  • Gilbert Vallet, Epicier de Thiron-Gardais

  • Achille Mauffroy, Gendarme de Thiron-Gardais,

  • Albert Gillot

 

Dans cette camionnette, Oh surprise! Non pas du pain mais des armes.

Pour les frères Maquaire c’est la joie.

Ces armes venaient du BOA, dont André Gagnon était le responsable.

Depuis cette livraison, les frères Maquaire dorment dans le grenier de la maison familiale où les armes étaient entreposées,                       ils les nettoyaient, examinaient les explosifs et apprenaient les proportions pour bien les utiliser, malheureusement toutes les notices étaient en anglais… 

Ils dormaient avec un revolver sous la tête.

Ils participent à un parachutage d’armes à Crucey et reviennent avec une camionnette d’armes pour les cacher dans un bois où se trouve une petite sablière, derrière la maison familiale... Il ne fallait pas tout concentrer au même endroit…

 

En Mars 1944, les réunions des responsables de la Résistance (des régions ouest, sud et sud-est) s’organisent à La Hurie. 

Il y avait  Gagnon, Poitevin, Duvivier, Herbelin, Renauldon, Cahour et les Maquaire père et fils.

Suzanne Maquaire prépare les repas et ils sont souvent une bonne vingtaine de personnes.

Les dîners ou réunions se déroulaient avec les armes entre les jambes et les fils Maquaire surveillaient les alentours, revolver à la main dans la poche.

Lors d’une réunion, Gagnon donna le numéro minéralogiques de plusieurs voitures allemandes, en recommandant « de foutre en l’air » les hommes de ces voitures: des Allemands à haute responsabilité SS et Gestapo.

 

Début Mai 1944 vers vingt heures, une partie du stock des armes part avec une quinzaine  hommes en camion et trois ou quatre voitures.

Après le chargement des armes, Suzanne Maquaire servait un bon repas pour tout le monde avec la « trouille au ventre » … 

Tous ces gars avaient des grenades dans les poches, revolver à la ceinture, une traction avec deux mitraillettes fixées à l’avant sous le pare-choc, à l’arrière pas de pare-brise mais deux hommes avec des mitraillettes … Ils sont partis au lever du jour avec un ouf de soulagement de la famille Maquaire!

 

Maurice Lecohué, Emile Maquaire et ses fils  transportent les dernières armes entreposées dans le grenier vers la Nationale 23 à l’orée d’un bois. Là, beaucoup d’Allemands passaient … Quelle imprudence de faire un tel déménagement!

Une nuit, les frères Maquaire, Herbelin, Lecohué et Gillot vont mettre des crève-pneus (engin ressemblant à une boite à cirage chargé de Plastic-explosif) dans un virage entre La Hurie et La Fourche.

Il y avait deux équipes: 

  • une vers le bas de la côte 5, l’équipe Herbelin, 

  • et une autre vers le haut avec les frères Maquaire. En descendant du bois vers la route pour mettre les engins, ils entendent des Allemands qui réparaient une voiture. Demi-tour vers le bois, ils descendent un peu plus bas. 

Pendant ce temps, l’équipe Herbelin avait placé des crève-pneus sur la route plus bas,  lorsque descendant de Paris, un bus chargé d’Allemands roule sur les crève-pneus explosifs  … BOUM!

Des Allemands descendent du bus, l’un d’eux met le pied sur un 

crève-pneu … Il crie … ses comparses  tirent aux fusils, mitraillettes, grenades…

Les deux groupes (Herbelin et Maquaire) rampent séparément dans le bois, les balles sifflent … finalement en rampant toujours, les Maquaire  se retrouvent dans leur grenier à La Hurie, une demi-heure plus tard.

Le lendemain, le groupe Herbelin raconte que Maurice Lecohué leur avait envoyé une giclée de mitraillette et qu’en rampant ils retrouvaient le chemin de la maison. Les Allemands avaient été retardés…

Des groupes isolés de Résistants sur Nogent-le-Rotrou, La Loupe mais aussi tout autour ont augmenté drastiquement leurs effectifs, ils écoutent Londres et savent que le débarquement est proche. Ils se rapprochent les uns des autres sur l’impulsion de Sinclair qui procure des armes venant de Londres par le BOA.

 

Le 6 Juin avait lieu le débarquement, quelle joie!

 

Le 6 juin 1944 … Renauldon donne immédiatement l’ordre au groupe de La Loupe de rejoindre un lieu repéré depuis longtemps: le lieu-dit « Les Crottes » commune de Frétigny.

Le groupe de Nogent-le-Rotrou se joint à eux.

Un petit groupe organise le premier Maquis d’Eure-et-Loir Ouest qui s’organise militairement en deux sections d’une dizaine d’hommes.

Avec le concours du groupe Herbelin, un convoi est pourtant attaqué sur la route de Nogent-le-Rotrou à Bellême et chaque nuit les Maquisards font de nombreux kilomètres à pied et rentrent harassés après la pose de crève-pneus et la destruction de la signalisation. 

Survient le terrible bombardement de La Loupe, le 17 juin, effectué par une formation de forteresses volantes B17 de l’US Air Force.  Parmi les Loupéens présents aux Crottes, l’inquiétude en amène certains à aller sur place s’enquérir de leurs proches. Des témoins rapportent que quelques-uns ne reviennent pas. Par mesure de sécurité et plus tard, mais on ne le sait pas encore, en prévision de l’accroissement probable des effectifs, le repli sur Plainville est décidé. 

 

Pendant ce temps, les hommes cachés et prêts à se battre continuent d’arriver à La Hurie … avec tous les risques de mettre

une famille en danger.

Puis Herbelin, avec Pavé, les Maquaire père et fils, Létang, Lecohué, qui avait connaissance d’un lieu idéal (pour le regroupement des différents groupes isolés en un important maquis) se rendent chez Monsieur Guyot à Marolles-les-Buis.

Le rassemblement se fait au lieu-dit de Plainville.

Les premiers s’y installent et organisent le Maquis avec des abris en branchages et des lits à base de paille. 

Les fils Maquaire font des allers-retours entre La Hurie et Plainville afin d’y conduire petit à petit les hommes qui veulent se battre contre l’ennemi.

Fin Juin, le Maquis de Plainville est opérationnel, il est constitué de cinq groupes représentant la valeur d’une compagnie d’Infanterie:

  • Maurice Clavel, Commandant Sinclair, Commandant départemental FFI

  • Gabriel Herbelin alias Duroc, Capitaine  Duroc

  • Jean Renauldon, alias Rhône, Lieutenant Rhône 

  • Jean Stiesz alias Sixte, Aspirant Sixte, Chef du Groupe Corps Franc

  • Edgard Eugène Cahour alias Létang, Sous-Lieutenant Létang, Chef du Groupe I

  • Guislain Roche alias William, Aspirant William, Chef de Groupe II

  • Georges Duchateau alias Ducastel, Adjudant Ducastel, Chef du Groupe III

  • Lucien Egger, Chef du groupe IV

 

Un moment très émouvant pour mon père, le 11 août lors des combats pour la Libération de Nogent-le-Rotrou, voilà ce qu’il dit :

« Herbelin et moi-même, étions les premiers à la porte du château, un Allemand nous tire dessus, nous ajustons notre mitraillette, la balle du boche  passe entre nos deux têtes.

Nous entrons trois ou quatre dans le château Saint Jean, défonçons les portes fermées à clefs, ayant peur que des Allemands se soient enfermés à l'intérieur. Nous arrivons jusqu'en haut par une fenêtre, nous nous montrons, on nous crie:   

    — On vous monte un drapeau ! 

Fernand Harquet et moi-même montons sur une plate-forme en surélévation fabriquée avec des poutres de bois par les Allemands pour surveiller en hauteur.

Le drapeau arrive, apporté par Robert Chaboche, je décroche le drapeau allemand, je fixe le drapeau français avec des clous que j'avais arrachés avec la crosse d'une mitraillette. Je peux dire à ce moment-là, les larmes aux yeux, que j'ai entendu toute la ville de Nogent le Rotrou applaudir de joie. C'était très émouvant. »

 

Il y aura jusqu’à cent soixante-douze gars qui sortiront toutes les nuits, en alternance, par groupes de huit à dix, sous la responsabilité d’un chef afin de repousser l’ennemi, et rendre La Liberté aux Français.

Nogent-le-Rotrou sera libéré le 11 Août grâce aux Maquisards de Plainville, soit trois jours avant l’arrivée des chars Américains.

Une partie du Groupe II et le Corps Franc, sur les ordres de Rhône et Sixte, se dirigent sur La Loupe afin de libérer la ville et les environs.

Duroc se dirige sur Chartres pour participer à sa Libération.

Deux groupes partent avec le Général Valin pour libérer Paris.

Quelques autres rejoindront le Maquis de Farjon à Dreux pour là aussi aider à la Libération de la région.

Les Résistantes de l'Ombre dans Notre Région
Par Annette Brissard, Secrétaire de l'ARAMP et Agnès M. Stiesz, fille de Jean Stiesz alias Sixte

  • Maurice Clavel alias Sinclair, Commandant FFI d’Eure-et-Loir

  • Simonne Favre-Bertin alias Silvia Monfort

  • Jean Renauldon alias Rhône, Lieutenant Rhône

  • Gabriel Herbelin alias Duroc, Capitaine Duroc 

  • André Gagnon alias Legrand, responsable du BOA 

  • André Duclot alias Belleau, Groupe Corps Franc

  • Emile Maquaire, Caporal Maquaire, Chef de l’équipe 3 dans le Groupe III

  • Paule Malvos, Assistante Sociale, Infirmière au Maquis, "Résistante dans l’ombre »

  • Docteur Boutron, Chirurgien à L’hôpital de Nogent-le-Rotrou

 

BOA = Bureau des Opérations Aériennes

DCA = Canon Antiaérien

MLN = Mouvement Libération Nationale 

FFI = Forces Françaises de l’intérieur

PG = Prisonnier de Guerre 

STO = Service Travail Obligatoire

 

Lucie Aubrac, lors d’une conférence au Lycée Rémi Belleau de Nogent-le-Rotrou en 2006, s’est adressée aux lycéennes en les exhortant à faire valoir leurs droits:   

 

« Vous, les filles, ne vous laissez pas dire que les femmes n’ont pas été des Résistantes. Il y a eu des héros certes, mais il y a eu toutes les femmes humbles qui assistaient leur mari dans leur engagement, qui codaient des messages tout en faisant la cuisine, qui ont été des agents de liaison … Pensez bien à ça! »

 

En Eure-et-Loir Ouest, des femmes ont participé, discrètement parfois plus ouvertement, à ce grand mouvement de la Résistance. 

Parmi toutes ces femmes, trois SUZANNE, qui sachant les risques encourus pour elle, leur mari, leur famille, se sont engagées. 

Ce sont Suzanne Renauldon, Suzanne Maquaire mère et Suzanne Maquaire-Gallet fille. 

Il y a eu aussi Paule Malvos, Madame Lacaze, Madame Wandels et Madame Guyard, Annette Petit-Jouvet et beaucoup d’autres …

 

Suzanne Renauldon de La Loupe.

Suzanne est née à La Loupe, elle est l’épouse de Jean Renauldon et mère de trois jeunes garçons, elle a été sa collaboratrice

fidèle et efficace.                      

Entrée dans la Résistance en Juillet 1943, elle s’est occupée activement du bureau des faux-papiers, des tickets d’alimentation, du transit des armes et des munitions. 

Elle recevait à sa table, les représentants des différents réseaux et mouvements de Résistance. 

 

Elle collabora avec le groupe de l’Abbé Georges Le Meur, Vicaire de Saint-Agnès de Maison Alfort et Aumônier du Cercle Catholique de l’Ecole Vétérinaire d’Alfort et de ce fait, prit le risque du triage des personnes frappant à sa porte.

Les radios de certains réseaux, en particulier ayant appartenu au réseau « Alliance » étaient reçus et ravitaillés par elle.

Plusieurs de ces personnes étaient recherchées par la police allemande.

Le 30 Novembre 1943, elle a participé, personnellement à l’opération de la Mairie de Digny.

A partir du 1er Février 1944, elle restait seule avec ses trois enfants, acceptant l’éventualité d’une arrestation.

Un fait raconté par son mari: 

« Le 30 mai 1944, une équipe commandée par le commandant Sinclair partait de mon domicile, pour assurer avant le débarquement, la destruction de la ligne à haute tension de la SNCF. Toute la préparation de cette opération s’effectuait à notre domicile.

Au cours de cette préparation, un détonateur devait éclater dans mon garage.

Alors que tout le personnel quittait les lieux pour ne pas y revenir, Madame Renauldon restait seule sur les lieux… »

 

Suzanne Maquaire et Suzanne Maquaire-Gallet. Ces deux Suzanne sont mère et fille, membres de la famille Maquaire de La Hurie à Saint-Victor-de-Buthon.

Emile Maquaire père, a été un Résistant dès 1943. Il a entraîné dans son sillage ses deux fils Emile fils et Roger.

Emile fils a été un membre très actif du Maquis de Plainville. 

Denise, la petite dernière, encore jeune enfant, a vécu cette période, la peur au ventre, dormant mal et observant avec inquiétude         tout ce qui se passait autour d’elle. 

Suzanne la grande sœur avait dix-sept ans le 9 juin 1944. Elle était la troisième d’une famille de cinq enfants. 

 

Suzanne Maquaire (mère), est née Suzanne André, le 3 avril 1889 à La Loupe, mariée, mère de cinq enfants et demeurant à La Hurie, commune de Saint-Victor-de-Buthon.

Son domicile fut l’un des principaux centres de rendez-vous du département d’Eure-et-Loir ouest et Libé-Nord, BOA, MLN, radios, FFI…Tous ces soldats de l’ombre s’y rencontraient, y mangeaient. 

Maurice Clavel et Silvia Monfort y ont souvent trouvé le gîte et le couvert. Action continue de novembre 1943 à la Libération

de Nogent-le-Rotrou.

Tous ces faits de Résistance sont certifiés par le Capitaine Herbelin, ex-chef des FFI du secteur d’Eure-et-Loir Ouest qui a écrit:

« Je puis affirmer que toute cette famille a connu de grands risques journaliers. D’autant plus qu’un important dépôt d’armes et de matériel était entreposé dans des bâtiments leur appartenant et proches de leur domicile. »

 

Suzanne Maquaire (fille) épouse de Roger Gallet, est née en 1927.

Elle avait dix-sept ans et malgré son jeune âge, elle a fait SA Résistance dans le sillage de ses parents et de ses frères.

Voici quelques témoignages émouvants de cette jeune adolescente.

« Nous avions un poste de radio. On recevait les messages de Londres, codés, bien entendu. Le soir, on se relayait pour écouter

et capter ces informations vraiment de la plus haute importance.

Ce n’était pas une aventure banale, même pour moi, c’était un gros risque !

Je vais vous révéler le message précis qui nous indiquait que l’opération était imminente:

 — Ne pas s’éterniser dans ses bras —

Voilà donc ce message codé qui passait une première fois à 13h30 sur la BBC, puis repassait une deuxième fois à 19h30, et enfin une troisième fois à 21h30.

 A la Veillère, le jour J, enfin plutôt dans la nuit, il est évident que ce genre de stratagème se déroulait la nuit, l’avion passait et repassait. 

Les Résistants avaient installé des lampes avec un éclairage qui clignotait pour guider le pilote afin qu’il puisse lâcher les soixante-quinze containers. Mon père et mes deux frères étaient sur place, avec  d’autres gens, bien sûr, pour le débardage et pour nettoyer le terrain.

Je n’avais que dix-sept ans. C’était trop risqué pour moi. Par mesure de précaution, j’étais un peu tenue à l’écart de tout cela.

Mais papa nous avait expliqué ce qu’il était en train de faire et comment nous devions réagir en cas de danger. Le mieux, nous avait-il conseillé, c’est de nier, de dire qu’on ignorait tout. Il nous avait expliqué tous les risques que nous courions, notamment d’être torturés. »

 

Malgré la guerre, quel bonheur de pouvoir s’habiller pour être belle … dans une toile de parachute en soie:

« Je me souviens de ma joie quand la couturière m’a fait un chemisier dans la toile d’un des parachutes, ces derniers étaient de couleur kaki. Un seul était blanc. C’est dans cette toile blanche que j’ai eu mon corsage. J’étais si contente, c’était mieux qu’un gâteau! Pendant la guerre, on ne trouvait plus de vêtements, alors, pensez! J’étais folle de joie. »

 

Avec sa bicyclette bleue, notre jeune adolescente est aussi partie en mission:

« En mai 1944, peu de temps avant le débarquement, on m’avait confié une mission qui me tenait à cœur. Je ravitaillais tous les deux jours une dame, Madame Célia Houpillard qui vivait aux Sablons, dans la commune de Coulonges. Cette femme avait très peu de nourriture.

Il fallait bien l’aider! Je partais naturellement avec ma  bicyclette bleue. 

Ainsi, je pédalais fièrement. 

Imaginez, je parcourais quatre kilomètres aller-retour, avec le sentiment d’accomplir une mission de la plus haute importance.

Madame Houpillard cachait un aviateur américain qui s’était éjecté lorsque son avion avait été abattu par la DCA.

Cet homme était blessé gravement aux jambes. J’avais pour consigne de ne pas m’arrêter si j’avais l’impression d’être suivie.

Heureusement que le bon docteur de Thiron-Gardais, venait gracieusement tous les jours, pour faire les pansements au blessé.

Je pense que Madame Houpillard n’a pas été récompensée, enfin  honorée comme elle le méritait. Elle n’a eu aucune décoration, aussi je lui rends hommage. Surtout qu’elle a aussi recueilli trois pilotes américains. »

 

Toujours avec sa bicyclette bleue, elle était en charge du ravitaillement:

« Toujours avec mon petit vélo bleu, j’étais chargée du ravitaillement de la petite épicerie. Les oranges, quand il y en avait, arrivaient dans des cageots assez hauts. J’en mettais un par-devant et un par-derrière. Pour apporter toute cette marchandise de Nogent-le-Rotrou, j’avais dix-sept kilomètres aller et autant au retour. Mes petits mollets de béton fatiguaient tout de même au retour, car j’avais dix kilos à l’avant et dix à l’arrière! Je suis fière de n’être jamais tombée. Je partais aussi à La Loupe, prendre du beurre et du fromage chez le grossiste avec mes tickets de ravitaillement. » 

 

Elle aussi, elle a sa modeste part de bravoure. 

« Un jour, je constatai que les Allemands n’arrêtaient pas de regarder la maison. En les voyant reluquer sans cesse chez nous, j’ai pensé: Mon Dieu, les brassards ! Ils sont étalés sur la machine à coudre !

 On avait à ce moment-là un billard japonais. J’ai eu le réflexe de le soulever et de balancer les brassards FFI, avant que les deux Allemands entrent dans la maison.

 Je n’ai même pas pris le temps d’en parler à ma mère. Je n’étais pas une poule mouillée. Ce n’est qu’après qu’elle m’a dit :

--- Suzanne, tes brassards !---

--- T’inquiète pas maman, ils sont en lieu sûr!--- 

Cette même journée, Raymond, mon jeune frère de treize ans, a compris tout de suite que ça devenait grave. Il s’est rendu compte que ça bardait, il a donc pris l’initiative surprenante d’aller décrocher à l’étage, la radio cachée dans une des chambres.

Il a tout arraché et mis la radio dans un sac qu’il est allé balancer dans les orties. 

Il a dû penser que les Allemands allaient sûrement fouiller la maison. Si l’ennemi avait trouvé la radio, là, nous étions cuits. 

J’y tiens vraiment à ce qu’on parle de mon frère qui nous a ainsi sauvé la vie. Nous avons dû souvent ravaler nos sourires tant que nous n’étions pas totalement libres, parfois, c’était dur. »

 

Comment ne pas être en admiration devant la solidarité au sein de cette famille:… « On était au courant de la gravité des événements,

on s’entraidait, on pouvait compter les uns sur les autres.

Oui, c’est cette complicité dans la population qui nous a permis de ne pas trop souffrir. »

 

 Trois Femmes de Nogent-le-Rotrou pour un Drapeau 

Et quel drapeau! 

Le Drapeau FFI confectionné pour le Maquis de Plainville.

Un jour Madame Lacaze, Madame Wandels et Madame Guyard, toutes les trois de Nogent-le-Rotrou, proposent à Duroc de confectionner un drapeau pour les Maquisards.

Duroc a accepté et a fourni le tissu qui est de la toile de parachute aux trois couleurs de la France.

Ces dévouées couturières se sont chargées de trouver le nécessaire pour les broderies et pour les franges.

Le drapeau terminé, c’est le jeune Jean Lacaze (15 ans) qui est arrivé un jour au Maquis avec le drapeau tout roulé autour du corps. Il n’a fait aucune mauvaise rencontre sur son chemin. Par contre quelques jours plus tard, en revenant au Maquis avec des renseignements verbaux, il était arrêté et fouillé par les Allemands … 

 

Paule Malvos de Nogent-le-Rotrou

Née en 1897 à Dreux en Eure-et-Loir, Paule Malvos est assistante sociale et a obtenu la médaille d’or et la palme d’or de la Croix Rouge en 1940. Gaulliste de la  première heure, dès août 1943, elle a été un des premiers éléments à accepter de faire partie de l’équipe constituée dans la ville de Nogent-le-Rotrou. Elle s’est dépensée sans compter pour l’organisation du centre de camouflage des réfractaires. 

Elle a accepté de cacher, dans son dispensaire, tout le stock de faux papiers, ainsi que le dépôt d’armes détenues par l’équipe.

Elle a transporté entre La Loupe et Nogent-le-Rotrou « des chiens de mitrailleuses » … (cf le témoignage d’Annette Petit-Jouvet).

Lors de la constitution du Maquis à Plainville, elle a toujours assuré les liaisons avec Nogent-le-Rotrou avec un dévouement et un courage digne d’éloges. Elle a participé activement à l’organisation matérielle du Maquis de Plainville (aliments et médicaments). 

A partir du 9 juin 1944, cette liaison était hebdomadaire.

Lors des combats pour la Libération de la ville, elle a donné des soins aux premiers blessés du 9 août. 

Le 10 au matin, elle a ramené des bois de Perchet un blessé FFI. 

Le 11 août, elle a ramassé et ramené à l’hôpital un blessé FFI. 

Le jour des combats, elle a secondé le Docteur Boutron pour soigner à l’hôpital les camarades FFI blessés alors que les soldats Allemands circulaient encore librement dans les divers pavillons.

 

Annette Petit-Jouvet de La Loupe

Le Capitaine Casimir Petit-Jouvet, officier d’artillerie, avait fait deux guerres, il était membre du conseil municipal de La Loupe, Directeur de la Défense Passive, mais aussi, avec son épouse était en charge de la Croix Rouge.

A la Chamaille, la propriété qu’ils habitaient avec leurs quatre enfants, ils cachent des prisonniers de guerre, des jeunes voulant échapper au STO mais aussi des armes. 

Casimir a trouvé la mort dans le  bombardement de La Loupe le 17 Juin 1944… Jusqu’à la Libération de La Loupe (et même après) Annette a continué courageusement ce qu’elle avait entrepris avec son mari.

 

Ceci est un des  témoignages d’Annette Petit-Jouvet qui prouve que les femmes savaient agir dans l’ombre avec efficacité. 

 

Il y avait un parachutage à La Hurie, sur la route qui va à Frétigny, coupée par la route de Nogent-le-Rotrou. Là, après Saint Victor, sur la gauche, il y avait un grand terrain.

Ce carrefour était identifié par un message. On apprend que c’était pour la nuit suivante.

On est parti avec Duclot. Il y avait Jean Renauldon, Peroux et dans « l’ombre » Suzanne Renauldon et moi, pour les petits services              à rendre!

Lorsque les hommes reviennent, ils nous disent:

«  On n’a pas pu tout ramasser. Un parachute est tombé sur la nationale, à ce moment-là est passé un convoi militaire allemand.           Donc nous sommes repérés... »

 

 ... Dès le lendemain, il y avait des fouilles sur les routes et à la gare.

Jean Renauldon avait sa camionnette bourrée de tas de trucs, mais comme il avait le caducée des vétérinaires, il était respecté.

On s’est servi pour apporter des produits à la Croix Rouge et à l’équipe médicale.

Jean Renauldon a distribué les choses plus importantes pour la région. 

Il restait une boîte assez lourde contenant les « chiens de mitrailleuses » Ils l’ont apportée chez moi.

Me voilà donc à la tête d’un arsenal de petits gadgets pour faire marcher les mitrailleuses.

Ne sachant pas où la mettre, j’ai dit aux gars, qui me l’apportaient, de la mettre au pavillon de tennis.

Il y avait comme une petite cave, où on mettait le filet et des tas de choses. Par-dessus, on a mis de la terre, du sable, des chiffons, des tapis, au cas où… et pendant deux jours je n’ai pas eu de contacts.

 

Un jour on m’appelle au téléphone.

« Madame, vous êtes bien à côté de l’abattoir, est-ce que Monsieur Renauldon, le vétérinaire, est en train d’opérer actuellement? »

« Je ne crois pas. »

« Bien, pouvez-vous lui passer un message et lui dire que les remèdes qu’il a en sa possession depuis tel jour, seront pris demain matin par l’express de neuf heures par une de nos amies, Paul Malvos, qui viendra demain par le train de Chartres à Nogent-le-Rotrou. Elle sera dans le troisième wagon deuxième classe et nous comptons sur vous pour lui déposer le petit paquet. »

 

Il n’était pas gros mais lourd!

Nous avions une petite remorque qui pouvait être tirée par une bicyclette, que mes enfants avaient construite un jour.

C’est donc à bicyclette tirant la remorque avec le « lourd petit paquet », que je  prenais la direction de la gare.

Je suis arrivée à la gare bien avant l’arrivée du train, j’ai déposé mon vélo contre le mur et me suis mise à quinze-vingt mètres  du vélo.

Je surveillais, quand j’aperçois un Allemand. Tout juste s’il ne descendait pas la rue de la gare en sifflant, il partait en permission et était tout heureux…  Je retourne à ma bicyclette et au moment où il est passé, j’ai poussé un grand soupir.

« C’est lourd Madame, Lourd »

« Oui, Oui, »

« Lourd quoi ? »

« Rotenkreuz (Croix Rouge). »

« Moi porter pour vous. »

J’ouvre la porte, le laisse passer. Il serre la main à l’Allemand là avec sa baïonnette qui surveillait les allées et venues dans la gare.

L’Allemand partait en permission, il avait un gros paquetage.

Je prenais des risques.

Il est passé sur le quai et a dit.

« Trop lourd pour Madame, moi le monter dans le wagon. » 

Le train est arrivé en gare. Paule Malvos, me voit à côté d’un Allemand…

Je lui dis: « C’est par là. »

Il a monté le paquet, et mis dans le porte-bagage.

En regardant Paule (on claquait des dents toutes les deux) je lui ai dit:

« Je souhaite que vous ayez autant de bonnes volontés pour vous accueillir à Nogent-le-Rotrou.»

Je n’ai donné qu’une poignée de main à un Allemand pendant la guerre… Je lui ai serré la main et lui ai dit: « Merci »

C’est tout ce qu’il a eu, mais il a eu un Merci sincère! 

Après, j’ai su que Paule Malvos était attendue sur le quai de la gare par le chef de la gare de Nogent-le-Rotrou, qui faisait partie               du réseau, et que les « chiens de mitrailleuses » ont été remis en mains propres à l’atelier qui pouvait les remonter.

Au Pont de Bois : Un Tragique Concours de Circonstances
Par Yves Brissard, Président de l'ARAMP
À partir de "Nogent Héroïque" de Raymonde Gohon, achevé le 30/12/1944  et le témoignage de Claude Lejeune à Yves Brissard

  • Emile Maquaire, Caporal Maquaire, Chef de l’Equipe 3 dans le Groupe III

  • Eugène Congard, d’Yvré l’Evêque

  • Louis Piche

  • James Durand 

  • Daniel Langlois

  • Fernand Marquet

  • Robert Chaboche

  • Jean Lenfant

 

PC = Poste de Commandement

FM = Fusil Mitrailleur

SS = SchutzStaffel = Organisation paramilitaire et policière nazie fondée en 1925

Nazi =  Membre du parti national-socialiste de Hitler

Luftwaffe = Désigne la branche aérienne de l'armée allemande durant la WWII

Heraus = Dehors

 

C’est une belle et chaude journée que ce vendredi 11 août 1944 à Nogent-le-Rotrou.

Depuis le matin, les Maquisards de Plainville sont entrés en lutte ouverte contre les occupants.

La majorité des habitants se terre alors que crépitent des tirs.

Vers quinze heures un curieux équipage est vu rue Saint Denis, c’est une 402 Peugeot avec quatre hommes à l’intérieur et chose moins banale, deux hommes en bras de chemise sur les ailes avant. Ces derniers sont des soldats Allemands.

On apprendra ultérieurement que ce véhicule de la police versaillaise, conduit par un policier, Eugène Congard, vient d’Yvré l’Evêque. Dans l’exaltation de ces heures de la Libération, trois compagnons d’aventure : Louis Piche, James Durand et Daniel Langlois complètent l’équipe qui a capturé les deux soldats allemands. Une rumeur comme quoi les Américains y seraient les amène à Nogent-le-Rotrou où, faute de ne pouvoir passer par le Paty, le pont sur la Rhône a sauté le matin, ils vont tenter de gagner le centre-ville pour prendre contact avec la Résistance.

La 402 emprunte la rue Gouverneur ce qui les fait passer devant l’hôtel Goëthals, PC de la Résistance. Voyant cette voiture parée de tricolore avec deux soldats allemands, il n’en faut pas plus pour que les armes des Résistants parlent, un Allemand atteint tombe. La voiture tourne rapidement et descend l’avenue de La République, traverse la place du même nom et poursuit sa route rue du

Général Huet pour déboucher rue Saint Laurent en direction du Pont de Bois où le drame va se jouer.

Au Pont de Bois, dans ce quartier règne une certaine effervescence.

En effet, peu après quatorze heures, sept  personnes, Messieurs Boisgillot, Jean-Marie Lejeune et ses deux fils, Jacques et Claude, Béloncle, Constantin, Josse, à la vue du drapeau tricolore qui a remplacé le drapeau nazi sur la guérite d’observation aérienne placée en encorbellement sur le pignon ouest du château -- fait d’arme d’Emile Maquaire, Fernand Marquet et Robert Chaboche-- vont fêter l’évènement au café Pigeard.

Leur sortie les ramène à une dure réalité. Sur le trottoir d’en face se trouvent sept soldats allemands en armes venant

de la rue Paul Deschanel. 

Le retour à l’intérieur du café leur est interdit par un « heraus »

Ils doivent alors s’aligner devant le mur et le bureau de tabac et y rejoignent Jean Lenfant déjà sous la menace des armes.

L’un des Allemands, sans doute un soldat de la Luftwaffe, armé d’un FM, se place en position de tir derrière les quelques marches en saillie de l’ancien séminaire, prêt à faire face à des tirs sporadiques des Résistants venant du parc du château ou du carrefour

de la rue du Docteur Déplantes.

 

Quand la 402 débouche après un « halt » aussi impératif qu’inutile à cette distance, les Allemands ouvrent le feu. La voiture qui est stoppée à une quinzaine de mètres du carrefour, orientée vers le Pont de Bois, se vide de ses occupants. 

Daniel Langlois, atteint au pied, se réfugie derrière la voiture et s’assoit. 

L’Allemand allongé sur l’aile se redresse et crie quelques mots en allemand puis rejoint Daniel Langlois derrière la voiture

pendant que les soldats allemands venant du carrefour de la rue Paul Deschanel et de la rue Saint Laurent accourent.

L’ex-prisonnier reprend veste et fusil dans la voiture puis conduit celle-ci à l’entrée de la rue des Tanneurs où le gazogène refuse

tout service. Il narre alors à ses compatriotes son aventure en désignant d’un doigt vindicatif Daniel Langlois qui doit s’asseoir

sur le bord du trottoir devant le bureau de tabac.

Jean Lenfant, avec quelques connaissances de la langue allemande, souvenir de captivité, parvient, après plusieurs refus, à faire un pansement avec son mouchoir au pied de Langlois pendant que les Allemands fouillent la voiture. Ce qu’ils y trouvent, armes et grenades n’est pas fait pour apaiser l’atmosphère. Des vivres par contre sont pour  eux une aubaine.

L’affaire prend une autre tournure avec l’arrivée par la rue Paul Deschanel, d’un véhicule occupé par huit SS.

L’ex-prisonnier renouvelle son récit au gradé qui les commande. Celui-ci ordonne que Langlois soit fusillé et désigne un peloton de trois hommes placés au débouché de la rue Paul Deschanel à quelques mètres pendant que le jeune homme est brutalement relevé, son pansement arraché et placé face à la gouttière.

Trois détonations simultanées et Langlois s’écroule. Il est seize heures trente. Des fragments de matière cervicale jaillissent sur le bras de Monsieur Lejeune père qui a auparavant tenté d’établir un dialogue avec l’officier, ils découvrent que leurs pères respectifs étaient des anciens de Verdun, ce qui a sans doute épargné leur vie. Jean Lenfant tente une fois encore d’intervenir avant de parvenir à s’éloigner pendant que les Lejeune père et fils sont emmenés chez eux et consignés avec le fils Boisgillot.

Messieurs Josse et Beloncle, toujours au mur, profitant que leurs gardiens soient bien occupés par des balles qui sifflent alentour s’éloignent après être restés plusieurs heures face aux armes allemandes.

Langlois, le crâne fracassé, va  rester sur le trottoir jusqu’au lendemain.

Le soir, du 11 Août vers vingt-et-une heures trente une femme bienveillante, Madame Barraud recouvrira son corps de volets arrachés

par l’explosion qui a fait sauter le pont à vingt-et-une heures.

Après l’arrêt brutal de la 402, les trois compagnons vont vivre des fortunes diverses :

James Durand, comme Langlois de la Couture Boussey, mortellement atteint, s’est traîné puis a agonisé sur le trottoir au coin de la rue

du Général Huet 

Louis Piche, blessé au bras et à la main et Eugène Congard courent vers le porche Saint Laurent où portes et volets sont clos.

C’est au N°7 que Madame Trouillet leur ouvre. Ils entrent. Eugène Congard en profite pour  échanger son uniforme de policier par des vêtements civils. Louis Piche que la douleur fait alternativement gémir et hurler reçoit les premiers soins. Mais il a laissé des traces de sang à l’extérieur, indices pour ceux qui pourraient être à sa recherche…

Madame Trouillet, bien consciente du risque tue son lapin espérant ainsi avoir un alibi au cas où…

Par les jardins, en escaladant un mur, le blessé est transporté dans le parc du docteur Frémont, malheureusement absent ce jour-là.          C’est auprès du curé Plainchamp que Madame Trouillet trouve assistance et après bien des tribulations regagne son domicile.

Le blessé est, lui, emmené dans une brouette jusqu’à la ferme Aveline. Le maître des lieux, prêtant voiture hippomobile et charretier le fait transporter à Masle où le Docteur Boutron a déplacé sa clinique.

Ramené le lendemain à l’hôpital nogentais, Louis Piche est amputé de la main droite.

De Nogent-le-Rotrou... à La Libération de La Loupe
Par Agnès M. Stiesz fille de Jean Stiesz alias Sixte et Jean-Yves Renauldon fils de Jean Renauldon alias Rhône
A partir du recueil " 17 Juin 19744, La Loupe se souvient "

  • Jean Renauldon alias Rhône, Lieutenant Rhône

  • Jean Stiesz alias Sixte, Aspirant Sixte, Chef du Groupe Corps Franc

  • Jacques Coutard, Groupe Corps Franc

  • René Langlois, Secrétaire de Mairie de Fontaine-Simon 

 

FFI = Forces Françaises de l’intérieur

GV = Garde-Voie

 

La Loupe, ville la plus sinistrée d’Eure-et-Loir, ce qui lui valut le triste privilège d’être décorée de la Croix de Guerre, fut épargnée par les bombardements jusqu’en Août 1943.

A cette date, des avions venus d’Angleterre bombardent la gare SNCF à basse altitude détruisant les voies, mais pas une bombe sur la ville.

Par contre entre le 6 Juin (jour du débarquement en Normandie) et le 10 Août 1944, la ville subira vingt-cinq bombardements. 

Trois raisons pour expliquer la raison de ces bombardements sur La Loupe par les alliés:

  • La Loupe était un nœud ferroviaire et routier,

  • La Loupe se trouvait à proximité du camp de munitions de Senonches, constitué par les Allemands au lendemain du débarquement allié. Ce camp de munitions était la cible de l’aviation anglo-américaine, ainsi que les voies de communication qui le desservaient.

  • Et enfin, il y avait un dépôt d’essence dans le Parc du Château …

 

Vingt-Cinq bombardements entre le 6 juin et le 10 Août 1944

Le premier, le jour du débarquement allié en Normandie le 6 juin, sept  bombardiers pilonnent la gare de La Loupe en une demi-heure. 

Et c’est ainsi jusqu’au 10 Août. 

Le plus meurtrier a été celui du 17 Juin, après un bombardement intensif sur le camp de munitions de Senonches, La Loupe a été victime vers vingt et une heures de l’acharnement de soixante-douze  bombardiers sur le centre de la ville. 

Le maire et de nombreux notables (du conseil municipal et de la Défense Passive) étaient parmi les victimes. 

Les blessés furent dirigés vers l’hôpital qui fut bientôt trop petit. 

Les Docteurs Morchoisne et Laurent dispensaient leurs soins et les moins blessés étaient soignés à l’école des filles. 

Quelques Résistants du Maquis des Crottes (premier Maquis des Résistants d’Eure-et-Loir Ouest) sont venus apporter aide au sauvetage et le Vétérinaire Jean Renauldon pouvait apprécier la gravité des blessures et diriger les plus grands blessés vers Chartres

ou Nogent-le-Rotrou.

Ces terribles bombardements sur La Loupe par les alliés firent soixante-dix victimes et détruisirent complètement une ville de plus ou moins deux mille habitants.

Il y eut certainement des victimes du côté allemand… mais ceux-ci continuèrent à frapper autour de La Loupe. 

Il faut se souvenir qu’avant avant le 6 juin 1944 et depuis de nombreux mois, les Résistants du canton de La Loupe sont sous la responsabilité de Jean Renauldon et son adjoint Jean Stiesz. 

Il comprend trente deux hommes:

  • Groupe La Loupe: Douze hommes dont le chef est Jean Renauldon,

  • Groupe Saint-Victor-de-Buthon: Six hommes dont le chef est Emile Maquaire,

  • Groupe de Digny: Six hommes dont le chef est Maurice Esnault,

  • Groupe de Saint-Eliph-Montlandon: Huit hommes.

 

Le 6 juin 1944, Jean Renauldon donne immédiatement l’ordre aux groupes du canton de La Loupe de rejoindre un lieu repéré depuis longtemps: "Les Crottes" commune de Frétigny.

Là, le groupe s’organise militairement en deux sections d’une dizaine d’hommes et il est décidé que par mesure de précautions, les opérations contre l’ennemi ne devront pas se faire dans une région de plus de quinze kilomètres.  

Le 17 juin au soir, le meurtrier bombardement sur La Loupe fait que la quasi-totalité des Loupéens quittent "Les Crottes" pour s’enquérir des leurs dont certains auront disparus.

Le Maquis "Les Crottes" « est mis au repos », après avoir mis les armes et munitions en un lieu sûr.

La décision est prise  de regrouper l’ensemble des groupes, et fin Juin le Maquis de Plainville sera opérationnel. (Cf les témoignages des Maquisards dans les pages ci-dessus)

 

Il y a peu de récits concernant la libération proprement dite de la ville de La Loupe tant les témoignages se sont concentrés sur le véritable traumatisme que fut le bombardement du 17 juin. 

On sait cependant, qu’après avoir libéré la ville de Nogent-le-Rotrou, trois jours avant l’arrivée des chars américains, les FFI, dont les pertes furent alors de trois morts et de six blessés, décidèrent de prendre la direction de La Loupe pour y chasser l’ennemi qui était toujours actif dans la région.

Le 12 Août, depuis Nogent-le-Rotrou, une partie du groupe II et le Groupe Corps Franc arrivent à La Loupe, sous les ordres

de Rhône et Sixte.

Des forces ennemies isolées ont été signalées à Manou, Rhône et Sixte iront avec leurs hommes pour neutraliser un ennemi encore offensif puisque René Langlois de Fontaine-Simon sera tué et Jacques Coutard du corps Franc est grièvement blessé.

Trois  Allemands  sont tués aux Murgers et quatre à Fontaine-Simon. 

 

Dans la nuit du 13 Août des Allemands fusillent trois GV sur le pont du Gros Chêne et au petit matin le font sauter, dans la soirée ils font sauter le pont de l’équarrissage de Vaupillon … 

 

Le 14 Août, les Américains approchent de La Loupe, comme nous le témoigne ci-après Madame Annette Petit-Jouvet:

 

« Dans la soirée la bataille est à nos portes. 

Une fusillade nourrie crépite à l’entrée de La Loupe. 

La rumeur publique laisse entendre qu’il y a des morts (et des prisonniers). 

Ces Allemands, qui étaient en contact avec l’armée allemande se repliant, ont su que les Américains arrivaient et qu’après la Fourche, il y avait un tank au Champ Seigneur et un autre au Champ de Foire et des mitrailleuses dans les haies.

Dans la nuit du 14 au 15 Août, les Allemands se repliaient et tiraient sur tout ce qui bougeait.

Il y avait aussi les francs-tireurs (les Résistants du Corps Franc qui étaient de retour de Nogent-le-Rotrou après sa Libération) qui préparaient la route pour les Américains. 

«  Au petit matin vers cinq heures, nous partons avec des membres de la Croix-Rouge et un drapeau Croix-Rouge pour faire le tour de La Loupe, et nous n’avons vu qu’un chat. La Loupe était déserte… 

Par contre en remontant vers la Chamaille à travers champs, nous avons vu un déferlement de véhicules américains qui arrivaient par la route de Chartres.

Monsieur Cretoux, le jardinier, avait vu des Allemands qui avaient miné la route avant de partir. Ayant repéré les emplacements, il a coupé des branches et les a plantées là où se trouvaient les mines, il faisait des encoches dans du papier pour les mettre sur les branches. Je me suis mise au milieu de la route pour arrêter les Américains et les prévenir. 

Un char de convoi a fait du déminage. 

Il y avait un char allemand à l’actuel cimetière de Belhomert, aussi mon fils François est monté sur le char avec son vélo et les a guidés.

Ces Américains, c’était l’armée Patton. 

A la Chamaille, s’est arrêté l’Etat-Major du Général Patton. 

Un général présent qui voulait un bain … On ne s’est pas couché, on a bavardé  toute la nuit … Ils avaient été surpris par l’accueil (ou le non accueil) de La Loupe! »

 

Après la Libération de Nogent-le-Rotrou et de La Loupe, le Maquis de Plainville se vide de ses Maquisards.

Duroc ira sur Chartres et participera à la Libération de cette ville où plusieurs Maquisards seront tués. La ville sera libérée le 16 Août.

A son retour de Chartres, Duroc partira, sur ordre, à Beaugency-sur-Loire pour participer, si besoin était, à la neutralisation des troupes ennemies pouvant remonter vers le Nord. 

Deux groupes partent à la suite du Général Valin, arrivant de Londres, et regagnent Paris où les combats de la Libération sont commencés. 

Sixte rejoint la colonne du Général Leclerc aux environs de Paris: Libération de Paris (combats de rues aux environs d’Antony) puis occupation du Ministère de l’Air.

Dans la région de la Ferté-Vidame, le maire de Morvilliers, Mary Thibault, après avoir été incarcéré pendant près de deux mois par les Allemands, organise dès sa sortie de prison un groupe de résistance armée. 

Une quarantaine de jeunes gens, et de moins jeunes, sous les ordres de Roussel et du lieutenant Beautonne, après avoir été incorporés au Maquis de Farjon (Capitaine Yves) à Dreux, harcelleront l’ennemi jusqu’à la Libération.

Tous ces groupes participeront également à la Libération de Paris et se rendront ensuite sur La Loire. 

 

On peut dire pour l’histoire, que le Maquis de Plainville fut une unité sans reproche, aucune exaction ne fut commise avant ou après la Libération. Il n’y eut jamais de heurts entre Maquisards tant le sens du devoir à accomplir était grand. 

Les prisonniers furent traités en tant que tels suivant les conventions de Genève et de La Haye.

Gabriel Herbelin, alias Duroc, Capitaine Duroc
D'après Raymond Gohon dans "Nogent Héroïque" achevé d'écrire le 30 décembre 1944. 
Et par Duroc lui-même dans "Libération Nord" écrit pour le 40e anniversaire de la Libération en 1984

FFI = Forces Françaises de l’intérieur

BOA =  Bureau des Opération Aériennes

Kommandantur = Structure de commandement de l’armée allemande dans une ville assiégée 

Gestapo = Police politique de l'Allemagne nazie entre 1933-1945

 

Gabriel Herbelin est né à La Saucelle (arrondissement de Dreux), le 22 juin 1907. C’est un homme maigre et d’assez petite taille, aux traits rudement burinés dans un masque volontaire. 

Il a effectué son service militaire à partir du 27 novembre 1927 au 34e régiment d’aviation, secrétaire du capitaine à la 15e escadrille et est démobilisé en avril 1929. En 1936, après une période de réserve au Mans, il est réformé à la suite d’une maladie.

 

Après avoir habité successivement la région parisienne, la Brie, le Calvados, la Bretagne, où il reste plus de cinq ans. Il vient s’installer à Nogent-le-Rotrou au mois de mars 1936.

En 1939, c’est la guerre. 

En1940, c’est la débâcle. 

A son retour d’exode, Herbelin franchit la ligne de démarcation à Moulins avec, dans les bagages, son fusil de chasse, une carabine, un revolver et 300 cartouches. Peu après, les forces de résistance qui s’organisent, comptent un adhérent de plus.

L’activité clandestine du « Résistant » ne fait pas négliger au maraîcher son jardin de l’Avenue Georges Clémenceau, ni le magasin du

N° 121 de la rue Saint-Hilaire. Sa qualité de chef de culture de la maison Truffaut, pour les graines, facilite ses déplacements                       et ses contacts.

A la Kommandantur, l’officier Roehm l’interroge une première fois en 1941 sur dénonciation.

L’affaire se termine par une poignée de main de l’officier. 

 

Le 24 septembre 1942, il est envoyé au camp d’internement de Voves. Les Allemands le relâchent le 25 février 1943.

Fin juin 1943 des membres de la Gestapo se présentent chez le suspect : arrestation, trois jours de détention, excuses ou presque.

Le 30 avril 1944, réveil à 1 heure du matin. Six Allemands gardent le devant de la maison.

Gabriel Herbelin file par derrière, après avoir embrassé son père, âgé de 77 ans. 

D’abord attaché au BOA, il s’occupe de parachutage, de réception d’armes. Il est délégué départemental de Libération Nord. 

Le département d’Eure-et-Loir ayant été divisé en quatre secteurs, on lui confie ensuite l’arrondissement de Nogent-le-Rotrou, plus les cantons de Brezolles, la Ferté-Vidame, Senonches, Courville et Illiers.

 

Le 6 juin 1944, c’est le débarquement. Ordre est donné aux « Maquisards » de prendre la position de guérilla. Le plan vert et le plan violet sont mis au point. Le plan vert a pour but la désorganisation des réseaux ferroviaires (ligne Paris-Brest) et le violet la coupure des câbles téléphoniques (câble Paris-Bretagne, 300 circuits) reliant entre autres  le Quartier Général allemand du Général Von Rundstedt à Saint-Germain-en-Laye au Quartier Général allemand de la 7e armée du Général Dollmann qui va faire face aux alliés en Normandie. 

Gabriel Herbelin participe à la création des maquis à Crucey, à La Ferté-Vidame. Un groupe se forme à Senonches.

Puis c’est Thiron-Gardais, Frétigny, La Hurie dont les Maquis se réunissent avec le groupe de La Loupe à Plainville commune de

Marolles-les-Buis, sous les ordres directs du Capitaine Herbelin alias Duroc.

 

Citation à l’ordre de l’Armée

« Un des héros de la Résistance française, a travaillé pendant trois ans dans la Résistance avec une foi, un enthousiasme et une activité inlassables, malgré les grandes fatigues et les dangers croissants. 

A organisé admirablement toute la partie ouest du département. 

Malgré les recherches actives et précises de la Gestapo, il a conduit personnellement toute les opérations de parachutage, de sabotage et de fouille du secteur. Dès le lendemain du débarquement a constitué d’importants Maquis avec une rapidité inouïe.

Le 11 août 1944, a pris d’assaut Nogent-le-Rotrou, trois jours avant l’arrivée des Américains. S’est porté en renfort dans Chartres pris par les FFI et contre-attaqué. Combattant dans des conditions de désastreuse infériorité numérique, a continué lui-même les opérations de nettoyage où il fut blessé à la cuisse droite le 14 août 1944.»

 

Résistance du 1er janvier 1942 au 25 août 1944 (862 jours).

Le 30 août 1944 a pris le commandement de la 3e compagnie du premier  bataillon de marche d’Eure-et-Loir.

 

Croix de guerre J.O. 22/06/1946,

Chevalier puis Officier de la Légion d’Honneur J.O. 21/06/1947, 

Médaille de la Résistance J.O. 23/12/1948.

Georges Gourci 
Par Georges Gourci
Mémoires confiées pour le livre " Le Maquis de Plainville " d'Annette et Yves Brissard

  • Maurice Clavel alias Sinclair, Commandant Sinclair

  • Simonne Favre-Bertin alias Silvia Monfort

  • Gabriel Herbelin alias Duroc, Capitaine Duroc

  • Jean Renauldon alias Rhône, Lieutenant Rhône

  • Charles Geslain, Secrétaire du Capitaine Duroc

  • Jean Stiesz alias Sixte, Aspirant Sixte, Chef du Groupe Corps Franc

  • André Duclot alias Belleau, Groupe Corps Franc

  • Henri Léreau, Groupe Corps Franc

  • Charles Geslain,

  • Edgard Eugène Cahour alias Létang, Sous-Lieutenant Létang, Chef du Groupe I

  • Simon Richard, Chef de l’Equipe 2 dans le Groupe I

  • Georges Gourcy, Equipe 3 dans le Groupe I

  • Emile Maquaire, Caporal Maquaire, Chef de l’équipe 3 dans le Groupe III

  • Georges Thauvin, Equipe 3 dans le Groupe III

  • Antoine de Layre, Lieutenant du Maquis de Beaumont-les-Autels

  • Georges Battu, Maquis de Beaumont-les-Autels

  • Robert Jouan alias Bob, Equipe 1 dans le Groupe II

 

SS  =SchutzStaffel (Organisation paramilitaire et policière nazi fondée en 1925)

FM = Fusil Mitrailleur

 

Né le 8 décembre 1924 à Trizay-Coutretot-Saint-Serge.

[…] Le travail ne manquait pas, j’aidais de mon mieux et passais pas mal de temps dans le bois très éloigné des routes.

J’abattais des arbres pour faire du bois de chauffage. 

C’est dans ce bois que j’ai vécu le débarquement du 6 juin. Malgré le mauvais temps beaucoup d’avions alliés circulaient  

et j’entendais au loin les bombardements. J’avoue que je n’ai pas beaucoup travaillé ce matin-là. 

A midi, nous étions tous réunis autour du poste de radio, savourant la nouvelle tant attendue…

Je continuais à faire des sorties nocturnes et quand je le pouvais, je détournais à Nogent-le-Rotrou les panneaux indicateurs allemands aux carrefours des routes. Je recherchais toujours la possibilité de rejoindre un réseau de Résistance, et c’est par hasard que cette occasion est arrivée.

Ma sœur Odette avait un amoureux, Georges Battu qui habitait Beaumont-les-Autels. Il était entré en résistance le 9 juin 1944 sous les ordres  du capitaine Antoine de Layre. Il avait été envoyé à l’instruction militaire au maquis de Plainville et avait continué à avoir quelques rares relations avec ma sœur. C’est donc par son entremise que j’ai été mis en contact avec le groupe de Thiron-Gardais. 

J’avais rendez-vous à la gare de Thiron. Je quittais donc la ferme  en disant à Arsène que le devoir m’appelait ailleurs, sans autre précision mais il avait très bien compris. Passant par chez mes parents, je laissais comme à l’habitude mon linge sale et demandais à ma mère de me donner une vieille couverture. A la nuit tombée, je quittais mes parents sans dire où j’allais et partais à pied. Passant par le bourg de Vichères, puis Rougemont, je passais par les chemins creux pour rattraper la route de La Gaudaine à Thiron. A la gare, Simon Richard m’attendait. Son épouse était chef de gare et lui, gérait la sablière qui était juste derrière. Il était près de minuit, nous sommes partis de suite par les chemins détournés qu’il connaissait pour rejoindre le Maquis de Plainville. 

Il était près de deux heures du matin quand nous sommes arrivés.

 

16 juillet 1944, au Maquis de Plainville

Sur place, l’endroit était très calme, la nuit noire. Simon m’indiqua à l’aide de sa torche, un endroit sous une grosse roche à l’entrée gauche de la grotte. Fatigué, je n’ai pas tardé à m’endormir et le matin au petit jour, réveil pour presque tout le monde.

Ouvrant les yeux, j’ai été très surpris de l’ambiance qui régnait autour de l’entrée de la grotte et des environs. Je n’osais pas me déplacer et attendais que l’on vienne me chercher. Regardant tout autour de moi, je constatai qu’une quinzaine d’hommes couchaient aussi dans l’entrée de la grotte sans en gêner le passage. Autour, quelques constructions finies et en cours de montage. Elles étaient faites de grosses branches pour l’ossature et de branchages pour les côtés et posées sur les toitures pour camoufler les bâches de différentes couleurs afin d’éviter le repérage par les avions d’observation ennemis. 

Sur le sol, il y avait de la fougère et de la paille. Des tables et des bancs construits en rondins étaient également installés près des cabanes.

Charles Geslain vint me trouver, 

se présenta comme étant le secrétaire du capitaine Duroc. 

Sortant un petit carnet, il y inscrit mon nom, mon prénom, ma date de naissance et la date d’arrivée en ce lieu. 

Il me posa quelques questions sur mon passé et mes motivations pour être arrivé là. 

Il m’expliqua la vie au campement et me présenta à son chef.

Il me signifia que j’étais affecté au groupe de Thiron-Gardais sous les ordres d’Edgar Eugène Cahour.

 

Ma première surprise fut de voir apparaître du fond de la vallée, par un escalier creusé dans la terre, trois hommes dont deux portaient sur l’épaule des bidons à lait et l’autre un grand sac contenant pain et victuailles. C’était le petit déjeuner, la distribution se fit sur le

terre-plein devant la grotte. Le café au lait était bon pour l’époque, 

il y avait un peu de café et pas mal d’orge grillée, le pain était frais et le beurre de bonne qualité. 

La distribution faite, je fis connaissance avec les gars de mon groupe, et pour me mettre dans le bain, Simon Richard me fit remettre une pelle et une pioche et me montra un endroit dans la pente, à la sortie du campement, où je devais creuser des feuillées (tranchée servant de latrines). Ce n’était pas très facile car il y avait la pente et surtout de grosses pierres blanches. Il fallait que les deux bords de la tranchée soient de même niveau mais, pour moi ce n’était pas un gros problème, sachant très bien me servir de ces outils et c’est de bon cœur que je me mis à l’ouvrage.

La discipline avait l’air de rigueur et librement consentie.

Quatre groupes et un groupe Corps Franc étaient en formation. 

Les effectifs s’étoffaient rapidement suivant les nouvelles arrivées de volontaires qui étaient presque journalières à ce moment-là.

Au cours des jours suivants, je fis connaissance des gars de mon groupe dans lequel je n’ai pas eu de peine à m’intégrer, les plus anciens n’étaient pas avares de leurs conseils.

Bien que les journées soient longues en ce mois de juillet, nous n’avions guère de temps libre.

Les tâches semblaient bien réparties entre chaque groupe.

L’entraînement au métier des armes était une des principales activités. Sous le commandement de nos chefs de groupe, Edgar Cahour et Simon Richard, tous deux anciens sous-officiers formés avant 1939 qui ne ménageaient pas leur peine pour nous prodiguer les principales règles de discipline.

Il fallait d’abord apprendre à marcher au pas, ce qui se déroulait pour tous les groupes dans le sous-bois de l’allée qui reliait la ferme de Plainville à la clairière située au-dessus de la grotte. C’était la principale voie d’accès mais utilisée le moins souvent possible. 

Nous apprenions aussi le maniement des armes, les dégraisser quand elles sortaient des containers, les monter et les démonter le plus rapidement possible. La plus facile à démonter était la mitraillette Sten et l’une d’entre elle m’avait été affectée ; le fusil Enfield et aussi le fusil-mitrailleur Bren. Nous devions tous savoir utiliser ces trois armes. Les séances de tir avaient lieu au fond de la grotte.

Un carton avec quelques ronds éclairés avec une lampe acétylène servait de cible.

Il fallait aussi assurer la sécurité du campement. Jour et nuit, relevées toutes les deux heures, cinq sentinelles étaient postées à moins de cent mètres du campement. Je me souviens de ma première garde de nuit. Je n’étais pas trop rassuré.

Il y avait aussi les corvées de ravitaillement. Trois fois par jour, l’équipe de service se rendait à la ferme de Saint Hilaire pour aller chercher les repas. Le transport des aliments dans les bidons à lait sur l’épaule se faisait en passant au bord de la rivière, le long des haies pour être à l’abri des regards terrestres ou aériens. Quand nous avons eu les deux SS allemands capturés à Manou par Sixte et  Belleau avec six hommes dont Léreau, ce sont eux qui remontaient les bidons dans la pente d’environ 30 % qui arrivait tout près de l’entrée de la grotte.

Monsieur Guyot, le cultivateur de la ferme avait mis une partie de ses bâtiments à disposition pour faire la cuisine et aussi pour éventuellement soigner les malades. Il avait pris de très gros risques car son épouse et ses trois filles habitaient la ferme.

Il y avait aussi, tout près de là,  une petite chapelle. 

Le curé de Thiron-Gardais, l’abbé Jaguin y venait dire la messe pour les croyants. A chaque fois, la chapelle était trop petite. Je me souviens d’avoir repris mes fonctions d’enfant de chœur, un peu plus sérieusement qu’à Vichères où j’avais tendance à goûter au vin de messe.

Pour la toilette du matin, chaque groupe y allait à son tour. 

La rivière, « la Vinette » n’était qu’à une centaine de mètres en contrebas et très bien ombragée, nous mettant à l’abri des regards indiscrets. Nous n’y allions pas chaque jour et pour moi c’était vite fait car je n’étais pas très barbu.

Mon instruction sur les armes et la manière de s’en servir était réduite à l’essentiel quand, pour la première fois, j’accompagnai un petit groupe à la destruction de la voie ferrée du côté de Bretoncelles. […]

Vers la fin de juillet, j’ai participé avec mon groupe au ramassage des containers tombés du ciel près de La Hurie.

Nous les avons chargé dans des tombereaux que les cultivateurs, amis des Résistants et Résistants de l’ombre avaient conduit et entreposé jusqu’aux abords du Maquis.

 

Cela faisait un peu plus de trois semaines que j’étais au Maquis et je commençais à m’habituer  à cette nouvelle et passionnante aventure. J’ai entrevu à plusieurs reprises Sinclair accompagné de Silvia Monfort, mais n’ai pris part à aucune de leurs conversations.

Sinclair à plusieurs reprises nous harangua en nous laissant entrevoir une issue rapide de nos positions clandestines.

 

9 août 1944, départ du Maquis

Le 9 août nous recevions l’ordre de nous préparer à quitter le Maquis. Destination, la ville de Nogent-le-Rotrou qui doit être libérée de l’occupant.  Chaque  groupe en ordre de marche et de combat doit emporter le maximum de munitions. Le dernier copieux repas terminé, nous attendons le début de la nuit pour nous mettre en marche. 

Avec ma fonction de pourvoyeur au fusil mitrailleur, j’ai une bonne charge de cartouches en plus de ma mitraillette Sten, plusieurs chargeurs et aussi pas mal de balles de 9 mm. 

La colonne s’étire sur quelques centaines de mètres, passant par Saint-Hilaire, remontant par la petite route au nord de Coudreceau

pour rejoindre la route de Brunelles à Nogent-le-Rotrou.

Je commence à fatiguer sous le poids des munitions, de plus j’ai perdu le talon à l’un de mes souliers, ce qui me gêne énormément. 

Le Capitaine Duroc ayant rendez-vous avec les parachutistes, la  colonne est commandée par son adjoint, le Lieutenant Renauldon. 

Arrivé dans le bois de Perchet, le lieutenant stoppe la colonne au carrefour du chemin qui conduit à la ferme de l’Argenterie. 

Nous devions attendre le retour de Duroc avant d’aller attaquer Nogent-le-Rotrou. Je ne sais pour quelle raison, aucune précaution défensive ne fut prise. Toute la troupe est restée à  l’emplacement qu’elle occupait.

C’est alors que nous avons entendu le mot: « Halte ! »

Les groupes II, III et IV et le groupe Corps Franc étaient stoppés à l’embranchement du chemin et le groupe I (le mien) était en face du côté droit, sur la berne. 

Fatigué. Je me suis endormi immédiatement et n’ai pas entendu le char de dépannage allemand arriver. Il stoppa juste à côté de moi. Bien sûr j’ai été réveillé en sursaut et figé sur place. Je n’avais plus aucun gars de mon groupe près de moi. Ils avaient entendu le bruit des chenilles arriver et s’étaient écartés de la route et plus rapidement encore dès que les quatre groupes qui étaient de l’autre côté de la route se sont mis à tirer sur le char. Restant couché, j’ai tiré quelques rafales de mitraillette sur les deux Allemands qui étaient descendus avec une lampe torche. 

Je n’osais pas me replier car les balles, surtout amies sifflaient de partout. La détonation d’un obus de bazooka me fit sursauter, je crois que je n’ai jamais eu aussi peur. 

Quelques instants après, Rhône cria : « Cessez le feu! ».

Plus aucun tir du char. Le groupe Corps Franc s’approcha et découvrit les deux Allemands tués et deux prisonniers russes mongols qui étaient restés cachés au fond du char. Robert Jouan avait pris une balle dans le dos. A 87 ans, il vit toujours avec cette balle dans le dos.

Duroc arriva au petit jour et avec ce qui s’était passé il n’était plus question d’aller attaquer Nogent où les allemands devaient être sur la défensive. J’avais perdu mon groupe qui était reparti à Plainville. 

Me plaignant de ma situation difficile pour marcher, Duroc m’autorisa à prélever une paire de chaussures sur l’un des allemands tués. 

Nous avions presque la même pointure et je pouvais repartir du bon pied. 

Ne sachant où rejoindre mon groupe, j’ai passé la journée à la ferme de l’Argenterie à aider au ravitaillement de ceux qui étaient restés dans le bois de Perchet. C’est au cours de la nuit que j’ai retrouvé mon équipe pour partir libérer la ville de Nogent-le-Rotrou. 

 

Libération de la Ville de  Nogent-le-Rotrou

Mon groupe aborde la ville en passant par Champrond-en-Perchet, le plateau Saint-Jean, pour prendre position aux abords Est

du Château Saint-Jean, dominant au sud la route de Souancé-au-Perche que mon tireur au fusil mitrailleur prend en enfilade. 

Avant d’aller prendre position, je me souviens d’avoir rencontré Georges Thauvin de l’équipe Maquaire qui venait de prendre une balle ennemie en pleine figure. Il avait la bouche en sang et sur le coup ne semblait pas trop souffrir.

C’était le premier blessé que je rencontrais. Il marchait accompagné de l’un de ses camarades et allait se faire soigner.

En fin de matinée, Emile Maquaire et Robert Chaboche hissent un drapeau français sur le donjon du château.

Ce grand drapeau leur a été mis à disposition par un Nogentais habitant près du château. 

Ce geste fut très vite salué par les Allemands qui envoyèrent quelques obus tirés d’en bas.

Les éclats volèrent autour de nous sans nous atteindre.

En cours de matinée, un side-car allemand se présenta à portée de notre FM et des fusils de mon équipe.

Ce coup de main fut vite réglé, le side-car fit une embardée et les trois Allemands mis hors combat. 

Le reste de mon groupe opérait route des Etilleux et du Mans, en collaboration pour un certain temps avec les parachutistes (Canadiens- Belges) qui avaient été parachutés à Montgraham.

Mon équipe avait la mission d’avoir une sentinelle sur la route venant de Pados.

J’y ai assuré quelques tours de garde sans rencontrer personne.

En fin de soirée  Sinclair donna l’ordre de repli. Nous pensions tous qu’après les trois dernières journées passées, il souhaitait donner un peu de repos à ses troupes pour les retrouver aptes au combat le lendemain.

Duroc ne l’entendait pas de cette oreille et voulait continuer le combat. 

Il accusa même certains d’avoir crié que le capitaine était mort et qu’il fallait donc se replier. Ne le voyant pas se replier, il est probable que certains hommes aient dit cela. Pendant très longtemps la polémique a perduré à ce sujet.

Nous avons campé dans le bout du bois de Perchet et le lendemain matin, nous repartions vers Nogent-le-Rotrou que l’on trouva vide

de ses occupants allemands. C’était la liesse!

Pendant trois jours, nous avons assuré la garde et le contrôle des différentes routes d’accès à la ville, récupéré et cantonné les divers prisonniers à la caserne qu’à nouveau nous occupions.

 

Libération de Chartres

Le 15 août dans la matinée, toutes les troupes disponibles étaient rassemblées par groupes sur la place Saint Pol. […]

Sinclair et Duroc nous précisèrent qu’il fallait continuer la lutte et immédiatement nous embarquions, direction Chartres. 

 

Georges Gourci a été Trésorier de l’ARSO (Association des Anciens Résistants du Secteur Ouest) de 1998 à 2001.

Il a été Président-Secrétaire de 2001 à 2013, date à laquelle il a demandé à l’Association des Amis du Maquis de Plainville de se regrouper pour ne former qu’une seule association:  L’ARAMP ( Association des Anciens Résistants et des Amis du Maquis de Plainville)

Henri Léreau
Par Henri Léreau

Mémoires confiées pour le livre " Le Maquis de Plainville" d'Annette et Yves Brissard

  • Gabriel Herbelin alias Duroc, Capitaine Duroc

  • Jean Renauldon alias Rhône, Lieutenant Rhône

  • René Grignon alias Loupiot, Sergent Loupiot, Chef de l’Equipe 1 dans le Groupe II

  • Albert Richard, alias Bertaut, Doyen du Maquis 

  • Gérard Dusse, déserteur Prussien de Brandebourg, Equipe 3 dans le Groupe III

SS = SchutzStaffel (Organisation paramilitaire et policière nazie fondée en 1925)

 

[…] De retour à la Loupe, avec l’aide de Monsieur Panier, nous montons un camion au gazo-bois. Je fais quelques transports, surtout clandestins. Je transporte du blé et de la farine afin de ravitailler la population. Cela comportait certains risques car je n’avais aucun papier. […]

 

Le débarquement le 6 juin

Début juin 1944, René Grignon et moi sommes informés que nous devions retourner à La Loupe. Nous prenons donc la route à vélo. L’un des deux vélos fonctionnait mieux que l’autre et tout au long du trajet nous échangeons nos engins. Nous mettons deux jours pour rentrer. 

Le jour de notre arrivée nous constatons que la ville était bombardée.

Quelques jours après, nous partons pour le Maquis de Plainville sous une pluie battante. Arrivés au Maquis, nous couchons dans les grottes. Après cette nuit, nous nous occupons à couper des branchages pour fabriquer des cabanes. Malheureusement, elles n’étaient pas étanches. […]

 

Comme je l’ai expliqué, j’avais fait mon service militaire dans le génie, j’avais donc appris à me servir d’explosifs. Les jours suivants, nous sommes partis faire sauter le câble téléphonique qui reliait Paris à la Bretagne. […] 

Ce jour-là, je pense au camion qui nous serait utile afin de ne plus aller à pied. Ce véhicule nous serait notamment nécessaire pour les parachutages. […]

Le jour que j’attendais enfin d’avoir un camion arriva, vers le 10 juillet. Nous avions fait plusieurs tentatives sur des véhicules roulants, mais ils n’étaient pas récupérables. Le Lieutenant Rhône nous avait dit que si nous voulions un camion, il fallait aller le chercher. Il nous indiqua  que des SS étaient cantonnés au Grand Rond dans la forêt de Senonches et qu’ils venaient se ravitailler en eau à la pompe sur la place de Manou. (cf texte:Le Camion de Manou). 

 

En discutant avec nos deux prisonniers, ils nous apprennent que l’un d’eux est Allemand, âgé de 18 ans et que l’autre est Hongrois. L’Allemand pleurait, le Hongrois s’inquiétait pour sa famille. 

Le soir des camarades du Maquis sont venus les chercher et nous sommes rentrés nous aussi, heureux de n’avoir pas à marcher.

La première nuit, équipés de notre camion, nous faisons sauter le câble dans la côte de La Bance, près du Theil-sur-Huisne. 

 

Malheureusement, un problème s’est posé, en effet, nous avons un camion, mais pas d’essence. Le Maire de La Loupe nous informe que les cars Beaucerons ont une réserve de six cents litres qui vient d’être réquisitionnée par les Allemands. Ces derniers doivent en prendre possession le lendemain. Pour le moment, les bidons se trouvent chez un cultivateur au « Ruisseau » proche de La Loupe. Nous prenons immédiatement la route avec Bertaut. Nous sommes toujours déguisés en Allemands. […]

 

9 Août 1944. Je prends un chemin et je décide qu’il faut camoufler le camion sous les arbres. Nous nous couchons derrière un talus car nous avons peur que les Allemands nous suivent. Après une heure d’attente, nous nous mettons à la recherche d’un nouveau chemin qui nous conduirait dans les bois de Perchet. En effet, les autres Maquisards se trouvaient dans ce bois. Nous nous y sommes tous rejoints et y avons passé la journée.

Duroc, commandant du Maquis de Plainville,  notre chef de Maquis, m’avertit que le lendemain, au petit jour, il fallait aller chercher des mines antichars, des munitions et les quelques hommes restés au maquis.

Je pars donc le lendemain. Cette journée commence mal. J’entre dans le bois par une allée remplie de fougères hautes d’un mètre cinquante. Je ne vois rien. Le camion tombe dans un trou de marnière. J’aperçois à travers les branches, une maison. Je me dirige vers l’endroit. Il s’agit d’une ferme. J’explique ma situation au fermier. Celui-ci me propose d’atteler ses juments avec un pied de tenue (une chaîne). On l’accroche sur le camion. Tout se passe à merveille et je peux continuer mon chemin, mais cette fois, Gérard est devant pour nous signaler d’éventuels trous. J’arrive sur la route D110 de Nogent-le-Rotrou à Brunelles.

J’avais un problème, il ne me restait pratiquement plus d’essence et les fûts du Maquis étaient vides. Il me fallait aller chercher celui qui était resté chez Monsieur Hardy à la laiterie de Vieux-Landon.

Je prends la route de Saint-Denis-d’Authou, direction Montlandon. Mais, sur le plateau, je découvre que la cour de la laiterie est envahie par une Compagnie allemande. Je n’ai plus le choix, je n’ai plus d’essence. Je rencontre Monsieur Houi, cantonnier à La Loupe qui est réfugié dans une ferme voisine. Il a une faux et un paquet de liens en paille de seigle sur l’épaule. Il est surpris de me voir habillé en allemand. 

  • Il me dit : « Mais c’est bien le gars Henri ! Il y a très longtemps que tu es avec eux ? » 

  • Je lui réponds : « Non et pas pour longtemps ».

 

Je continue mon chemin. Celui-ci est gardé par une dizaine d’Allemands qui ne veulent pas se déranger. Je les dépasse et prends le chemin de la ferme. Lorsque j’arrive dans la cour de la laiterie, les Allemands sont en train de faire leur toilette. Je prends mon virage à toute vitesse dans la cour. Je fais une marche arrière  pour accoster au quai où j’avais repéré le fût. Je descends du camion et ouvre la porte arrière et je bascule le fût. Je redémarre en dessinant un grand cercle dans la cour. Je ne sais pas quelle réaction vont avoir les Allemands. C’est alors que les soldats se dégagent avec leurs ustensiles pour me laisser la place.

Je reprends le même chemin et je découvre des vaches en train de s’abreuver. Deux d’entre elles prennent peur, ce qui m’oblige à ralentir. La première se jette au talus, quant à l’autre, elle reste sur la route, j’ai désormais la place pour passer. 

Le passage enfin libre, j’emprunte le route D351 au passage à niveau. Tous les Allemands de garde sautent sur les fusils mitrailleurs qui étaient  de chaque côté du passage. S’ils s’aperçoivent de quelque chose, mon compte est bon. Le temps qu’il me faut pour traverser me paraît une éternité. Au passage, je salue l’officier, mais je suis obligé de m’arrêter au deuxième virage à quatre cent mètres car je n’ai plus d’essence. Mon coéquipier était mort de peur. J’ai mon fût et un broc percé et je réussis tant bien que mal à mettre un peu d’essence dans le réservoir et à réamorcer la pompe.

Arrivé au Maquis, nous récupérons les mines ainsi que les hommes qui étaient restés. De retour à Nogent-le-Rotrou, j’ai rendez-vous sur la D110 qui monte sur le bois de Perchet à la sortie de la ville.

Je rentre dans un pré et je dissimule le camion sous un pommier car j’ai surtout peur des avions, amis ou ennemis. Quelques instants après, j’entends un premier sifflement, puis un deuxième, suivi de quatre traits. Je suis toujours habillé en Allemand. Je pense que ce doit être les camarades mais que ceux-ci ne me reconnaissent pas. Je prends mon mouchoir et je l’agite. Je pense que tout va s’arrêter, mais les sifflements recommencent de plus belle. D’où je suis, je découvre toute la vallée, et je vois des Allemands sur le petit pont de la route de Paris qui nous tirent dessus. Nous remontons alors dans le camion. 

Là encore, nous avons eu de la chance.

Sur notre chemin, nous rencontrons des camarades du Maquis qui se replient. L’un d’entre eux avait été tué, d’autres blessés.

Nous avons attendu jusqu’au soir pour voir le drapeau français flotter sur le Château Saint Jean, mais tout n’est pas terminé pour autant.

Le lendemain matin, les Allemands étaient partis en direction de Paris. Le 14 août, les Américains sont arrivés et nous avons été au calme pendant quelques jours. Nous avions récupéré quatre camions. J’étais devenu « Chef du groupe Auto ».

On m’appelait pour conduire des camarades à Chartres, et pour monter ensuite sur Paris. 

11 août: Libération de Nogent-le-Rotrou,

15 Août: Libération de La Loupe,

16 août: Libération de Chartres,

22 août: Libération de Beaugency,

25 août: Libération de Paris,

27 août: Libération de la Nièvre.

 

Toujours fidèle à l’ARSO ( Association des Anciens Résistants Secteur Ouest), Henri a assumé la fonction de secrétaire–trésorier  de 1970 à 1977 puis la fonction de trésorier de 1977 à 2013 date à laquelle l’ARAMP a pris le relais.

Un fidèle, parmi les fidèles. Henri revenait au Maquis chaque fois qu’il était ouvert au public afin de partager  « son Histoire ».

Joseph Le Berre 
Par Joseph Le Berre
Mémoires confiées pour le livre "Le Maquis de Plainville" d'Annette et Yves Brissard

  • Gabriel Herbelin alias Duroc, Capitaine Duroc

  • Lucien Egger, Chef du groupe IV

  • Robert Fonteix, Equipe 1 dans le Groupe IV

  • Léon Dessommes, Equipe 3 dans le Groupe IV

  • Raymond Dessommes, Equipe 3 dans le Groupe IV

  • Jules Lepêcheur, Pére de famille, venu guider le Groupe Corps Franc pour prendre les Allemands en revers

 

STO = Service Travail Obligatoire

Nazi = Abréviation de l'allemand National Sozialist 

 

L’immense majorité des français a vécu douloureusement la défaite militaire de 1940.

Habitant Paris, j’ai fui l’avance ennemie : mon exode s’arrêta en Dordogne.

C’est à Ribérac que je vis pour la première fois des soldats allemands. La vue de ces hommes provoqua chez moi une terrible émotion, en fait une haine énorme: mon pays était vaincu, occupé, violé, je ne pouvais plus respirer, j’avais une boule dans la gorge, elle m’étouffait: infiniment malheureux, les larmes coulaient de mes yeux sans que je puisse les arrêter. 

J’avais 17 ans et demi, je m’en souviens comme si c’était hier.

 

Quelques temps plus tard, je me trouvais dans une épicerie-café  lorsqu’arrivèrent plusieurs jeunes soldats allemands guère plus âgés que moi. Le regard que je portais sur eux exprimait sans doute quelque chose qui leur déplut. L’un d’eux se dirigea rapidement vers moi, sortit son poignard, me le mit sous la gorge, me piqua au sang et m’insulta « copieusement » dans sa langue. Si ses camarades ne l’avaient pas calmé, je ne sais comment cela aurait fini. Les français devaient baisser les yeux, raser les murs, descendre  du trottoir.

 

J’ai travaillé dans une ferme jusqu’au mois de juin 1943, date à laquelle  j’entrais en dissidence (clandestinité). Comme l’atteste le document joint, je fus arrêté dans le train à Orléans (j’étais allé voir ma mère à Paris), au titre d’insoumis et réfractaire au STO en Allemagne. En vertu de la loi du 4 septembre 1942 et du 16 février 1943, le STO faisait obligation à tous les jeunes garçons nés en 1922 de partir travailler en Allemagne afin de participer à l’effort de guerre. Comme un criminel je fus photographié de face et de profil. On prit les empreintes de mes dix doigts, puis je fus placé en cellule. Pourquoi l’inspecteur Guillard (rapport ci-joint) me libéra-t-il en indiquant sur le rapport au crayon bleu : « à laisser libre pour rejoindre son domicile » ? 

 

J’avais protesté de mon innocence, affirmé que je n’avais jamais reçu de convocation, ce qui était faux bien sûr.

 

A partir de ce jour, je devins un homme traqué, sans papiers, sans cartes d’alimentation... J’étais venu me cacher à Vaupillon (près de La Loupe en Eure-et-Loir),  j’allais de ferme en ferme pour travailler, pour me nourrir.

J’aspirais depuis longtemps à entrer dans la Résistance armée. Au fil des années d’Occupation ma haine du boche s’était fortifiée. 

Juillet 1944, je suis réfractaire au STO depuis treize mois. Je travaille dans une ferme de la commune de Vaupillon aux Turets, chez Madame et Monsieur Bouillie. Je suis garçon de cour, avec moi travaille un charretier Marcel Dessommes

Les alliés ont débarqués au mois de juin 1944, et je  n’ai toujours pas eu la possibilité de rejoindre la Résistance.

Je veux faire quelque chose pour mon pays.  

Le 14 juillet approche, je pense aller déposer à minuit un bouquet au pied du modeste monument aux morts de Vaupillon. 

J’ai confiance en Marcel Dessommes, je lui confie mon projet, il l’approuve, mieux il rallie son frère Raymond à cette idée.

Le 13 juillet nous cueillons dans les champs de céréales, des bleuets, des grosses marguerites, et des coquelicots.

Le soir discrètement nous confectionnons un très gros bouquet aux couleurs de la France.

À vingt-trois heures, nous partons à Vaupillon, distant de quatre kilomètres. Prenant mille précautions, car le couvre-feu est de rigueur et implacable, et la nuit, les allemands se déplacent beaucoup.

Arrivés à Vaupillon nous déposons notre bouquet et rentrons nous coucher.

Deux jours plus tard, un ami, Lucien Egger me demande si j’accepterai de rejoindre la résistance armée. Je suis heureux, j’attendais cet instant depuis des mois. 

Dans la nuit du 18 juillet, en compagnie de Lucien Egger, et des deux frères Dessommes j’entrai au maquis de Plainville à Marolles-les-Buis sous les ordres du Capitaine Herbelin. 

Je participais à quelques sabotages avant l’attaque de la garnison allemande de Nogent-le-Rotrou. Deux camarades de mon groupe sont morts près de moi, Fonteix et Lepêcheur. Plusieurs ont été blessés. La chance veilla sur moi. Après la Libération, je m’engageai pour la durée de la guerre. 

Les nazis vaincus, cette haine que j’éprouvais contre l’occupant cessa totalement lorsque je fus affecté à la garde des prisonniers. Ils étaient vaincus, pitoyables, malheureux. Autant que je l’ai pu, j’ai veillé à ce que les prisonniers qui étaient sous ma garde puissent manger à leur faim et ne soient pas maltraités. Ne fumant pas, je leur donnais mes cigarettes, en prenant le risque d’être puni par mes supérieurs.

La guerre est une horreur abominable, pourtant inévitable lorsque la démocratie et la liberté sont bafouées.

A bientôt 86 ans, je suis toujours  un Résistant…

Ils se souviennent !
Par Maurice Olivier Chèvre alias Ervehc, Groupe Corps Franc
et par Raymond Dutertre, Résistant à La Loupe puis Equipe de cuisine au Maquis de Plainville

  • Jacques Chaban-Delmas né Delmas, alias Chaban, délégué militaire national chargé de transmettre les ordres du Haut-commandement interallié (Général Koenig) à la Résistance intérieure et de veiller à leur application

  • Maurice Clavel alias Sinclair, Commandant FFI d’Eure-et-Loir

  • Gabriel Herbelin alias Duroc, Capitaine Duroc

  • Jean Renauldon alias Rhône, Lieutenant Rhône

  • Jean Stiesz alias Sixte, Aspirant Sixte, Chef du Groupe Corps Franc

  • André Duclot alias Belleau, Aspirant Duclot, Groupe Corps Franc

  • Henri Léreau, Groupe Corps Franc

  • Jacques Coutard, Groupe Corps Franc

  • Maurice Olivier Chèvre alias Ervehc, Groupe Corps Franc

  • Robert Branchard alias Bob, Groupe Corps Franc

  • Guislain Roche alias William, Aspirant William, Chef du groupe II

  • Lucien Cado, Résistant et Maquisard

  • Albert Richard, alias Bertaut, Doyen du Maquis

  • Robert Tapie, Chirurgien-Dentiste, Médecin auxiliaire au Maquis

  • Paule Malvos, Assistante Sociale, Infirmière au Maquis, "Résistante dans l’ombre »

  • Charles Geslain, Secrétaire du Capitaine Duroc

  • Omer Grignon, Chef des Pompiers de La Loupe

  • René Langlois, Secrétaire de Mairie à Fontaine-Simon

  • Raymond Dutertre, Equipe de cuisine au Maquis

  • Gustave dit « Tatave » aide-cuisinier

  • Roger Bobet, Boucher

  • Georges Legros, Boucher

  • Gilbert Vallet, Epicier de Thiron-Gardais, 

PC = Poste de Commandement

FFI = Forces Françaises de l’intérieur

GV = Garde-Voie

STO = Service du Travail Obligatoire pendant WWII

Kommandantur = Structure de commandement de l’armée allemande dans une ville assiégée

Deutsche Bahn = nom donné à la SNCF

SS = SchutzStaffel = Organisation paramilitaire et policière nazie fondée en 1925

 

Aujourd’hui, en Juin 2022, soit 78 ans après la Libération de Nogent-le-Rotrou et La Loupe par nos jeunes Résistants et Maquisards d’Eure-et-Loir Ouest, nous avons encore deux « survivants » sur les cent-soixante-dix qui se sont engagés pour se battre contre l’envahisseur.

C’est toujours avec beaucoup d’émotion qu’ils nous racontent ces quelques semaines au Maquis de Plainville et leurs activités au sein de ce groupe de Maquisards, chacun à son poste mais indispensable aux autres: sans « popote », on ne peut tenir le coup! et si l’on a pas la force de se battre, on devient inutile au groupe et à l’objectif qui a été donné par le Général Koenig, Commandant FFI:

 

« Le harcèlement continu des troupes ennemies et la destruction de leurs moyens de communication et de transmission. »

 

Maurice Olivier Chèvre alias Ervehc, Groupe Corps Franc, « spécialiste du bazooka » qui fêtera  ses Cent ans en septembre 2023. Il nous raconte:

 

Lors de l'exode de la guerre 1914-1918 ma grand-mère Lampin et ses trois filles sont évacuées du Nord-Pas-de-Calais. Elles se retrouvent à Bretoncelles après plusieurs centres d’accueil et arrivent à Nogent-le-Rotrou. 

Je suis né à Nogent-le-Rotrou  le 23 septembre 1923 sous le nom d’Olivier Lampin. Pas très doué à l'école je vais jusqu'au certificat d'étude (obtenu difficilement mais je suis 1er au catéchisme).

 Ma grand-mère parle ch’ti. Je la comprends difficilement.

Pendant la guerre, je suis arrêté deux fois et réquisitionné une fois :

- En Mai 1941, à dix-huit ans avec mon cousin nous descendons du stade après le couvre-feu. Arrêtés par la patrouille  avec d'autres Nogentais, les militaires allemands nous trimballent dans toute la ville. Nous sommes enfermés à la caserne Sully dans une cellule à coups de crosse et de pieds: côtes et nez fracturés pour moi.

Le lendemain, à l’interrogatoire sous la douleur je donne mon nom de naissance, alors que je porte le nom de Chèvre depuis plusieurs années ayant été reconnu par le futur mari de ma mère. On me demande de me présenter à la Kommandantur tous les dimanches matins, pour signer ma présence.

Le premier dimanche, l'officier m’appelle Lampin !

Horreur, je m’aperçois de l'erreur. Je ne dis rien. 

Le troisième dimanche, j'ose lui demander pourquoi je dois passer tous les dimanches? Il me répond de ne plus revenir mais qu'en cas de terrorisme sur le matériel ou sur les Allemands je serai arrêté et fusillé. Je dis oui en tremblant et rentre vite chez ma grand-mère.     

- En 1942, la police française m’arrête avec les menottes sur dénonciation: direction le commissariat à la mairie. 

L'inspecteur Guichandu m'interroge dans son bureau. Il me demande « qui a cassé la vitrine du libraire Mr Hamard. »

 Je réponds que je ne sais pas.   

Après trois énormes beignes, je ne dis toujours rien!

Direction la cellule toute la journée avec les menottes. 

Dans la soirée, l'agent de la Vaquerie  m'apporte à manger et me dit de me sauver: « Fais gaffe pour Guichandu, tu es un voyou! »

Effectivement, un mois plus tôt, mon cousin et moi avant six  heures du matin, avons cassé cette vitrine avec deux pavés de cinq kilos.

Nous avions été dénoncés … Par qui ???

 

Arrivé chez ma grand-mère, je prends mon vélo et direction la ferme des Dordoigne faire les moissons… Je les connais. 

Je me cache et travaille à la ferme.

On fait un peu de marché noir: cigarettes et chaussons que je fabrique chez Mr Habert, contre du beurre et des œufs.

 

Début 43, des policiers Français et Allemands viennent m’arrêter sur dénonciation pour terrorisme.

Je m'échappe grâce à mon double nom! 

Ils recherchent Lampin et non Chèvre… 

Ils reviennent mais je me suis échappé. 

Une trentaine de personnes est embarquée en camion. Plusieurs n'en reviendront pas.

En Août, le conseil de révision est avancé. Je me présente au culot, bien que je sois recherché. Nous sommes une vingtaine tous aptes pour le STO. 

Je ne veux pas partir.

Grâce à une connaissance, je rentre à la Deutsche Bahn. Un cheminot est mort, écrasé par un train.

Une veine pour moi. Plus de STO. 

Engagé comme visiteur. Je surveille le bon fonctionnement des wagons à l’arrêt des trains en gare. 

Quelquefois, on profite de cet arrêt pour changer les feuilles de destination dans le « garde à manger » (situé à l’extérieur du wagon).

Les Allemands sont furieux! 

Je transmets  les horaires des trains à Mademoiselle Malvos, résistante, qui me connaît depuis toujours. Elle s'occupe de faire de faux papiers avec de vraies pièces d'identité. 

 

Le 6 juin, c'est le débarquement en Normandie.

Du 10 au 13 juin, la gare est bombardée sans cesse par les avions alliés. Je suis réquisitionné avec d'autres pour réparer les pistes du camp d'aviation de Saint-André-de-l’Eure. 

Tous en camions sur la route, je m’échappe après trois bombardements par les avions alliés. 

Pendant plusieurs  jours je me cache dans la forêt et je reviens à Nogent-le-Rotrou.

Mademoiselle  Malvos m'envoie au Maquis de Plainville. 

Je suis allé en premier à La Hurie voir Monsieur Maquaire, de sa part.

Après une nuit dans son étable, nous partons le matin vers cinq heures au Maquis.

A ma grande surprise, je rencontre Monsieur Herbelin, chef du Maquis. J’ai travaillé chez lui à de petits travaux de jardinage. 

Je retrouve aussi Lucien Cado et mon copain Robert Branchard.

Le 21 juillet, Monsieur Geslain, secrétaire du Capitaine Duroc, me fait signer mon engagement militaire. Matricule 1264 inscrit à l'intérieur de mon brassard FFI. Ma nouvelle identité est désormais Maurice Chèvre alias  ERVEHC (Chèvre à l’envers). 

Je n'utiliserai jamais cette carte.

Le lendemain matin, les nouveaux arrivants tirent au revolver et au fusil anglais dans la grotte de Plainville longue d’une cinquantaine de mètres. Je fais mouche à toutes les fois. 

Jean Stiesz me prend dans son groupe  « Corps Franc ».

Guislain Roche nous entraîne aux maniements des armes (mitraillette Stein, Bazooka, Remington).

Nous partons vers La Loupe retrouver d'autres Résistants le lendemain.

Le Capitaine Duroc n'est pas content de perdre des bonnes recrues. Il me le fera payer plus tard !

Nous dormons dans des fermes jamais à la même adresse, une fois chez le maire de La Loupe. Nous mangeons très bien.

Tous les gens nous nourrissent. 

Nous sortons pratiquement toutes les nuits: repérages, plasticages, réception de parachutages.  Nous revenons très peu au Maquis, seulement pour dormir (une à deux fois).

Deux jours après notre arrivée, avec Sixte  nous allons à la gare de Nogent-le-Rotrou dans la camionnette de Rhône de La Loupe.

Sixte me demande de tirer sur un wagon citerne avec le Bazooka. Dans le mille. Nous détalons vite.

Le jour de la prise du camion allemand de Manou, nous partons à neuf  gars. La veille, nous avions repéré les lieux. En effet tous les jours à la même heure, les Allemands viennent chercher de l'eau à la fontaine du village. Le jour dit, on détruit le réseau téléphonique avec du Plastic. Je surveille avec Bob les routes d'accès. L'opération a pris quatre  minutes et pas de blessé. 

Dans le camion il y a deux SS et six prisonniers Algériens. 

Sixte, Henri, Belleau et Jacques attaquent le camion.  

Le camion est caché à la Fauverdière jusqu’à la nuit. 

Les Algériens sont libérés dans la campagne. 

Les Allemands sont prisonniers au Maquis. 

Quelques jours avant, après trois plasticages (le dernier de 30 kilos)  on détruit le pont en fonte de Courtemiche. 

Je me souviens avoir participé à sept plasticages. 

Vers le 4 août, près de St Victor-de-Buthon, on part avec le camion allemand. Deux gars sont habillés en militaire allemand.

Dans un champ, on attend jusqu’à trois heures du matin. Un bruit de moteur. On installe des torches à piles espacées de six mètres. 

L’avion passe une fois assez bas, puis revient. On fait clignoter nos lampes. C'est un « Lysander », il atterrit. 

Deux hommes en civil descendent avec des sacoches. 

On décharge les caisses. L'avion repart.

Ces hommes doivent rejoindre Paris, au plus vite. 

On les emmène à Fretigny avec le camion. 

Je saurai plus tard que l'un d'eux était Chaban-Delmas. 

 

Le 10 août 1944, dans la journée nous partons du Maquis à pied et très équipés, pour libérer Nogent-le-Rotrou. 

J'ai le Remington avec 12 balles et des  grenades accrochés à ma ceinture, plus le bazooka. 

Nous arrivons le soir dans les bois de Perchet. Impossible de dormir. Vers cinq heures, on entend un char. Sixte me donne l'ordre

de le « bousiller » avec le bazooka. Une chenille est morte.

Sur les quatre militaires, deux sont tués et les deux autres sont faits prisonniers. 

 

On part à Nogent-le-Rotrou. 

A la Cornillière, deux groupes de quinze gars  se forment. 

On  arrive au stade, un homme nous dit que quatre Allemands armés se cachent plus loin. Duroc nous dit de les prendre à revers par le champ de courses. 

Derrière une haie, on tire! 

Résultat: deux tués, un blessé, un prisonnier. 

On arrive à la Galisière puis à l’hôtel Goëthals par derrière, en sautant un mur, pensant en découdre avec les Allemands, mais personne ! 

La veille les Allemands sont partis laissant un bordel monstre. 

Cet hôtel particulier deviendra le PC du Commandement FFI avec Sinclair, Duroc, Rhône…

Sixte nous place, Coutard et moi sur le mur au-dessus de la rue Gouverneur afin de surveiller les mouvements des boches. 

A partir de neuf heures, des Allemands passent très vite à pied ou en motos, venant du Paty vers Paris. 

On tire: deux tués et un blessé. 

 

Vers quatorze heures, le Sous-Préfet et le Maire Monsieur Dourdoigne accompagnés de deux Allemands  arrivent avec un drapeau blanc.

Ils veulent parlementer. L’officier demande d’arrêter les combats et de se rendre.  Duroc refuse. Les Allemands répliquent qu'ils ont des otages à la mairie. Duroc redit non. Tout le monde repart. 

 

Vers seize heures , une deuxième délégation revient. Les mêmes plus un officier supérieur. Ils entrent dans la cour.

Trente gars sur-armés présentent les armes de chaque côté de l’allée.

L'officier Allemand (francophone) dit qu'ils tueront les otages.

Duroc répond: « … que pour UN Français tué, on tuera DIX Allemands à Berlin ». 

Duroc leur demande d'évacuer la ville. 

L'officier le menace de revenir avec un char et des canons.

 

Vers dix-huit heures, deux canons 75 situés en haut de la rue de la République nous tirent dessus. Sixte nous demande de quitter l’hôtel. En remontant la Galisière, on arrive au château.

Avec six gars on descend le champ de Monsieur  Daupeley pour arriver dans le jardin de Mademoiselle de Vaux. Echanges de tirs fournis. 

On entre dans la maison. Les gars montent au premier étage et arrosent la rue de  grenades.  

En sortant vers son abri Mademoiselle de Vaux est grièvement blessée.

Sixte me dit de sortir par la porte cochère avec le bazooka et de tirer sur le canon se situant à trente mètres.

A peine sorti un boche m'envoie une rafale de mitraillette. Je tombe à la renverse. Je suis conscient.

J'ai reçu onze balles de la cuisse à la tête. Je saigne beaucoup.

Les gars me remontent dans le jardin au-dessus de la maison.

Je suis seul. J'entends Mademoiselle de Vaux appeler au secours. Geslain revient, appelle quelques gars qui démontent une porte et me transportent à la ferme Larsonneau (transformée en infirmerie) à deux kms vers Thiron. 

Je geins de douleur. Robert Tapie, fait les premiers soins: piqure calmante et pansements. 

Avec d'autres blessés je reste là toute la nuit. Je souffre énormément.

Dans la nuit, les Allemands ont abandonné la ville sans faire ni massacres ni dégâts.

NOGENT est libéré!

Dans la matinée, vers dix heures, toujours allongé sur ma porte les gars me descendent à l’hôpital de Nogent-le-Rotrou.

Je suis opéré par le Docteur Boutron.  

Après deux jours de coma plus l’extrême-onction administrée par l'abbé Thibaut, je me réveille. 

La sœur Jeanne me demande: « Mon fils, vous êtes allé au ciel, qu'avez-vous vu? » 

Aucun souvenir de ma réponse. 

Je reçois du sang de trois personnes dont Madame Hoguet et le jardinier de l’hôpital (alcoolique notoire). 

Le Docteur Boutron ordonne de me nourrir avec une bouteille de champagne (à la petite cuillère) prise à l’hôtel Les Dauphins. 

Quel  traitement!

 

Le 14 Août, les Américains arrivent à Nogent-le-Rotrou, avec du matériel et des médicaments (antibiotiques, sang blanc…).

Mes pansements sont changés tous les jours. La plaie de la jambe est ouverte, se nécrose. 

La sœur gratte les tissus nécrosés et les morceaux d'os restants. 

On m'attache pour les pansements tant la douleur est insoutenable (nettoyage à l’éther).

Je suis perfusé en continu et  sans bouger car ma  jambe est en extension!

J'ai des escarres aux fesses et au talon droit. On m'installe une chambre à air de moto sous les fesses et des épluchures d'orange au talon.

J'ai beaucoup de visites, beaucoup de cadeaux. Duroc n'est jamais venu me voir, mais Robert Tapie vient souvent et  me donne le nom de mon dénonciateur! 

Les plaies s'infectent, on me dirige d'abord à l’hôpital de Chartres puis  à l’hôpital Foch à Suresnes  où je suis très bien soigné par le Professeur Merle d'Aubigné qui me sauve la jambe par une ultime opération. 

Re-extension puis pendant plusieurs mois, kinésithérapie faite par un colosse noir sourd et muet qui n'entend pas mes cris. 

La Croix-Rouge vient tous les quinze jours nous apporter du linge militaire neuf  américain, de la nourriture, des friandises,

des cadeaux et autres. 

On me propose d'aller me « requinquer »  en Allemagne en forêt noire, dans un établissement de convalescence américain. 

Pas question. Je ne veux plus voir de boches. J'ai trop la haine.

Je reviens à Nogent-le-Rotrou  avec  des béquilles. J'ai beaucoup maigri. 

Deux ou trois fois, je retourne à l’hôpital Foch pour faire la visite de contrôle. 

On me donne une invalidité de 35% réévaluée des années plus tard à 80%. 

En tant que blessé de guerre, je peux choisir un boulot, d'abord à la SNCF à Chartres, puis grâce à Robert Tapie, à l'usine Monin.

Duroc n'a jamais voulu me donner un grade…  j'ai donc une petite retraite d'ancien combattant. Je n'ai jamais demandé aucune distinction. Mais j'ai reçu la croix de guerre avec palme  et la croix des grands blessés de guerre. 

Jean Stiesz alias Sixte, a été un chef admirable avec qui j'aurai été au bout du monde. Je le dis avec beaucoup d'émotion.

 

Le 6 juillet 1947,  j'ai l'honneur de découvrir la Stèle du Maquis à Plainville recouverte d'un parachute.

 

Je rencontre ma future femme, Madeleine Létang, le jour de La Libération de Nogent-le-Rotrou. 

Nous quittons Nogent-le-Rotrou fin 1951.

Nous avons deux filles: Jocelyne et Patricia.

Nous habitons depuis 1966 à Sainte Maxime. 

Malheureusement mon épouse est décédée en 2011. 

 

Maurice Olivier Chèvre nous a quitté le 14 Mai 2022.

 

Raymond Dutertre  est né en 1925, à Saint Eliph. 

En 1944, il est apprenti maréchal-ferrant et forgeron à La Loupe.

 

Le débarquement ayant eu lieu le 6 juin, il fallait des hommes pour repousser l’ennemi. Il  apprit qu’il y avait un groupe de Résistants

à La Loupe et qu’il recrutait. Il connaissait (par son métier) le Docteur Jean Renauldon …  c’est ainsi qu’il rentrait dans la Résistance.

Raymond explique pourquoi il s’est engagé:

«  Deux soldats Allemands sont venus à la maison pour interroger mon père qu’ils accusaient de braconnage. Un des deux m’avait mis un pistolet sur la tempe, cela m’avait choqué. Et puis je ne voulais pas travailler pour l’ennemi dans le cadre du STO. » 

 

Le 6 Juin 1944: C’est le débarquement par les alliés!

Le 8 juin 1944, Jean Renauldon donne immédiatement l’ordre au groupe des Résistants de La Loupe de rejoindre un lieu repéré depuis longtemps: Les Crottes, commune de Frétigny. 

Le groupe de Nogent-le-Rotrou se joint à eux et là un petit groupe organise le premier Maquis d’Eure-et-Loir Ouest. 

Les groupes s’organisent militairement.

 

Le 17 Juin au soir vers vingt heures cinquante a eu lieu le bombardement de La Loupe.

Tous quittèrent Les « Crottes », en cachant les armes dans un tas de foin en un lieu sûr.

Avec son frère Georges, Raymond travaille dans une ferme pendant quelques jours. 

 

Le 2 juillet, ils sont recontactés, ils doivent se rendre au Maquis de Plainville (commune de Marolles-les-buis) via Les Crottes pour récupérer leur ravitaillement.

« Au début, quand nous sommes arrivés il n’y avait que la carrière. Il a fallu construire des cabanes pour dormir sur le site.

Ce sont les gars du groupe de La Loupe qui ont construit les premières. En fait, nous étions quatre copains de Saint-Eliph qui avions des parents bûcherons, nous savions utiliser le bois… toute notre enfance nous faisions des cabanes dans les bois. »

 

En principe chaque groupe devait faire « sa maison » … A la fin il y avait quatre groupes et trois équipes par groupe, ce qui devait faire vingt-cinq par groupe, sauf le groupe « Corps Franc » qui ne comptait qu’un groupe de huit gars. 

Ensuite d’autres groupes se sont regroupés à Plainville: Beaumont-les-Autels, Auneau-Denonville.

Un groupe montait toujours la garde du Maquis sous le Commandement d’Albert Richard, le Doyen du Maquis, qui était en charge des réserves et de la garde du Maquis. Il ne faut pas oublier qu’il y avait deux prisonniers Allemands.

 

« Personnellement je ne partais pas en expédition de nuit. 

Au Maquis, je faisais à manger pour les Maquisards, il y en a eu jusqu’à cent soixante-dix. Je préparais les rations dans la cuisine de la ferme de la famille Guyot. Les préparer au Maquis aurait été dangereux et repérable. »

 

Mais Raymond a un souvenir de son passage au premier Maquis les « Crottes » (avant le bombardement de La Loupe) où il a « acté » de nuit avec son chef Jean Renauldon et son adjoint Jean Stiesz. 

Ils étaient quatre pour cette expédition à la gare de La Loupe.

Raymond faisait le guet. 

Les autres ont mis une bombe incendiaire dans un plat. 

« Il y a eu une très grande flamme de deux ou trois mètres de haut … Personne n’a rien vu, mais le câble avait fondu et au lieu de fils séparés, on avait un amas… »

 

Pour nourrir cent personnes (parfois plus) par jour, il fallait une organisation digne d’une cantine militaire. Et Raymond avec ses acolytes 

ont su faire face et s’adapter à cette situation « clandestine ».

 

«  Quand nous avons dû nourrir plus de cent personnes au Maquis, nous étions quatre à la ferme des Guyot, il y avait:

  • Les bouchers Bobet et Legros qui tuaient les bêtes et préparaient la viande,

  • Tatave et moi, qui faisions la cuisine,

  • Gilbert Vallet, Epicier de Thiron-Gardais, qui était en charge des achats. Tous les achats ont été honorés soit par des bons, soit par de l’argent parachuté de Londres,

  • le pain était fourni par Monsieur Gouju, boulanger à Chassant. »

 

« Nous cuisinions dehors, sur le bord du chemin, dans deux grands chaudrons en fonte. 

Au déjeuner, nous mangions de la viande. C’était surtout du ragout de bœuf, mais parfois du veau ou du mouton. 

Les pâtes étaient très souvent au menu. 

Personne ne s’est plaint de la nourriture, au contraire, nous mangions mieux que nous l’aurions fait chez nous.

Les deux prisonniers Allemands (cf: Le Camion de Manou par Jean Stiesz)  qui étaient au Maquis mangeaient comme nous, c’était eux qui devaient monter les grands bidons à lait remplis de nourriture, jusqu’au Maquis, et la pente était raide. »

 

« Le 11 Août, je me suis retrouvé par hasard, avec Duroc, Rhône, et une dizaine d’hommes. Nous sommes partis de Champrond-en-Perchet, avons emprunté le chemin des Gouttes, sommes passés sur l’ancien champ de courses. Là, nous avons donné quelques coups de feu sur un camion avec trois Allemands: trois morts…                  

Nous sommes arrivés à l’hôtel Goëthals, PC de Sinclair, Duroc et Rhône, et là je montais la garde derrière les bâtiments.                                 Après vingt-quatre heures d’affrontement et de pourparlers, les Allemands quittent la ville, Nogent-le-Rotrou est libéré.»

 

Après la Libération de Nogent-le-Rotrou, Raymond part avec Rhône, Sixte, le groupe Corps Franc et une partie du Groupe II pour libérer La Loupe et ses environs.

 

« Le  14 Août, Tout le monde est parti à travers champs pour chasser des Allemands qui trainaient près de Saint-Jean-des-Murgers (sauf Jacques Coutard et René Langlois). Omer Grignon est venu au carrefour de la Brosse pour retrouver les Allemands qu’on croyait dans la plaine. 

A Manou, un Allemand seul, a tiré et tué René Langlois et blessé Jacques Coutard.»

 

En effet le 14 Août, les Américains approchaient de La Loupe.

Deux d’entre eux furent tués à Champ Seigneur. Sept Allemands furent tués aux Murgers et Fontaine Simon. 

René Langlois a trouvé la mort et Jacques Coutard a été blessé. Les Allemands fusillent trois GV et font sauter le pont du Gros Chêne puis celui de l’équarrissage à Vaupillon. C’était le début de La Libération mais à quel prix!

 

« Le 23 Août, nous nous sommes retrouvés à Nogent-le-Rotrou  où l’on nous a demandé de nous préparer rapidement  pour présenter les armes à quelqu’un d’important… Et nous avons vu arriver, venant de la route d’Alençon, le Général de Gaulle.

Ce fut pour nous un honneur de le voir de près et de lui présenter les armes à son entrée et à sa sortie de la mairie. »

 

Ensuite Raymond s’est engagé, pour la durée de la guerre. 

Il a été incorporé dans le deuxième bataillon de marche d’Eure-et-Loir, le 95e régiment d’infanterie. Il est resté à la caserne de Dreux jusqu’au 1er Février puis la caserne de Bouilly. Là, il a  passé quinze jours en forêt avec un groupe de dix gars pour faire du bois afin de chauffer les bâtiments militaires du département d’Eure-et-Loir car le bois était le seul moyen de chauffage.

Le 1er Mars, il a gagné la caserne de Mailly au service de l’armée américaine afin de monter la garde dans des lieux stratégiques: poste téléphonique, centrale électrique, des ponts… 

Il a également été dans une grande centrale électrique à côté de Troyes qui distribuait l’électricité venant du Jura et allant vers six départements dont une partie vers Paris…

Fin Août 1945, il est revenu sur Chartres à la caserne du quartier Rapp et a été démobilisé le 30 Novembre 1945.

Aujourd’hui Raymond vit toujours à La Loupe près de sa famille. Chaque année, c’est toujours avec émotion qu’il se rend au rendez-vous du 11 Août, pour commémorer la Libération de Nogent-le-Rotrou. Tout comme en septembre, pour les journées du patrimoine, Raymond aime accueillir les visiteurs sur le Maquis de Plainville. C’est toujours avec émotion qu’il répond aux questions des visiteurs et qu’il raconte « sa courte vie au Maquis ».

Plaques & Monuments

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